Je me moque suffisamment de notre indispensable journal local, la remarquable Gazette (attention à la une aujourd’hui un parking controversé et l’annonce d’une nouvelle piste cyclable, c’est fascinant), quand il y a un article intéressant, il faut bien que je le reconnaisse. Hier, sous un titre racoleur qui a failli me faire croire à un autre de leurs scoops immanquables (vous saviez que de jeunes voyous débauchés, probablement assoiffés de sang n’ont pas hesité à casser une vitre pour dérober de la petite monnaie dans un village hall? …où va le monde, ma bonne dame…), sous le titre assez abscons donc de » le drame local pendant la guerre qui n’a eu lieu officiellement », il avait une histoire que j’ai trouvé émouvante. Si. J’en suis surprise moi-même. En même temps, il m’en faut peu…
La euh, journaliste revient sur un épisode de la seconde guerre mondiale qui a été passé sous silence par ses illustres prédécesseurs à l’époque, par soucis de secret défense. Forcément, en temps de guerre on ne rigole pas avec ça. En juin 1940, alors que tous les pêcheurs du coin n’ont pas hesité à traverser la Manche jusqu’à Dunkerque pour aider à évacuer sur leurs rafiots les soldats britanniques (et une poignée de français) coincés par l’armée allemande, les autorités s’attendent de pieds fermes à une invasion. Pour dire toute la confiance que l’état major et le gouvernement britannique avaient dans leur propre armée, ils pensaient non seulement que les allemands allaient débarquer de suite, mais surtout leur flanquer une pâtée monstre. Pour protéger les enfants Londoniens des bombardements, il a donc été décidé de les envoyer à la campagne. 14 000 se sont retrouvés dans le borough council de Colchester. C’était ballot.
Parce que non seulement Colchester a donc un port, mais aussi une base aérienne, le vieux terrain d’où partaient les avions de la Royal Air Force est d’ailleurs près de chez moi. Bref, c’était limite un tout petit peu stratégique comme coin, quelle idée d’y évacuer des enfants! Ça n’a pas loupé, Colchester a été bombardé aussi. Du coup, les autorités avec le sens de l’organisation dont elles avaient déjà fait preuve ont décidé d’évacuer les femmes, jeunes enfants et personnes âgées de Colchester aussi, plus les réfugiés Londoniens . Les parents avaient été prévenus de la possibilité de la chose en juin, mais jusqu’au jour même de l’évacuation, le 10 septembre 1940 personne ne savait quand elle aurait lieu. Certains instituteurs avaient de vagues consignes. Mais globalement personne ne savaient combien partiraient, ni comment ou pour où. Ça a été une pagaille épouvantable. En quelques heures, les parents ont dû décider de laisser leurs enfants partir ou pas, certains changeant d’avis à la dernière minute. Les mères d’enfants de moins de 5 ans pouvaient être évacuées avec eux, en laissant le reste de leur famille. Les enfants scolarisé devaient partir avec leurs instituteurs, et se trouvaient donc séparés de leur famille même si elle était évacué aussi. Les instituteurs devaient laisser leur propres enfants à d’autres pour s’occuper de leurs élèves et partir même si leur famille restait. Les directeurs d’école avaient eux l’ordre de rester à Colchester pour continuer à enseigner aux enfants qui refuseraient d’être évacuer.
Les petits écoliers dont certains avaient à peine 5 ans, se sont retrouvés entassés, avec une étiquette autour du cou et un masque à gaz, dans des trains, sans boire ni manger ni d’accès aux toilettes, complètement paumés et terrifiés et parfois totalement livrés à eux-mêmes puisque tous les instituteurs ne sont pas partis. Les trains ont mis 10 heures à traverser le pays, jusqu’à Stoke-on-Trent et ses environs. Sur place, ces pauvres gosses ont dormi dans des camps de fortune puis ont été repartis au hasard dans des familles d’accueil.Tous s’accordent à dire qu’ils ont été bien reçus et nourris. Il faut dire aussi que leurs parents n’avaient pas le droit de savoir où ils étaient certes, mais devaient payer l’équivalent de £105 actuels par semaine aux familles d’accueil.Ces malheureux gamins étaient quand même perdus, apeurés, loin de leur parents … Jusqu’à 3 octobre où un pilote allemand qui rentrait de bombarder Coventry, s’est rendu compte qu’il lui restait des bombes à larguer, quel petit étourdi quand même! Ça aurait été dommage de gâcher. Il les a donc lâché au hasard, sur un bled paumé. Sur l’école et trois petits élèves de Colchester (entre autres) qui avaient été évacués là pour échapper aux bombes… Les enfants de Colchester sont repartis chez eux en novembre, les autorités se sont bien rendu compte que les évacuations n’avaient servi à rien.
Voilà, les survivants organisent tous les ans une rencontre, et ils cherchent d’autres témoignages, d’où l’article dans le journal local. Je ne cherche pas à faire la morale à qui ce soit ou à parler d’autres choses que l’histoire de ma ville. C’est facile aussi de juger la désorganisation totale de l’administration britannique aujourd’hui, mais ils ont fait ce qu’ils pouvaient vues les circonstances. Quant à la décision qui s’est répétée dans une grande partie du pays et qu’ont dû prendre en une matinée les parents de Colchester devant le danger des bombardements, je suis bien contente de ne pas avoir à y penser. Je vous laisse, il faut que j’aille faire un câlin à mes enfants.
Les photos viennent de la Gazette