Ma chronique de l’été 2015 était grâce aux Russes consacrée à la politique étrangère de l’Islande et ses difficultés de positionnement, et celle de septembre à l’économie et ses excellents résultats, appuyée sur un rapport de l’OCDE diffusé à point nommé. Il faut maintenant revenir à la vie politique… Pour constater qu’il y a peu à en dire, et se demander pourquoi ; pourquoi notamment les deux partis au pouvoir ne parviennent pas à tirer parti des résultats économiques annoncés mois après mois et confirmés par une très bonne étude de la banque Íslandsbanki.
La confirmation des bonnes prévisions économiques
En septembre, je citai largement l’OCDE ; voici que Íslansbanki publie des prévisions très fouillées, qui viennent conforter les précédentes :
- progression du PNB de 4.3% cette année et en 2016, puis ralentissement à 2.5% en 2017,
- cette progression reposera plus sur la demande intérieure, alors que l’exportation de biens et surtout de services, était jusqu’à présent son principal moteur,
- cette expansion aura un impact positif sur l’emploi : chômage ramené à 3.5%…
- … et sur la consommation des ménages : +4.8% cette année, 5.2% en 2016 et 2.8% en 2017,
- l’investissement devrait progresser de 23.9% cette année et 18.8% en 2016, mais connaître un ralentissement sensible en 2017 : 1.9%,
- malgré ce qui précède, les auteurs de l’étude considèrent que grâce à la bonne tenue de la couronne, l’inflation devrait rester au niveau de 2,5% ; il est néanmoins possible que la Banque Centrale garde un taux de base élevé, voire l’augmente,
- comme l’OCDE, Íslandsbanki soumet ces prévisions à la bonne réalisation de la levée du contrôle des changes.
L’histoire économique de l’Islande est familière de pics mal contrôlés suivis de creux profonds. Et les menaces sont réelles. Outre des difficultés dans la levée du contrôle des changes, les risques sont sociaux (voir plus loin) et politiques : le Premier Ministre et le Ministre des Finances, tous deux présidents de partis en difficultés, pourraient, surtout le premier, être tentés d’acheter au prix fort un retour en grâce électoral !
L’actualité politique en Islande
Car les électeurs restent impavides face à ces bonnes perspectives économiques.
Les sondagesLe dernier sondage MMR (16 octobre) fait état de cette relative stabilité :
Où l’on peut relever que :
- Le Parti du Progrès ne parvient pas à enrayer sa glissade,
- le Parti de l’Indépendance ne retrouve pas son niveau de la dernière élection, qui pourtant n’était qu’une victoire en trompe l’œil,
- les deux partis au pouvoir avant avril 2013 ne profitent pas de leur opposition,
- Avenir Radieux semble ressortir de l’abîme après sa révolution interne, sans que ses progrès soient vraiment spectaculaires,
- spectaculaire est par contre la constance des Pirates autour de 33% (46.3% chez les 18-29 ans !), soit plus que le gouvernement.
Ce ne sont évidemment que des sondages, et les dirigeants Pirates eux-mêmes, que l’on a peu entendus ces dernières semaines, ne s’attendent pas à de tels résultats lors d’élections. Mais tout se passe comme si les personnes sondées ne faisaient pas le lien entre ces très bonnes nouvelles sur le plan économique et l’action gouvernementale. Il ne suffit pas d’enrichir les électeurs pour obtenir leurs voix : le gouvernement paie cher l’arrogance de certains ministres, l’amateurisme des mêmes ou d’autres, son incompréhension du dialogue social, dont les grèves du printemps, non encore terminées, sont la conséquence directe.
De plus les opinions, islandaises ou autres, sont versatiles, comme en témoigne ce sondage Capacent Gallup, qui porte Jóhanna Sigurðardóttir au pinacle des derniers Premiers Ministres, après que son parti ait subi une véritable débâcle électorale à la fin de sa mandature :
SD = Alliance Social-démocrate – PI = Parti de l’Indépendance – PP = Parti du Progrès
En octobre, deux des « anciens » partis réunissent leur congrès, le Parti de l’Indépendance et la Gauche Verte. La coïncidence n’échappe pas à Katrín Jakobsdóttir, Présidente du dernier : « Pour tout dire je trouve bien que les deux congrès aient lieu le même week-end. Nos partis représentent les deux pôles de la vie politique islandaise ».
Áslaug Arna, Ólöf et Bjarni félicitent leurs électeurs – © mbl.isRéuni tous les 3 ans le congrès de Parti de l’Indépendance est un rassemblement de plus de 1500 personnes venues de toute l’Islande, cette année du 23 au 25 octobre. Même s’il peine à retrouver son audience du siècle dernier (jusque 40%), ce parti, presque toujours au pouvoir depuis les années 30, a façonné le pays et reste une référence pour tous les Islandais. Élu en 2009 à sa présidence, Bjarni Benediktsson a eu du mal à imposer son autorité tant Davíð Oddsson est resté présent par ses éditoriaux et ses réseaux « vieil Islandais ».
Mais celle-ci ne semble plus contestée : il est reconduit avec 96% des suffrages, qui consacrent à la fois sa prudence et sa position de véritable numéro 1 du gouvernement. Il parvient aussi à imposer Ólöf Nordal, Ministre de l’Intérieur, comme Vice-présidente à la place de Hanna Birna Kristjánsdóttir. Áslaug Arna Sigurbjörnsdóttir, étudiante, représentera la jeunesse au poste de Secrétaire. Ce n’est pas fortuit : la Fédération des Jeunes Indépendants a préparé le congrès avec soin et est venue avec de nombreuses propositions de type « poil à gratter » pour le parti, lui imposant notamment une réflexion sur l’avenir de la couronne islandaise, dont Bjarni se serait volontiers passé.
Le programme voté met l’accent sur le libéralisme en prévoyant la privatisation d’institutions comme RÚV, la radio-TV d’État, Ísavía, gestionnaire des aéroports, Landsbanki avec la distribution d’actions gratuites à chaque Islandais.
À Selfoss, c’est aussi sous la pression des jeunes que la Gauche Verte veut vraiment être perçue comme une alternative claire. Elle rejette évidemment toute idée de privatisation et veut au contraire la création d’une banque populaire (Samfélagsbanki).
Katrin Jakobsdottir – © mbl.isAu chapitre « Vert » elle s’oppose à la chasse à la baleine et à l’exploitation pétrolière en Mer du Nord, et veut faire de l’Islande un pays décarboné à l’horizon 2050. Katrín Jakobsdóttir reste présidente ; Una Hildardóttir, 24 ans, est élue Trésorière du parti. L’écoute des jeunes et la place qui leur est faite dans ces deux partis sont bien sûr destinées à contrer les Pirates, pour qui près de la moitié des jeunes se déclare prête à voter. Pourtant aucun des thèmes chers aux Pirate, telle la clarté de l’information, ne semble avoir été abordé.
En parallèle à ces deux congrès, un remaniement ministériel se dessine. De quelle ampleur ? Le Premier Ministre Sigmundur Davíð le voit léger ; Bjarni est il de cet avis ?
Actualité sociale
On se souvient que le deuxième trimestre 2015 a été socialement très agité et que les employeurs privés et publics ont du accorder d’importantes augmentations de salaire pour éviter une grève générale. Le calme était revenu, sauf pour certaines catégories d’employés du secteur public, notamment les infirmières, qui avaient rejeté les accords signés par leurs syndicats. En octobre ces personnels votent à nouveau le principe d’une grève à partir du 16 novembre si les négociations n’aboutissent pas. Les policiers se joignent à eux. S’ils n’ont pas le droit de grève, ils savent manifester leur mécontentement, par exemple en refusant de relever les excès de vitesse ou en se trouvant tous malades le même jour, générant ainsi d’importants retards dans le trafic aérien. Un accord est signé le 28 octobre conjuguant augmentations de salaire et réduction du temps de travail. Sera-t-il approuvé ?
© mbl.isSimultanément un autre accord est signé entre les employeurs et les principales fédérations de salariés, représentant 70% d’entre eux, sur les modalités de négociation collective. Il s’agit, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays nordiques, Norvège en particulier, d’orienter les négociations (place des femmes, équité privé/public, etc…) en prenant en compte les perspectives économiques (progression de la productivité, prix, cours de la monnaie, etc…). À cette fin, une commission est créée associant les signataires, la Banque Centrale et les pouvoirs publics.
L’horizon est 2018 lorsque les accords signés cette année viendront à échéance.
Relations internationales
Deux visites marquent l’actualité internationale, qui toutes deux sont des « premières » depuis de longues années et montrent que l’Islande intéresse :
- Visite de François Hollande, huit heures le 15 octobre, accompagné de Michel Rocard, Ségolène Royal et Nicolas Hulot pour constater au pied du glacier Sólheimajökull les conséquences du réchauffement climatique. Il était invité par le Président Ólafur Ragnar à l’occasion de la conférence « Arctic Circle »,
- Visite de David Cameron, les 29 et 30 octobre, convié par Sigmundur Davíð à participer avec les Premiers ministres des Pays Nordiques et Baltes aux travaux du « Northern Future Forum ». Il s’agissait aussi d’entendre le Premier Ministre britannique, d’une part exprimer des regrets sur l’attitude de son pays lors de la crise de 2008, d’autre part conforter l’euroscepticisme de son hôte : missions accomplies du bout des lèvres…
Vie culturelle
Ragnar Kjartansson« Parfois on a envie d’ajouter un peu de théâtre dans la vie et vice versa »… L’ambition qu’exprime ainsi Ragnar Kjartansson est certainement la sienne dans les œuvres qu’il propose au Palais de Tokyo (Paris) depuis le 21 octobre et jusqu’au 10 janvier 2016 « à la croisée de la performance et du cinéma, de la sculpture et de l’art lyrique, de la peinture de plein air et de la musique » selon le programme de l’exposition.
À Reykjavík cette fois, le cinéaste Dagur Kári reçoit le 28 octobre le Prix de Cinéma décerné par le Conseil Nordique pour son film « Fúsi » (en France « Histoire d’un géant timide »). Selon le jury un conte simple et inventif sur le plan visuel qui évoque la nécessité de préserver sa bonté et son innocence dans un monde apparemment impénétrable. Simple peut-être, mais très ambitieux ! Dagur est aussi l’auteur de « Nói Albinoí ». Le prix lui est remis par Benedikt Erlingsson, primé l’an passé pour « Hross í oss » (en France « des chevaux et des hommes »). Le 2 décembre à Aix en Provence, le Festival « Tous Courts » proposera douze courts métrages islandais dans le cadre d’un programme « Visa pour l’Islande » organisé par Patrick Dorflein et le Centre Islandais du Film.
Pendant ce temps la vie continue…
07/10 – Célébrant l’anniversaire de l’arrivée en Amérique de Leifur Eiríksson, Barack Obama s’est félicité de l’excellence de notre passé commun avec le peuple norvégien; émoi en Islande !!!
25/10 – le politologue Hannes Hólmsteinn Gissurarsson rappelle que les Danois ont voulu vendre l’Islande 4 fois, les Britanniques ont envisagé 3 fois de l’envahir, et les Américains 1 fois de l’acheter et la vider de ses habitants. Peut être a-t-on dit à B. Obama que c’était fait ?
25/10 – 8 espèces d’oiseaux, dont les macareux et les grèbes, ont été portées sur la liste des oiseaux en danger tant leur nombre a diminué,
29/10 – au 1er janvier 2015, 8.9% des habitants de l’île étaient des immigrés, soit 29192 personnes, contre 27.445 un an auparavant. 37.5% venaient de Pologne, 5.1% de Lituanie et 5.0% des Philippines, 30/10 – A 36 ans, Sigrún Arnardóttir est la mère de 10 enfants (de 19 ans à 9 mois). Pour faire bonne mesure Albert son mari leur a joint 3 enfants d’un premier mariage.