Ce billet est le dernier d’une série de quatre articles portant sur les voyages avec des enfants différents, qui nécessitent un suivi avec des spécialistes. En tant que parent, doit-on mettre de côté notre désir de voyager avec un enfant prématuré, atteint d’une maladie rare, poly-allergique ou autiste? Avec Aude, Eli, Laurent, Chloé et leurs parents, je vous propose de découvrir quatre histoires permettant d’amorcer une réflexion sur le sujet. Voici celle de Nathalie, une amie d’enfance qui a gentiment accepté de répondre à mes questions au sujet de son vécu avec son garçon de deux ans, Laurent, qui est poly-allergique.
Peux-tu te décrire brièvement?
Je me nomme Nathalie et je vis dans la région de Montréal. Je suis la maman de deux garçons, Laurent (deux ans) et Philippe (sept ans). Je suis professeure-chercheure en adaptation scolaire dans le domaine de l’enseignement-apprentissage de la lecture et de l’écriture. J’ai toujours aimé les voyages et, depuis la naissance de mes fils, j’ai le goût de leur transmettre ce plaisir de découvrir le monde. Avant la naissance de Laurent, notre fils cadet, nous avons d’ailleurs vécu près de huit mois en France avec notre fils aîné, Philippe. Nous avons adoré cette expérience à l’étranger, qui nous a permis de voyager en Europe et de développer de nouvelles amitiés. Depuis la naissance de Laurent, notre façon de voyager s’est toutefois modifiée de façon considérable.
Laurent âgé de 5 mois avec son grand frère sur la plage de Pololu Valley Beach à Big Island (Hawaii). Crédit photo : Nathalie PrévostEn quoi Laurent est-il différent des autres enfants de son âge?
Laurent est poly-allergique. Ses allergies sont très sévères au point où une trace d’allergène peut déclencher une crise anaphylactique. Laurent réagit principalement à cinq allergènes : les produits laitiers, les arachides, le blé, l’orge et les œufs. À deux reprises, nous avons eu recours à l’auto-injecteur (ex. EpiPen). Ces deux épisodes furent très traumatisants pour tous les membres de notre famille. Il est donc impératif que Laurent ne soit pas en contact avec l’un ou l’autre de ces allergènes, sans quoi une nouvelle crise anaphylactique risquerait de se produire.
Les restrictions alimentaires de Laurent ne l’empêchent pas d’avoir beaucoup d’énergie! Crédit photo : Nathalie Prévost.Peux-tu me parler de tes voyages avec Laurent?
Pour être honnête, le profil allergique de Laurent a beaucoup ralenti nos ambitions de voyageurs. Lorsqu’il était âgé de cinq mois, nous avons fait un voyage en famille à Hawaii. À l’époque, nous ne savions encore rien des allergies de Laurent que j’allaitais exclusivement. Peu à peu, Laurent a commencé à faire de l’eczéma et la situation empirait de jour en jour. Il refusait de manger les céréales que je lui offrais, dormait très mal la nuit et se grattait les joues, les bras et l’intérieur des cuisses jusqu’au sang. Je ne savais plus quoi faire et j’étais très inquiète. De retour au Québec, je me suis finalement présentée à une clinique médicale avec lui. Nous avons ensuite été référés en dermatologie à Sainte-Justine, où des prises de sang ont révélé les nombreuses allergies de Laurent. À l’époque, les allergènes étaient encore plus nombreux et même les aliments à base de soja lui étaient interdits. Jusqu’à ses 16 mois, je l’ai allaité en suivant une diète stricte. C’est à ce moment que j’ai compris qu’il ne serait pas simple de nourrir Laurent.
Depuis que nous savons que Laurent est poly-allergique, nous avons fait quelques voyages avec lui, mais toujours dans les limites d’un transport en voiture. Les déplacements en voiture permettent d’apporter toute la nourriture pour Laurent. Nous avons donc exploré quelques endroits au Canada et aux États-Unis. Par exemple, nous avons parcouru le Maine en camping-car l’été dernier. Nous pouvions ainsi profiter de vacances au bord de la mer, avec un réfrigérateur plein à craquer qui nous évitait l’angoisse de manger au restaurant avec Laurent ou de perdre plusieurs heures dans les épiceries à lire les étiquettes alimentaires.
Une balade en famille dans le Kilauea Iki Trail (Big Island, Hawaii). Crédit photo : Nathalie Prévost.Quelles sont tes craintes à l’idée de voyager avec Laurent ?
Ma principale crainte est de ne pas être en mesure de trouver de la nourriture pour Laurent. Je crois que nous sommes tous d’accord sur le fait que manger est un besoin vital… Surtout pour un enfant âgé de deux ans qui réclame des collations aux heures! Dans les autres pays, l’étiquetage des aliments ne suit pas la même législation qu’au Canada. Ici, tous les allergènes sont clairement identifiés à la fin de la liste d’ingrédients. Il n’est pas toujours facile d’identifier les allergènes lorsqu’ils portent leurs costumes aux allures scientifiques. Par exemple, dans une liste d’ingrédients, les œufs peuvent être inscrits sous différents termes, tels que conalbumine. Dans un tel contexte, l’idée de voyager à l’étranger devient davantage synonyme de stress que de détente… Et faire garder Laurent pendant que nous partons en voyage n’est pas plus simple, puisque nous ferions alors vivre un grand stress aux membres de notre famille qui acceptent de le garder. La gymnastique culinaire qu’implique la préparation des repas pour Laurent est exigeante et oblige les cuisiniers à être très vigilants. Laurent a la chance d’avoir des grands-mamans extraordinaires qui font des pieds et des mains pour modifier leurs recettes afin que leur petit-fils puisse, lui aussi, découvrir les recettes familiales.
Nous continuons malgré tout à rêver à de nouvelles destinations. Au printemps, si les prises de sang de Laurent indiquent une amélioration de sa condition, nous envisageons de découvrir le Portugal en famille l’été prochain. J’aimerais aussi concrétiser un projet de sabbatique à l’étranger. Mais pour l’instant, nous demeurons réalistes et prudents en diminuant les risques présents dans l’environnement de notre fils.
Quel est ton plus beau souvenir de voyage avec Laurent?
Ce souvenir est tout simple, mais aussi très représentatif. En fait, lors d’un séjour dans un centre de villégiature au Québec, nous avons mangé sur le site où un grand barbecue se tenait. Rapidement, nous avons constaté que le menu ne convenait pas à Laurent. Nous avons donc avisé la serveuse que Laurent allait manger le repas que nous avions apporté avec nous. Elle a insisté pour que nous allions parler au chef des allergies de Laurent. Elle disait que Laurent avait lui aussi droit de vivre une expérience complète du centre. Le chef cuisinier nous a demandé de lui identifier les allergies de Laurent et a cuisiné un repas sur mesure pour lui. C’est le chef en personne qui a assuré le service. Laurent était tellement fier et heureux de pouvoir manger « comme nous » dans un restaurant! Les étoiles dans les yeux de notre petit valaient tout l’or du monde!
Laurent qui déguste le mets cuisiné exclusivement pour lui par le chef Nicolas! Crédit photo : Nathalie Prévost.Quelle est la plus grande difficulté que tu rencontres?
Sans aucun doute, les repas en famille ou entre amis. Nous ne voulons pas imposer le régime alimentaire d’exclusion de Laurent à tout le monde mais tant que Laurent sera petit, nous avons vraiment besoin de la collaboration de notre entourage. Par exemple, il est possible de manger du fromage et du pain mais en s’assurant de ne pas toucher à Laurent avant de s’être lavé les mains. Nous avons vécu une expérience malheureuse où un simple toucher sur les joues de Laurent avait déclenché une crise allergique. En vieillissant, Laurent sera de plus en plus conscient de ses allergies et pourra davantage repérer les allergènes dans son environnement. Nous sommes conscients des efforts déployés par nos proches et nous leur en sommes reconnaissants. Toutes ces précautions sont mises en place pour une seule raison : la sécurité et la survie de notre fils!
Quels sont tes trucs pour voyager avec ton fils?
- Apporter plusieurs aliments passe-partout qui peuvent facilement se conserver à température pièce (ex. céréales, pâtes alimentaires, sauce à spaghetti maison dans des pots stérilisés, pain, biscuits, craquelins). Ces provisions permettent à Laurent de manger lorsque ce n’est pas possible de le faire sur place.
- Repérer les hôpitaux et avoir sur soi les numéros de téléphone des services d’urgence des villes que nous visitons.
- Prévoir le nécessaire pour désinfecter les endroits où nous irons manger. Par exemple, des lingettes désinfectantes pour nettoyer la table et les chaises où Laurent mangera.
- Loger dans un endroit où il y a une cuisinette équipée. Ainsi, nous pouvons préparer les repas de façon sécuritaire pour Laurent.
- Identifier les allergies sur notre enfant à l’aide d’un macaron, d’un tatoo ou d’un petit bracelet coloré. Au centre commercial, il est déjà arrivé qu’une dame offre un biscuit à Laurent.
- Toujours avoir deux auto-injecteurs (ex. EpiPen) avec soi et un antihistaminique (ex. Benadryl). Les allergies peuvent frapper à n’importe quel moment. L’autre jour, Laurent est allé jouer dans l’aire de jeux d’un restaurant. Après seulement quelques minutes, Laurent a commencé à se gratter les bras. Il a sans doute été en contact avec des traces d’allergènes tels que les produits laitiers, très populaires à cette période de l’année!
- Avoir une assurance-voyage. En cas d’hospitalisation, le voyage pourrait vite devenir une histoire d’horreur.
Nathalie, merci d’avoir accepté de participer à notre série d’articles sur les voyages avec des enfants qui nécessitent un suivi avec des spécialistes. Nous n’avions jamais réalisé à quel point il pouvait être complexe de voyager avec un enfant poly-allergique et ton témoignage est très éclairant à ce sujet. Nous vous souhaitons de vivre encore de nombreux voyages en famille… en toute sécurité!