Ce trajet vers l’Amazonie n’est pas Apocalypse now, mais il se mérite quand même…
Matin: visite des céramiques du Museo Larco de Lima (génial!).
Midi: vol au dessus des Andes jusqu’à Tarapoto, au Nord-Est du Pérou, aux portes de la jungle.
Après midi: route sinueuse qui s’enfonce dans la jungle et dans la nuit, vers le port de Yurimaguas.
Soir: nuit à Yurimaguas, dernière ville reliée par la route et embarcadère pour les villes de la jungle péruvienne.
Le lendemain: six heures de lancha jusqu’au village de Lagunas à l’entrée de la réserve de Pacaya-Samiria, l’un des plus meilleurs endroits pour visiter l’Amazonie au Pérou.
“En un jour dix mille kilomètres…”
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Visite du Musée Larco à Lima
La veille j’ai atterri vers minuit à Lima. Longue traversée nocturne, en taxi, de banlieues basses, carrées, dangereuses, mortes à cette heure; puis quelques kilomètres sur la côte pour atteindre le quartier de Miraflores, en bord de mer, où je dors.li
Au matin un voile tenace (la garua) brouille le ciel et l’air est mouillé d’une bruine. Au terme d’un labyrinthe de ruelles et d’avenues mon taxi me lâche au Musée Larco.
Je n’ai qu’une heure pour en faire le tour et je le regrette en découvrant la richesse des collections et – une fois n’est pas coutume – la qualité de la muséographie. Le musée développe l’art céramique des différentes civilisations qui ont peuplé la zone couverte par l’actuel Pérou: Tiwanaku, Moche, Chimu, Waki, Chachapoyas, Inca…
Cerise sur le gâteau et un peu à l’écart des autres collections, un cabinet érotique (carrément porno) de céramiques Moche dont les potiers ne se refusent rien…
Broderie d’un animal mêlant le jaguar, le serpent et l’oiseau:
Quipu (dispositif Inca permettant par l’agencement de nœuds de mémoriser des quantités):
Charles Quint en tant que dernier des empereurs Incas:
Crânes incas trépanés, la reconstruction des tissus démontrant que leurs propriétaires ont survécu à l’opération:
A l’époque ils portaient de petites parures sans prétention:
Ils aimaient bien personnaliser leurs cruches (céramique Moche):
Et (toujours les Moche) ils ne craignaient pas d’être particulièrement explicites:
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Vol pour Tarapoto au-dessus des Andes
Le survol des Andes est cinématographique. Les contreforts couleur de terre, arides et pointus, s’élèvent peu à peu, aucune végétation ni œuvre humaine ne venant, vu du ciel, perturber leur drapé. Quelques rivières et leurs routes opportunistes serpentent dans les vallées.
Soudain les sommets sont abrupts et blanchis. L’avion les survole de près : s’ils pointent à 6500 mètres l’avion n’est guère que mille ou deux mille mètres plus haut. A cette distance la neige des sommets est toute vivante, les surfaces brûlées par le soleil, les craquelures prêtes à céder, les pointes vives. Entre les morceaux de meringue des massifs blancs, les mêmes vallées terre de sienne, ocre, rouges, et parfois l’éclair d’un lac au bleu irréel.
Puis le relief s’affaisse et l’avion se pose entre des collines boisées. Tarapoto. C’est le début de l’Amazonie, là où la forêt amazonienne rencontre les montagnes.
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Route de Tarapoto à Yurimaguas
En sortant de l’avion on entre dans un hammam. Sur le tarmac l’air est étouffant, solide d’humidité.
Je prends un moto-taxi pour la place d’armes de Tarapoto et je déjeune d’une pataraschka, une spécialité d’Amazonie: poisson de rivière cuit avec des légumes et servi dans une grande feuille. Puis je monte dans un taxi collectif pour Yurimaguas, là où s’arrête la route.
Pendant deux heures et demi, et à mesure que tombe la nuit, le chauffeur double des camions en montée, coupe des virages, écrase son champignon ou pile. A l’arrière je suis serré avec deux adultes impassibles et un gamin qui vomit et à qui son père fait sniffer de l’alcool – le chauffeur tenait un bouteille et des sacs plastiques à portée de main.
A certains endroits la route a été balayée par une coulée de boue et est en travaux. Lenteur extrême de certains camions. Parfois un abri en bord de route.
Autour de la route: rien d’autre qu’une forêt dense qui recouvre toutes les petites montagnes à perte de vue.
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En bateau vers la forêt amazonienne
Yurimaguas. La “dernière ville terrestre avant la jungle” est un port plein d’animation. C’est l’embarcadère pour l’Amazonie profonde. Baraques aux toits en tôle, motos pétaradant à travers le damier des rues, et la splendeur tranquille du Rio Huallaga. Dernier contact moderne – hôtel, internet, banques… – avant cinq jours en Amazonie. Je savoure ma soupe de poulet à l’hôtel Rio Huallaga.
Créativité murale 1:
Créativité murale 2:
Le club des mateurs:
Le lendemain je laisse le gros de mes affaires à l’hôtel et je prends la lancha “rapide” (six heures quand même, au lieu de douze) pour Lagunas. Deux cent kilomètres à vol d’oiseau, mais c’est sans compter les méandres incessant d’un rio peu pressé.
En continuant encore deux jours avec la la lancha régulière, on longe par le Nord la réserve Pacaya-Samiria, le rio Huallaga se jette dans le rio Maranon, on passe la ville de Nauta (autre accès pour la réserve) et on atteint la ville d’Iquitos: c’est là que commence le fleuve Amazone; c’est la plus grande ville au monde non reliée par route à sa capitale. On peut aussi accéder à Iquitos par le Sud, en trois à cinq jours de bateau depuis Pucallpa, en descendant cette fois le rio Ucayali. Ou les moins courageux peuvent prendre l’avion. En continuant vers l’Est, on descend l’Amazone, on passe au Brésil, par Manaus, puis jusqu’à l’Atlantique.
C’est une longue pirogue où les passagers tiennent à trois ou quatre en largeur, couverte d’un toit, parquée entre d’autres bateaux. Je me trouve un siège bien à l’ombre. La place est chère contre mon ventripotent voisin qui s’étale. A l’approche de l’heure du départ – officiellement neuf heures – les coolies s’activent, le pilote lance son moteur puis l’arrête, et ainsi de suite. C’est sans effet: le flot entrant de marchandises se poursuit, des femmes montent pour vendre les usuelles victuailles, les passagers ne laissent pas d’affluer. Enfin le flot se tarit, les amarres sont larguées et la barque s’éloigne du port.
C’est bon endroit pour lire les nouvelles sportives:
La suite est une lente descente du rio Huallaga. Son cours est large de quelques centaines de mètres. Des deux côtés les rives basses sont ponctuées de vie humaine: pêcheurs en pirogue à moteur, habitations de bois ou de fortune, petits champs cultivés… La rive elle-même est en terre, et tombe dans l’eau souvent un peu abrupte – on devine le niveau du fleuve quand il est à son plus haut. Puis ce sont des forêts basses, tropicales mais sans rien de très touffu.
De temps à autres la lancha oblique et vient se planter littéralement dans la rive, le temps pour les passagers de monter ou descendre avec leurs colis. Dans les petits hameaux un groupe d’adultes et d’enfants observe l’événement.
Tout cela me rappelle étrangement ma descente du fleuve Salween en Birmanie: même largeur, même égrènement de la vie humaine au fil du chapelet du fleuve, mêmes méandres majestueux qui ne semblent pas devoir finir.
A la différence de la Birmanie cependant, où le bateau nous laissait à Bagan, la plaine aux mille pagodes; ici la lancha finit par accoster un petit village de maisons colorées. C’est Lagunas, l’entrée Ouest de la réserve Pacaya-Samiria. Il est quinze heures et mon guide Santos m’attend au débarcadère.
C’est un village de Far West, avec une route unique qui part perpendiculairement au rio Huallaga. Nous marchons une vingtaine de minutes et mon guide me laisse à une petite auberge de jeunesse.
Maisons en bois, toit en tôle ou en palmiers, intérieurs bauhaus…
Demain: départ dans la forêt amazonienne.