Hormis l’invasion des touristes (+25%), et pour ce qui nous concerne la visite de Ségolène Royal, rien ne semblait devoir distinguer cet été des précédents, même pas la présence de soleil.
Et voici qu’un mot emplit l’actualité du mois d’août : « Rússarnir » – les Russes !
Où l’on apprend que ces derniers, mettant à exécution une menace brandie voici plusieurs mois, ont décidé de se passer de produits islandais, notamment le maquereau. Ils veulent ainsi punir l’Islande, avec l’Albanie, le Liechtenstein, le Monténégro et l’Ukraine, de leur participation au boycott décidé par l’Union européenne et l’OTAN. Les estimations des conséquences varient, allant du dramatique au rassurant mais il est certain que les grands armateurs ainsi que certaines villes vivant de la pêche seront affectés.
Au-delà des conséquences économiques, l’irruption intempestive des Russes est un énorme pavé dans la mare. Elle jette une lumière crue sur la politique extérieure de l’Islande, et ce à plusieurs niveaux :
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- celui de la prise de décision et de la place qu’y occupent certains lobbies,
- celui de l’absence d’une vision claire et partagée sur la place de l’Islande dans le monde,
- celui d’institutions dont la vie repose essentiellement sur le compromis, alors qu’une politique extérieure est faite de choix.
Lors de l’annexion de la Crimée le gouvernement islandais a été un des tout premiers à condamner la Russie et on n’a guère entendu de critiques sur cet empressement. C’était aussi l’occasion pour Gunnar Bragi Sveinsson, le ministre des Affaires étrangères, de marquer sa différence par rapport au Président Ólafur Ragnar Grímsson que l’on disait son mentor et qui ne manquait jamais de célébrer son « amitié » avec Vladimir Poutine.
Des positions politiques « à front renversé »
Dès l’annonce du boycott les prises de position se multiplient, certaines attendues, d’autres moins.
Attendues sont celles des adversaires traditionnels de l’Union européenne déjà confortés par le sort fait à la Grèce. C’est ainsi que l’on entend Ögmundur Jónasson, ancien ministre Gauche Verte, expliquer que dans l’affaire ukrainienne l’Union européenne est au moins aussi coupable que la Russie et qu’il n’y avait donc aucune raison de la soutenir. Le Parti du Progrès, parti du Premier Ministre, est gêné. Officiellement opposé à l’adhésion de l’Islande à l’Union européenne, il doitsoutenir le choix du Ministre des Affaires étrangères, vice-président de ce parti, resté « droit dans ses bottes ».
La surprise vient du Parti de l’indépendance avec un éditorial paru dans le journal Morgunblaðið évidemment rédigé par Davið Oddsson et dans lequel celui-ci tire à boulets rouges sur le choix du ministre. Davið a été président du Parti de l’Indépendance et Premier Ministre pendant 12 ans et la politique des gouvernements qu’il a conduits a été uniquement atlantiste. S’agit-il par ce
revirement de casser l’alliance avec le Parti du Progrès ? De gêner l’actuel président du Parti de l’Indépendance ? De donner satisfaction aux armateurs propriétaires du journal dont il est un rédacteur en chef très bien payé ? Le parti se divise entre ceux qui sont prêts à suivre leur ancien
président et ceux qui approuvent les choix du Ministre des Affaires Étrangères. Comme souvent, il n’est pas facile de savoir ce que pense vraiment Bjarni Benediktsson, Ministre des Finances et actuel président de ce parti. Dans l’opposition, seule l’Alliance social-démocrate soutient clairement la politique officielle du gouvernement. La Gauche Verte est certainement divisée, Avenir Radieux uniquement occupé de ses divergences internes. Les Pirates se taisent.
De son coté le « lobby » du poisson fait feu de tous bois, dramatisant la situation à outrance pour en même temps faire comprendre qu’il se satisferait de la suppression de lataxe de 18% que l’UE impose sur maquereaux islandais. Jusqu’au maire de Vestmannaeyar qui menace de demander l’indépendance ce son archipel !!!
Quelle place dans le monde ?
Ces divergences sont aussi le reflet d’une opinion qui ne comprend pas bien pourquoi pour la première fois de son histoire elle est engagée dans un conflit qui la dépasse : « qu’avons-nous fait aux Russes ? » Lorsque le 1er décembre 1918 l’Islande devient indépendante, l’Acte d’Union prévoit que le Danemark devra assurer la défense de l’île et gérer sa politique extérieure. Ce choix semble convenir aux deux parties et n’est remis en question qu’après l’invasion du Danemark par l’armée allemande (mars 1940). Voici en 1941 l’Islande maître de son destin et évidemment très soucieuse de sa souveraineté. Mais les Américains leur montrent très vite les limites de cette dernière : présents depuis 1941 ils décident de rester après la fin de la guerre malgré les engagements pris, puis de partir pour revenir en 1951 en application d’un accord de défense qu’ils révoqueront unilatéralement en 2006 près l’avoir confirmé deux ans plus tôt, comme si la situation des Islandais avait peu d’importance pour eux alors qu’il s’agit en principe de leur défense.
La politique extérieure de l’Islande va se développer dans deux directions, celle de la défense de ses intérêts immédiats c’est-à-dire l’extension des zones de pêche, et celle de ses alliances et de sa sécurité, donc sa place dans le monde. Dans la première direction, pour porter leur zone de pêche de 3 à 12, puis 50 et enfin 200 milles marins entre 1958 et 1975, les divers gouvernements vont faire preuve d’une détermination et d’un sens tactique exceptionnels, soutenus il est vrai par une opinion unanime. L’argument est toujours le même : l’enjeu est vital pourleur « petit » pays, alors qu’il l’est beaucoup moins pour les grands pays, britanniques le plus souvent, qu’ils repoussent loin de leurs côtes. Pour ce qui concerne la place de leur île dans le monde, les divers gouvernants doivent au contraire naviguer entre l’affirmation sourcilleuse d’une « nation souveraine à part entière » et des abandons de souveraineté rendus nécessaires pour la défense de l’île et la préservation de ses marchés dans un monde économique de plus en plus concurrentiel.
© Valgerður Tryggvadóttir – Arnaldur Grétarsson & family Manifestation anti OTAN (1949) / © MorgunblaðiðAlors qu’en politique intérieure, tous les compromis sont possibles pour permettre des alliances de gouvernement, les principales décisions de politique étrangère vont être prises « dans la douleur » générant crises gouvernementales et manifestations violentes. Il en ira ainsi de l’adhésion à l’OTAN (1949), puis à l’Association Européenne de Libre Echange (1970). Plus tard, l’Islande comme la Norvège refuseront la main tendue de la CEE vers les pays de l’AELE, mais devra se résoudre, au prix à nouveau de violentes manifestations, à rejoindre l’Espace Économique Européen (1992).
Des institutions inadaptées aux choix de politique étrangère
On est dans l’OTAN ou on n’y est pas, alliés ou non des Russes ou des Chinois. Or les Islandais préféreraient ne pas être obligés de choisir. Ils aimeraient être les amis de tous, pour mieux vendre leurs produits évidemment, aussi parce qu’ils n’ont pas les moyens d’être belliqueux, et surtout parce que l’ouverture au monde fait partie de leurs valeurs fondamentales. Mais ils savent bien, Américains et Russes leur en ont fait la démonstration, qu’être amis avec tout le monde, c’est aussi, notamment pour un petit pays, ne l’être avec personne ; qu’il vaut mieux choisir plutôt que de se laisser imposer des choix. On voit bien, par exemple, que l’équilibrisme auquel se livre l’actuel gouvernement à propos de l’UE ne pourra pas durer éternellement. Les institutions islandaises sont mal adaptées à ces choix. Parce qu’aucun parti, pas même le Parti de
l’Indépendance, n’a à ce jour obtenu la majorité absolue à l’Alþingi, il a fallu bâtir des alliances sur la base d’un contrat de législature, et pour y parvenir se satisfaire du plus petit commun dénominateur, donc occulter ce qui pouvait gêner. Or, à l’exception de l’Alliance Social démocrate et de Avenir Radieux aujourd’hui moribond, pro européens, les autres partis sont partagés et veulent à tout prix éviter d’étaler leurs divergences au grand jour. C’est pourquoi l’adhésion à l’Union européenne est restée au niveau du non-choix jusqu’à ce que Jóhanna Sigurðardóttir, alors présidente de l’Alliance Social-démocrate, ose imposer la négociation d’adhésion à un allié Gauche Verte plus que divisé sur le sujet. Et on a pu entendre ici même la cacophonie à propos de l’arrêt des négociations alors que les deux partis au gouvernement semblaient d’accord sur l’objectif et le moyen d’y parvenir !
Simultanément un président de la République court le monde à grands frais pour que son pays y soit présent, et fait croire qu’il est doté de pouvoirs alors qu’il n’en a aucun bien qu’élu au suffrage universel ! Il est dommage que les travaux en cours sur la réforme constitutionnelle n’abordent pas ce sujet car il y a de toute évidence un problème. Piste de solution ? Un président doté d’un mandat clair en matière de politique étrangère, contrôlé par la Commission des Affaires Etrangères de l’Alþingi, avec la possibilité de provoquer un référendum en cas de désaccord fondamental. Une idée comparable avait un temps été évoquée : supprimer la fonction de président de la République et la confier, enrichie de pouvoirs en matière de politique extérieure, au président de l’Alþingi. Mais, outre que celui-ci semble avoir du mal à faire fonctionner le travail législatif dans de bonnes conditions, le fait d’être élu au suffrage universel donnerait au président nouvelle forme une légitimité essentielle dans les relations internationales
Relations franco-islandaises : la visite de Ségolène Royal
Parmi les pays « distants » de l’Islande, et réciproquement, il y avait la France. Mais voici que depuis quelques années les relations s’intensifient et prennent un tour concret avec notamment l’organisation de colloques par la Chambre de Commerce Franco-islandaise. Le dernier a eu lieu à Paris le 16 avril 2015 en présence du Président Ólafur Ragnar Grímsson, de Laurent Fabius et de Ragnheiður Elín Árnadóttir, Ministre de l’Industrie.
Le thème choisi – la géothermie – fournit l’occasion d’approfondir avec la signature d’accords entre les Universités d’Islande et de Strasbourg une coopération déjà engagée. En venant en Islande les 29 et 30 juillet la ministre française répondait à une invitation de son homologue islandaise. Il semble que sa posture « vice-présidente diva » ait quelque peu déconcerté des interlocuteurs habitués à plus de simplicité ! Mais l’essentiel était ailleurs : la signature sous l’égide de la Chambre de Commerce Franco-islandaise d’accords entre les clusters français et islandais de la géothermie, jetant les bases d’une véritable coopération industrielle. Et ce n’est pas fini puisque le président Hollande se rendra en Islande en octobre à l’occasion de la conférence « Arctic Circle » dans le cadre de la préparation de la Cop 21.
Les migrants
Les migrants fournissent une autre illustration de l’attitude des Islandais vis-à vis du monde extérieur. Après les Russes, ceux-ci font irruption dans la presse des derniers jours d’août. Le Premier Ministre Sigmundur Davíð (Parti du Progrès) avait décidé fin juillet que son pays recevrait 50 d’entre eux en deux années. Levers de boucliers : ce n’est pas assez ! Les diverses municipalités se disent prêtes à faire des propositions. Sur la page Facebook «Kæra Eygló Harðar – Sýrland kallar » ce sont au moins 50008 Syriens que l’on se dit prêts à accueillir… La Croix-Rouge reçoit la candidature de 700 bénévoles pour aider à leur accueil, et une multitude de fournitures ! Tous les « saumaklúbbar » (clubs de couture) s’engagent dans la confection de vêtements chauds ! Pour les gouvernants le problème change de dimension ; selon Sigmundur Davíð, cette crise est la plus grave connue depuis la seconde guerre mondiale. Une commission ad hoc est créée à sa demande. Il y a bien sur le flux et le reflux : Sveinbjörg Birna Sveinbjörnsdóttir, conseillère municipale de Reykjavík (Parti du Progrès comme le Premier Ministre), élue grâce à son opposition à la construction d’une mosquée, rappelle qu’il faut d’abord penser aux Islandais, et elle n’est certainement pas seule de son avis.
Autres sujets
Je reviendrai plus précisément le mois prochain sur l’actualité économique : des nuages sont apparus pendant l’été, inattendus comme le boycott russe ou la fermeture du marché nigérian, attendus comme la reprise de l’inflation après les accords salariaux signés au printemps ; auxquels il faut ajouter des alertes comme la chute de certains cours mondiaux du poisson et ceux de l’aluminium. Certains projets industriels devraient être revus. Pour sa part l’actualité politique a surtout été marquée par la révolution de palais en cours au sein du parti « Avenir Radieux » qui un temps deuxième parti d’Islande perdrait ses 6 députés si des élections avaient lieu maintenant.
Mais la vie continue…
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- 25.08 – le jour le plus chaud de l’été, comme le confirme la carte météo ci-contre, 18° à Reykjavík, dont les piscines et la plage ont été prises d’assaut,
- 28.08 – pour la « Menningarnótt » (Nuit de la culture) 120000 personnes défilent sous la pluie…