La connaissance perdue de la préhistoire

On n’a pas forcément idée à quel point le monde moderne n’est ni plus ni moins que la négation des connaissances ancestrales acquises après de nombreuses expériences grandeur nature qui en ont certainement tué plus d’un… Nous avons perdu le corpus de ces savoirs infimes qui ont fait progresser l’homme préhistorique jusqu’à ce que nous sommes aujourd’hui, même si, sur le fond, l’homme de Neandertal qui vivait ici il y 200 000 ans n’est ni plus ni moins que le même homme qui foule aujourd’hui le béton des grandes villes, avec une intelligence diversifiée, pas forcément plus évoluée, mais différemment distribuée. Jean Clottes, encore, nous apprend une de ces ruses de chaman, telle qu’on n’en aurait même pas l’idée…

Les bois touffus de la taïga où se trouvait la statue regorgeaient de moustiques, des taons et de moucherons, en nuages épais et agressifs. Nos amis sibériens nous avaient avertis et nous étions préparés (vêtements longs, gants, voilettes protégeant la tête et le cou, répulsifs). Eux ne l’étaient pas et, généralement, ne prêtaient pas attention aux moustiques, si abondants l’été en Sibérie. Cette fois, néanmoins, ils se protégèrent, d’une manière inattendue, à l’initiative de Lazo. Il se dirigea vers une grosse fourmilière et tapa fort, deux ou trois fois, sur son sommet, la main à plat. Puis, il plaça sa main juste au-dessus, à deux ou trois centimètres, bien horizontalement, et attendit. Je me demandais ce qui se passait, puis je compris : les fourmis agressées émettaient de l’acide formique et il s’en imprégnait. Il se passa ensuite la main sur les bras, puis sur son autre main et sur le visage qui furent ainsi protégés. Les autres firent de même. Lazo, pour me montrer l’efficacité du procédé, tendit sa main nue autour de laquelle tourbillonnaient les insectes sans qu’aucun ne s’y pose. Nombre d’astuces de ce genre ont dû se perdre depuis la Préhistoire !

Jean Clottes, Pourquoi l’art préhistorique ?
Folio Essais, Gallimard 2011

Chaman Mentawai - Photo d’en-tête © François de Halleux