Mots écrits à la lueur de la chandelle… Une boîte de conserve, un peu de cire fondue, et une bougie calée là-dessus. Cela suffit pour éclairer la table en bois, les restes du souper, la bouilloire, l’armature de l’abri et le toit en feuilles de palmier. A cette heure les moustiques se sont repus et leurs attaques faiblissent; le sol surélevé craque sous les pas; la ligne des feuillages se détache sur le ciel où se lève la lune. Un capharnaüm invisible sévit dans la foret: superposition polyrythmique de cris répétés dans la nuit. Accrochée à l’un des piliers de bois qui soutiennent le toit, une grenouille curieuse nous observe,la glotte palpitante. Il doit être huit heures du soir, la nuit est tombée depuis une bonne heure, et mon guide enfile ses bottes et prend sa lampe frontale pour aller pêcher dans le rio en contrebas.
L’abri fait cinq mètres sur huit: un plancher sur pilotis, une simple table en bois, deux bancs, un foyer en briques. Derrière moi, prêt pour la nuit, un matelas à même le sol entouré d’une moustiquaire.
Ceux qui aiment leur confort prennent un vol pour Iquitos puis, à prix d’or, un tour organisé qui les emmène en voiture à Nauta, l’entrée Nord de la réserve, puis les balade en pirogue à moteur entre des lodges confortables. Comptez 100 dollars par jour.
En entrant par Lagunas j’ai choisi une option plus difficile d’accès (vol pour Tarapoto, taxi pour Yurimaguas, bateau pour Lagunas), plus rustique, mais surtout un peu plus authentique. Il n’y a pas de douches dans les chambres (et parfois ni douches ni chambres) mais je crois qu’on s’en soucie peu. Pas de pirogues à moteur non plus, mais c’est tant mieux. Il y a trois agences à Lagunas; dans le registre de celle que j’ai choisi (huayruro tours) j’ai compté entre 200 et 300 visiteurs par an (et pas mal de Français…). Les prix aussi sont plus raisonnables, entre 40 et 50 dollars par jour.
Dans cette zone les distances se comptent en jours de pirogue: un jour pour le campement de Posa Gloria, deux jours pour le poste de garde de Camotal, six jours pour le lac Cocha Pasto. Les quelques communautés qui vivent à l’intérieur de la réserve (comme celle de 2 de mayo) ont une dérogation et circulent en pirogue à moteur; il leur faut quand même deux jours de trajet…
A mesure qu’on s’enfonce dans la réserve, l’empreinte humaine s’efface et les forces naturelles reprennent leur empire.
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Les préparatifs n’en finissent pas… Après les 22h de mon vol Paris – Lima, le vol intérieur Lima-Tarapoto, 3h de taxi pour le port de Yurimaguas où j’ai laissé le plus gros de mes affaires, et 6h de bateau “rapide” pour Lagunas, il faut encore ajouter, la matin suivant, un enregistrement au poste de police, le chargement des provisions pour cinq jours et une petite heure de moto-taxi sur une route caillouteuse jusqu’au poste d’entrée de Tibilo Valadero.
Il y a une demi-douzaine de cahutes en bois et, en contrebas, le coude d’une petite rivière boueuse. Quelques pirogues sont échouées dans la boue. Un quart d’heure pour charger la pirogue et soudain je dois monter. L’embarcation me paraît bien frêle et instable pour cinq jours de survie. J’y descend tant bien que mal depuis le ponton et je me fais une place. Assis à l’avant, mon guide repousse le ponton d’un coup de pagaie et nous voilà partis pour cinq jours dans la jungle.
Les événements tangibles sont rares: quelque chose plonge dans l’eau, un oiseau traverse le rio… Il faut l’oeil exercé du guide pour repérer, dans la masse verte, un animal qui s’approche du fleuve.
Dans tout cela – les apparitions d’animaux sont épisodiques – la forêt tropicale est le vrai protagoniste. Au fil des heures elle se transforme, incessante lutte pour l’espace, confuse, étagée, emberlificotée, entre racines gigantesques, troncs enveloppés de lierres, bosquets de palmiers à troncs bardés d’épines, enchevêtrements de branches et de lianes…
Les pluies diluviennes d’avant-hier étaient un avant-goût de cette saison de pure humidité. Il faut bien trois mois de pluie ininterrompue, de décembre à février, pour que le niveau de l’eau monte de plus de deux mètres… En été, les matins qui suivent les nuits pluvieuses, la forêt dégoutte encore des pluies de la nuit, mimant celle-ci par le ruissellement des gouttes à chaque étage de la forêt…
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Dans ce mile extrême, les techniques humaines vont au plus simple et au plus robuste.
Pour le transport: pas de route hors des villes, les cours d’eau servent de voies de communication. Bateaux plats, mississipiens, sur les fleuves; pirogues sur les rivières – il faut pouvoir passer par un mètre de large et vingt centimètres de fond. Les pirogues sont taillées d’une seul pièce dans un tronc. Quelques lattes, au fond, permettent de jeter un matelas de troncs de bambous pour rester les fesses au sec. A l’avant et au l’arrière, une planche pour s’asseoir et ramer. In peut difficilement faire plus simple ni plus solide…
A pied c’est un monde différent. Évanouie, la fraîcheur de l’eau et du vent vitesse. Les chemins sont gadouyeux et jonchés de branches et de feuillages; ils serpentent sans répit et soudain disparaissent.
Contrairement aux rives, qui opposent au regard la verticalité d’un murs presque impénétrable, les étages inférieurs de la forêt sont (relativement) peu denses en bosquets, fourrés et petits arbres. Le gros de la végétation, ce sont de grands arbres, de hauts palmiers, des lianes qui en tombent… Tout ce qui est petit se bat pour la lumière: dans certaines zones ce ne sont que des troncs à hauteur d’homme – et le chemin devient difficile à suivre.
Les animaux se cachent mieux que sur les bords du rio, mais il faut dire que nos bottes boueuses sont bruyantes… Une tortue d’une trentaine de centimètres vient nous faire la discute – elle pèse une tonne… Un groupe de singes rouges se baladent dans la ramure… Les oiseaux sont difficiles à distinguer dans le bazar des feuillages. Des singes sifflent leur cri plaintif.
La démesure de la forêt, en revanche, se laisse pleinement ressentir. La densité est étouffante. Le soleil passe rarement. Certains arbres (lupuna ) sont des géants pluriséculaires: base massive, tronc vertigineux, feuillage lointain qui percé la canopée. La désorientation est totale – avec sa machette, mon guide marque des entailles dans les arbustes pour retrouver son chemin au retour.
Points pratiques
Difficile d’aller au Pérou sans passer quelques jours en Amazonie… Mais les informations comparatives manquent pour décider facilement où aller.
Comme principe de base, il faut compter comme minimum syndical trois jours dans la réserve (l’intérêt est limité si on ne s’enfonce pas un peu). Plus on reste longtemps, plus on pénètre dans des zones “tranquilles” et donc plus les chances de voir des animaux nombreux et gros sont élevées. On ne peut entrer qu’avec un guide, ce qui exige de bien choisir son agence!
Il y a en fait trois principales options:
- La Réserve de Manu, dans la région de Cuzco (entre Cuzco et Puerto Maldonado): accessible par avion ou par un long (mais très beau) trajet d’une douzaine d’heures en bus. C’est cher (100$/jour comme ordre de grandeur); j’ai l’impression (sur la base de ce qu’on m’a raconté) qu’à moins d’y passer une semaine, la plupart des tours ne rentrent pas dans la réserve proprement dite, mais il y a quand même pas mal de trucs à voir. Ça me semble une bonne option pour ceux qui ont un planning serré.
- La Réserve de Pacaya-Samiria en y accédant par Iquitos, au Nord-Est du Pérou: on prend un vol d’une heure et demie depuis Lima, puis un tour organisé sur place. C’est cher (compter également 100$/jour). La première demi-journée, il faut faire de la route pour accéder à la réserve (via Nauta), puis un peu de bateau à moteur jusqu’à un lodge. Ensuite cela dépend des forfaits. Les lodges proposés, en tous cas, ont l’air assez luxueux. C’est plutôt l’option pour ceux qui aiment leur confort et qui ont les moyens.
- La Réserve de Pacaya-Samiria en y accédant par Lagunas (c’est l’option que j’ai choisi). C’est moins facile d’accès (1h de vol pour Tarapoto, 3h de taxi pour Yurimaguas, 1/2 journée de bateau sur le fleuve), mais le voyage en lui-même est intéressant (ça permet de prendre le bateau!!), les tarifs sont beaucoup plus raisonnables (40 ou 50$/jour), la zone est peu touristique et on accède directement à la Réserve, où ne sont admises que des pirogues sans moteur (et donc c’est très calme). C’est plus rustique que les lodges de luxes, mais ça fait partie du charme. De ce que j’ai pu entendre, c’est là que les chances de voir des animaux sont les meilleures (au Pérou). Je suis passé par l’agence Huairuro Tours: excellent à tous points de vue. Il y a deux autres agences; je n’ai pas entendu de commentaires négatifs à leur sujet.
Par ailleurs, avant de venir, j’avais songé faire les 3 à 5 jours de bateau de Pullarca à Iquitos. C’est également possible depuis Yurimaguas (en 3 jours à la période où j’y étais). Si vous choisissez cette dernière option, il est préférable d’utiliser une agence à Lagunas plutôt qu’à Iquitos: vous irez dans la même réserve mais pour moitié prix.
Sur ce, tentez l’aventure et profitez-en bien!
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