Grosse Île : Un grand rendez-vous avec l’Histoire

Publié le 05 novembre 2015 par Franck Laboue

Difficile de passer à côté de l’actualité concernant les migrants dès que l’on ouvre notre poste de télé, je vous rassure tout de suite ce ne sera pas un article à vocation politique loin de là ! Le Canada est une grande terre d’accueil depuis longtemps comme notre voisin du sud, une parcelle de cette histoire se situe non loin de Québec, au cœur du Saint Laurent. À Grosse-Île nous avons visité le « Ellis Island » canadien, porte d’entrée des immigrants et station de quarantaine, c’est une véritable leçon d’histoire méconnue à laquelle nous avons eu droit ! Je vous invite à découvrir une île au passé dramatique, un lieu de mémoire national, mais aussi une île magnifique … par ici la visite !

COMMENT S’Y RENDRE ?

Grosse-Île et le Mémorial des Irlandais sont un lieu historique national, le tout est entièrement géré par « Parcs Canada ». Du mois de mai au mois d’octobre ce sont les Croisières AML qui vous emmènent sur Grosse Île, tous les bateaux partent du quai de Berthier-sur-mer sur la rive sud du Saint Laurent. De nombreux « Packages » existent, notamment pour les familles, le forfait croisière et visite coût 60$ par personne. On se disait au début « Mmmh pas donné ! », mais le site est géré par Parcs Canada, et le billet inclus la croisière, le personnel sur place, les installations … honnêtement ça les vaut ! La visite dure donc toute la journée et vous verrez ce sera pas de trop, votre visite sera bien remplie !

http://www.croisieresaml.com/planifiez-votre-croisiere/berthier-sur-mer/croisiere-a-grosse-ile/detail/

À bord du bateau « Vent des îles » la température est magnifique en ce mois d’août. Pendant une quarantaine de minutes nous traversons le fleuve, le capitaine, natif de l’île aux grues, nous donne de nombreuses indications sur le Saint Laurent, tout est bien rodé ! Enfin nous apercevons Grosse Île, cachée en arrière de l’île d’Orléans, au pied du massif de Charlevoix. La première vision que vous aurez de cette île sera l’imposante croix celtique du mémorial aux Irlandais qui se voit depuis le bateau.

HISTOIRE D’UN LIEU DE QUARANTAINE

Dès que le bateau aborde le quai de Grosse Île, l’ambiance est installée : L’équipe sanitaire vous attend avec tout le personnel, ici on joue la carte de l’immersion ! La visite se fait par groupes, vous pouvez également choisir de découvrir l’île par vous même, il existe des chemins de randonnée, et de nombreux panneaux explicatifs jalonnent les sites. Pour notre part la visite s’est faite en groupe, les explications du personnel sont très claires et intéressantes, l’équipe est rodée et l’on croise de nombreuses personnes jouant des personnages d’époque : interactif pour tout le monde !

Alors clairement que s’est-il passé sur île ?! De 1832 à 1937, Grosse île sert de station de quarantaine pour le port de Québec, un endroit qui vivra son lot de drames, la visite nous fait mieux connaître ce pan de l’histoire du Canada. À travers de nombreux bâtiments et objets d’époque, on vous fait vivre l’expérience d’un immigrant arrivant dans la station de quarantaine ! En 1831 une importante épidémie de choléra sévi en Europe, une masse d’ immigrants se presse sur les ports canadiens, et près de 50 000 personnes arrivent en 1832. L’installation de l’île de quarantaine est décidée, mais malheureusement ce sera un échec cuisant, et près de 4000 personnes décèdent du Choléra à Québec.

Un drame n’arrivant seul, la petite station de quarantaine va subir un second flux massif de personnes en 1845 : c’est l’année de la grande famine en Irlande. On estime que près de 100 000 immigrants (À 95% irlandais!) arrivent au port de Québec ! Le flot incessant sur la petite installation de 1832 devient incontrôlable, un second secteur est ouvert afin de loger tout le monde. Cela n’empêche pas la tragédie : 5 424 personnes mourront principalement du Typhus et seront enterrées sur Grosse Île en cette seule année 1845 ! Sur le nombre de 100 000 arrivants, 20% meurent en mer, de nombreux enfants orphelins seront adoptés par des familles québécoises en conservant leur patronyme irlandais. Sur les 105 années de l’existence de la station il y a eu 7 553 morts, 72% auront lieu entre 1845 et 1847 !

En 1848 l’île est divisée en deux secteurs, entre les gens en santés et ceux infectés, pour éviter les risques de contagions. Nous sommes encore à une époque ou les médecins ne pratiquent pas une médecine dite scientifique, ce n’est qu’à partir des années 1870 que les avancées de la science vont nettement améliorer le traitement des patients et améliorer la station. Un hôpital en brique est construit dès les années 1880, puis en 1886 les bateaux seront constamment désinfectés. Finalement en 1893 un hôtel pour les passagers de « 1ère classe » sera construit, on y reviendra plus tard ! Enfin au début du 20ème siècle un laboratoire bactériologique ainsi que des hôtels pour passagers de deuxième et troisième classe seront construits. La station entame son déclin, elle fermera en 1937.

les hôtels

Notre première visite sera la découverte des hôtels, notamment celui de première classe ouvert en 1893. Nous passons devant des grands bâtiments de bois, vue sur le fleuve, depuis le quai une petite marche nous emmène devant les portes de l’hôtel dit de « Première Classe ».

Eh oui, à cette époque qui nous rappelle la séparation des classes façon « Titanic », les hôtels des passagers seront divisés en autant de classes que leur transport ! Une comédienne costumée nous accueille, avec l’accent britannique elle nous compte alors son trajet pour rejoindre le Canada, le tout avec une pointe d’humour bien sentie ! Déplorant ses conditions de logement elle nous invite à rentrer et visiter sa chambre. À la suite d’une grande pièce, un long couloir nous donne accès à de très petites chambres, mais possédant tout de même un lavabo individuel.

la croix celtique

Au fur et à mesure des explications, plus nous explorons l’île avec notre guide, l’histoire du lieu devient absolument fascinante ! Les acteurs, la préservation des lieux, tout fait de cette expérience immersive un vrai retour dans le passé à la rencontre de notre histoire. Un petit sentier nous amène au pied de la fameuse croix celtique que nous apercevions depuis le bateau. Cet immense croix est en fait un mémorial aux Irlandais, nombreuses victimes des maladies, de la faim, de l’exil. Un message y est gravé, en français, en anglais et … en gaélique !

CIMETIÈRE – MÉMORIAL AUX IRLANDAIS

À travers un petit bois un sentier nous mène vers une clairière, ou l’on découvre quelques croix de bois blanches, un lieu sobre qui cache en fait une fosse commune.

Maintenant que vous connaissez ma « passion » pour les cimetières (Vous pouvez retrouver ma chronique en cliquant ICI) ça ne vous étonnera pas de savoir que j’ai particulier aimé le lieu ! Celui-ci est particulièrement chargé d’histoire, des centaines de corps d’Irlandais, morts d’infections, sont enterrés dans cette imposante fosse commune. Une stèle rend hommage à plusieurs médecins, certains irlandais, morts à l’hôpital de l’île, en faisant leur métier. Un lieu à l’histoire poignante.

Mais pour moi le clou de cette partie de l’île restera le mur des noms : en arrière de la clairière, sur d’imposantes plaques de verre, sont gravés les noms des morts enterrés quelques pas plus loin. Tout en regardant les patronymes irlandais gravés dans le verre, on peut apercevoir le lieu de leur « sépulture » au travers, c’est un endroit émouvant, et pour tous les canadiens passionnés de généalogie un lieu important à plus d’un titre.

VILLAGE ET QUARANTAINE

La deuxième partie de la visite nous fait monter dans une sorte de « petit-train » pour touristes, mais attention rien de très « Disneyland » dans cette visite de Grosse Île au contraire ! L’histoire est particulièrement dure, mais il ne faut pas hésiter à y emmener vos enfants, tout est bien expliqué, et c’est une partie de l’histoire de leur pays qu’ils apprendront à connaître, le tout encadré par une équipe de guides vraiment pertinents dans leurs propos.

On parcourt un sentier de terre qui nous fait passer devant la vieille église anglicane, le paysage défile et nous avons droit à de très belles vues sur le fleuve.

Aperçu des quartiers des médecins ou se trouvait le laboratoire.

Au bout de l’île, proche d’une petite piste pour avions, nous découvrons les baraques des « infectés ». Bon vous allez finir par penser que ça tourne à l’obsession : oui il y avait un cimetière en arrière des baraques, et OUI c’est là que je suis allé en premier ! Honnêtement je l’ai trouvé fascinant, vraiment différent de l’ambiance épuré du mémorial aux Irlandais. Son aspect est vraiment particulier : des croix faites de tubes de métal sont disséminées sur un petit terrain, certaines ont des plaques de métal indiquant les noms des morts et de quel bateau ils provenaient. Tombes d’adultes, mais le plus souvent d’enfants, un spectacle particulier, des destins brisés par la maladie et la faim.

À l’intérieur des baraques sont exposés de nombreux objets retrouvés sur le site, humanisant un peu l’aspect « camp de concentration » de l’endroit. Des lits de bois superposés sont installés, on essaie un instant de les imagines bourrés de monde, à l’étroit dans cette baraque étouffante. De nombreux témoignages photo sont présent, on plonge dans l’histoire d’une manière viscérale, je repense en particulier à un cliché nous montrant une jeune fille atteinte de la variole, plutôt insoutenable.

Cette baraque hôpital appelée le « Lazaret » se compose d’une « Pièce rouge », les fenêtres de cette pièce étaient teintées de rouge pour filtrer la lumière du jour et les rayons du soleil que les personnes atteintes de la variole ne pouvaient supporter. La variole, qui a fait des ravages pendant des siècles, a définitivement été éradiquée de la planète en 1977.

Sur la route du route on croise d’autres maisons du personnel, mais également une ancienne chapelle catholique de la fin du 19ème siècle.

DÉSINFECTION

Finalement nous terminons par ce qui devrait être le commencement ! Tout immigré débarquant sur cette île de quarantaine, devait passer prioritairement par le centre de désinfection ouvert en 1892. Au rez-de-chaussée les bagages sont étiquetés et désinfectés dans de grands caissons à vapeurs à l’allure « Révolution industrielle » plutôt imposante !

Durant cette visite, des acteurs vous mettent dans la peau d’un immigrant fraîchement débarqué, et vous font subir un contrôle, le tout se fait dans la bonne humeur, tout est particulièrement bien pensé lors de cette visite. Vous montez ensuite à l’étage pour y découvrir les 44 douches, mélange d’eau chaude et de bichlorure de mercure pour la désinfection !

Une pièce très intéressante est dédiée aux nombreuses campagnes d’affiches faites dans le Royaume-Uni ou en Allemagne, afin d’attirer de nouveaux immigrants et de la main-d’oeuvre au Canada. Une belle collection, certaines sont souvent tronquées afin de faire miroiter de meilleures conditions, de plus belles récoltes etc, très intéressant !

En sortant des douches, une grande exposition est dédiée aux pandémies et grandes infections mondiales. De la Peste à la grippe espagnole, les panneaux sont tous bien détaillés et réellement instructifs. Enfin dans le reste du bâtiment vous serrez libres de découvrir le reste des installations, notamment les cuves de désinfections qui marchent au charbon, des reliques de l’époque industrielle : imposant !

Entre les visites et la croisière c’est une sortie qui dure près de 6 heures, une journée bien remplie ! Tout le personnel et les acteurs vous attendent pour vous saluer une fois à bord du bateau qui vous ramène sur la rive sud. Une fois à bord, la lumière basse du soleil sur les eaux du Saint-Laurent, on repense à tout ce que l’on vient d’apprendre, à tous ces destins qui au siècle passé ont été vite brisés dans cette île quarantaine. Et l’on pense aussi aux autres, qui comme à New York avaient des étoiles dans les yeux en abordant la terre d’un avenir meilleur, eux qui une fois débarqués au port de Québec sont venus améliorer leur sort, et contribuer à l’avenir du Canada.

ON Y VA ?

Je vous invite à découvrir cet endroit pas comme les autres au milieu du Saint Laurent, un endroit chargé de mémoire qui ravira les adultes et les enfants ! Tout est bien géré : la qualité des intervenants, la croisière, le personnel qualifié, les installations et la préservation de la mémoire du lieu : chapeau bas à Parcs Canada ! C’est un endroit qui m’a beaucoup marqué, il m’a surpris à tous les niveaux, en tant qu’amateur d’histoire j’ai été totalement comblé ! Courrez découvrir Grosse-Île et le mémorial des Irlandais dès le printemps prochain : touriste local ou d’ailleurs, ce sera une journée unique pour tout le monde ! Grosse Île c’est une plongée émouvante et fascinante au cœur de l’histoire canadienne. Avez-vous déjà visité cette île ?