Ce jour où j’ai traqué la lave du volcan Kilauea

Je ne suis pas une grande sportive et je l’étais encore moins il y a cinq ans, lors de mon séjour à Hawaii. Toutefois, aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours été curieuse de vivre de nouvelles expériences, même si ces dernières peuvent mettre mes aptitudes physiques à rude épreuve. Lorsque je me suis retrouvée sur Big Island avec mon amoureux, en 2010, j’avais envie de repousser mes limites, de vivre des sensations fortes. Nous avions d’ailleurs décidé de faire ce voyage sans notre garçon alors âgé de quatre ans, afin de vivre une expérience différente (du moins pour nous) : faire le tour de l’île en Westfalia. Nous avions une idée assez précise des lieux que nous souhaitions visiter, sans toutefois avoir tout prévu. L’un de ces lieux incontournables était, à mes yeux, le Parc National des Volcans. Une fois sur place, nous l’avons évidemment parcouru en long et en large avec grand intérêt, mais je n’étais pas encore rassasiée. J’en voulais plus. Je voulais vivre l’expérience jusqu’au bout et voir de la lave d’un volcan actif de plus près. Différentes alternatives s’offraient à nous pour vivre cette expérience, notamment l’hélicoptère et le bateau, mais je n’arrivais pas à faire un choix. Je n’étais pas véritablement tentée… Jusqu’à ce que j’entende parler d’une expérience de « hiking » permettant de traquer la lave du volcan Kilauea à quelques centimètres de distance. C’était exactement ce que je cherchais sans le savoir… Je vous propose ici le récit de cette aventure, que j’avais pris soin de coucher sur papier le soir même, afin que ce souvenir demeure impérissable…

Sur les traces de Pélé…

Je me souviendrai toujours de cette journée où je suis allée à la rencontre du volcan Kilauea. C’est avec Arnott’s Lodge que nous nous sommes improvisés « chasseurs de lave », en nous inscrivant le matin à l’excursion Pahoa Lava Hike qui devait avoir lieu le soir même. Les prévisions météorologiques étaient nettement défavorables et notre guide, Mike, nous a bien avisés qu’il était possible de ne rien voir une fois sur place. Tant pis, c’était la seule journée où nous pouvions faire l’excursion, après quoi nous devions repartir sur l’île d’Oahu. Nous étions toutefois bien décidés à tenter le coup malgré tout. En plus de notre guide, nous étions cinq participants à cette excursion : mon mari et moi, un militaire américain de stature imposante (que j’ai secrètement surnommé G.I. Joe) et un couple d’étudiants en géologie plutôt maigrichons, en provenance de l’Australie – vous comprendrez plus tard pourquoi je fais ces précisions physiques qui semblent totalement superflues à ce stade de mon récit. Tous les membres du groupe étaient très sympathiques et l’ambiance était à la rigolade. Nous sentions tout de même une certaine fébrilité nous envahir, voire de la nervosité, sous des airs nonchalants et quelques fous rires.

L’excursion devait nous mener dans une zone nommée Pahoa. Pour ce faire, nous devions traverser une propriété privée, d’où la nécessité de nous rendre sur les lieux en excursion guidée. La compagnie Arnott’s Lodge avait alors une entente avec le propriétaire, bien que le contenu de cette dernière soit resté relativement flou dans les propos de Mike. Étions-nous autorisés à être là? La réponse ne semblait pas évidente à énoncer. Oui et non. Disons simplement que notre présence semblait tolérée. Nous avons donc marché environ 8 kilomètres afin de nous rendre sur les lieux. La distance en soi n’était pas un défi, mais le sol inégal de lave durcie sur lequel nous devions poser les pieds rendait la randonnée assez sportive. La nuit tombait tranquillement, sans toutefois nous empêcher de bien distinguer le sol sur lequel nous marchions. Je me félicitais intérieurement de porter des chaussures de sport, ce qui m’arrivait rarement à cette époque où les talons hauts semblaient un prolongement naturel de mon corps. Je me sentais bien. Ivre d’adrénaline. Exaltée. J’étais sur le point de vivre un grand moment, de ceux que l’on expérimente rarement dans une vie et que l’on se remémore longtemps, et j’en avais pleinement conscience. En chemin, G.I. Joe était très galant, pour ne pas dire paternaliste, et regardait minutieusement le sol où nous posions les pieds. On aurait pu croire qu’il était en mission pour son président et qu’il devait veiller à la sécurité de chacun de nous. C’était plutôt rigolo. Les deux étudiants en géologie peinaient un peu à suivre le groupe, entre leurs pauses pour reprendre leur souffle et celles pour s’émerveiller devant chaque roche qu’ils croisaient sur leur route. Mike commençait à s’impatienter et les pressait de hâter le pas, afin de ne pas manquer le spectacle. Soudain, nos deux apprentis géologues se sont agités dans tous les sens en pointant quelque chose au loin. Cette fois, il ne s’agissait pas d’un vulgaire caillou, mais plutôt de la fumée du volcan. Nous y étions presque. J’avais des papillons dans le ventre, le rouge aux joues et le souffle court d’excitation. Plus nous avancions, plus nous étions en mesure de distinguer la coulée de lave qui s’approchait dangereusement des habitations…

Moi : « J’imagine que ce sont des maisons abandonnées? »

Mike : « Non, elles sont habitées. Les Hawaiiens ne s’opposent pas à Pélé, ça porte malheur ». 

Moi : « Vraiment? »

Mike nous a alors expliqué que Pélé, déesse du feu, de la danse et des volcans, fait l’objet de plusieurs légendes dans la culture hawaiienne. Selon l’une d’elles, la déesse se serait enfuie de Tahiti après une dispute avec sa sœur Namakaokahai, déesse de l’eau. Elle s’est alors installée à Hawaii, au creux du volcan Kilauea. Depuis, les habitants la craignent autant qu’ils la respectent. Lorsque le volcan s’agite et menace les habitations du secteur, les propriétaires font des offrandes à la déesse en espérant que leurs biens seront épargnés. Certains s’opposent même à ce que les autorités détournent une coulée de lave afin de sauver leur maison, de peur de s’attirer les foudres de Pélé.

En route vers le volcan, Big IslandEn route vers le volcan, Big Island La lave durcie et inégale sur laquelle nous avons marché sur 8 kilomètresLa lave durcie et inégale sur laquelle nous avons marché sur 8 kilomètres, Big Island. Nous apercevons la fumée du volcan au loin, Big IslandNous apercevons la fumée du volcan au loin, Big Island Des habitations avec la coulée de lave tout près... Big IslandDes habitations avec la coulée de lave tout près… Big Island

Un spectacle saisissant…

J’ai eu l’impression que la nuit tombait d’un seul coup, sans que mes yeux aient pu s’habituer à l’obscurité. Sur ce rideau noir, opaque,  le volcan actif et la coulée de lave se découpaient de façon saisissante. Plus j’avançais, plus je sentais l’exaltation me gagner. J’avais la gorge serrée et le cœur qui battait à plein régime dans ma poitrine. Je savais que je ferais bientôt une rencontre marquante. Celle du Kilauea, le volcan le plus actif de la Terre. Sous nos pieds, le sol craquait de plus en plus et la chaleur devenait suffocante. Nous avons finalement atteint la coulée de lave. Contrairement aux conditions météorologiques annoncées, la nuit était parfaite pour traquer la lave du volcan. Même Mike n’en revenait pas et jurait ne pas avoir vu un tel spectacle au cours des dix dernières années. Je ne sais pas si c’était exact ou si ses propos étaient motivés par la perspective d’un plus gros pourboire à la fin de la journée, mais chose certaine, il semblait dépassé par la situation. Nous nous tenions à quelques mètres de la lave qui s’avançait rapidement vers nous, nous sentions la morsure du feu à travers nos semelles. J’étais hypnotisée par ce spectacle aux couleurs éclatantes et je ne saurais dire combien de temps nous sommes restés là. Dix minutes? Une heure? Je ne sais pas. J’étais trop absorbée par ma contemplation de ce liquide orangé qui se répandait devant moi. Le site n’était aucunement sécurisé et je m’étonne encore qu’aucun membre du groupe ne se soit blessé. Il aurait suffit d’un pied qui reste coincé dans une fissure du sol anthracite ou d’une chute accidentelle, pour que l’expérience dérape et devienne cauchemardesque (c’est la maman en moi qui parle maintenant). Heureusement, rien de tel ne s’est produit.

De loin, nous apercevons le volcan et la coulée de lave, Big IslandDe loin, nous apercevons le volcan et la coulée de lave, Big Island Devant la coulée de lave, complètement hypnotisée, Big IslandDevant la coulée de lave, complètement hypnotisée, Big Island Le liquide s'avance vers nous très rapidement, Big IslandLe liquide s’avance vers nous très rapidement, Big Island Il fait très chaud, Big IslandIl fait très chaud, Big Island

Le plus difficile fut de rebrousser chemin pour revenir à notre point de départ. J’étais fatiguée et je me sentais de plus en plus lasse à mesure que nous nous éloignions du volcan qui, bientôt, se transforma en vague halo de feu que je distinguais à peine dans l’obscurité. La nuit noire et silencieuse se refermait sur nous. Nous  marchions en file indienne avec nos lampes frontales, munis de bâtons de bois. Une légère pluie a commencé à tomber, faisant disparaître définitivement le feu que nous avions aux joues quelques minutes plus tôt. Je frissonnais en regrettant de ne pas avoir pris une veste plus chaude. Nous nous sommes peu à peu enfoncés dans un sentier étroit, au bord d’une falaise surplombant la mer. J’entendais les vagues se fracasser sur le rivage, mais ce son familier n’avait pas sur moi son effet d’apaisement habituel. Les sens en éveil, j’étais prête à bondir à tout moment. De curieux bruits ont peu à peu commencé à émerger des hautes végétations qui bordaient le sentier à notre gauche. Les deux apprentis géologues étaient paniqués, ce qui n’a fait qu’empirer mon malaise. C’est ce moment que Mike a choisi pour nous parler des cochons sauvages qui étaient nombreux en ces lieux. Super Timing! Il nous a conseillés d’utiliser nos bâtons de marche pour nous défendre au besoin. À chaque grognement, j’utilisais ma lampe pour éclairer les herbes plutôt que le sentier. Je crois que j’aurais été prête à me lancer dans la mer du haut de la falaise plutôt que de me retrouver devant un cochon sauvage. Ce n’est absolument pas rationnel, je sais, mais je n’ai jamais les bons réflexes dans ce genre de situation. Je me résonnais en me disant que j’étais en sécurité, entre mon homme et G.I. Joe. Sérieusement, je ne pouvais pas être mieux positionnée. La féministe en moi se faisait beaucoup plus timide qu’à son habitude. ;-) Nous avons finalement rejoint le Westfalia sains et saufs. Alors que j’aime habituellement prendre mon temps pour savourer un repas, je me suis lancée sur les mets préparés du Tacos Bell, que j’ai engloutis à la vitesse de l’éclair avant de m’effondrer dans mon lit. Ce fut une expérience déstabilisante, certes, mais les souvenirs de cette soirée resteront gravés dans ma mémoire pour toujours.

*** En préparant ce billet, j’ai communiqué avec Arnott’s Lodge afin de savoir si la randonnée que nous avions testée était toujours disponible pour les visiteurs. Ne la voyant plus sur leur site Internet, j’avais quelques doutes. J’ai reçu une réponse rapide à l’effet que cette excursion n’est plus disponible avec eux, mais qu’une autre compagnie (Ahiu Hawaï) offre une expérience similaire.