J’ai écrit un livre sans m’en rendre compte. Tout était là, sous mes yeux, compilé au fur et à mesure du temps ; c’est à peine si je m’en suis aperçu. Trois ans après être revenu de Turquie, j’ai écrit des centaines de lignes sur mes carnets et dans mes cahiers, je les ai transformées en billets pour mon blog, agrémentées des photos que j’ai pris un soin infini à trier, à retoucher, à documenter d’images pour parler d’architecture ou de religion et faire de mes écrits quelque chose de compact, donnant une image au plus près de ce que j’ai ressenti lors de mes voyages, toujours très denses en émotions et en informations de toute sorte qu’on ne peut livrer telles quelles sans les retravailler pour en ébarber les contours. Je ne me compare pas à Nicolas Bouvier, mais je comprends mieux pourquoi il a mis près de vingt ans à accoucher de L’usage du monde. Il y a une dimension de maturation qui ne peut que prendre du temps. Tous les fabricants de vins ou de fromages vous le diront.
Alors me voici métamorphosé en relecteur, passant de longues heures depuis quelques jours à retravailler mon texte qui me semble lourd par moment. Quelques petites épiphanies me font bondir de plaisir, parfois. Le reste me semble pesant, ne me procure aucune joie… Peut-être l’usure de la relecture. L’écriture ne ressemble en rien à la lecture. Le texte défile et l’impression d’essorer mes mots me le rend âpre et sans consistance. Difficile dans ces conditions de savoir ce qu’il en est réellement. Pour le reste, ce seront les lecteurs qui en décideront, mais je ne vais pas pouvoir retailler à l’infini mon texte comme un diamant, au risque de me retrouver avec un caillou aux dimensions dérisoires. Je ne sais plus qui disait qu’écrire, c’est d’abord enlever des mots, couper des phrases entières, réduire à sa plus simple expression, comme une sauce qu’on fait réduire pour n’en recueillir qu’un liquide compact, concentrant dans un infime volume toutes les saveurs nécessaires et primordiales.
De mon voyage en Thaïlande, il me reste au final plus de photos que de textes. C’est certainement la raison pour laquelle j’ai du mal à me lancer dans la rédaction de mes carnets de voyage. Tant que ce ne sera pas fait, il y aura comme une impression d’incomplétude et repartir sera difficile. Il me reste l’hiver pour cela. En effet, février sera le moment pour repartir, je ne sais pas où encore, mais le besoin de tout lâcher se fait sentir.
Au creux de ce texte, ce sont mes deux carnets de voyage en Turquie que j’ai décidé de compiler. Le troisième voyage n’y figurera pas tant il fut différent. A vrai dire, je ne sais pas encore comment l’aborder, ni comment le broder. Les pièces sont encore là, sur mon bureau. Le temps a besoin de faire son œuvre encore quelques mois peut-être.
Je retourne à présent sur mon bureau pour tailler dans le vif, découper les lamelles de viande séchée, débiter les cordons de cuir dans une peau encore fraîche. Dehors il fait soleil, un été qui s’étire comme un élastique, tendu à bloc.
Travaille ton style, mon petit…
Photo d’en-tête © Camilla Hoel