Brésil : le jour où j’ai bossé dans une favela

Lorsque nous habitions au Brésil, un de nos amis espagnols nous parlait souvent d'une organisation humanitaire dans laquelle il s'investissait pas mal. Après participation à une réunion d'information et de nombreuses discussions avec lui et notre groupe d'amis, nous avons saisi l'opportunité d'aller filer un coup de main à cette association le temps d'un week-end. Il s'agissait de constituer un groupe de 10 personnes, et d'aller construire une maisonnette en bois à une famille d'une favela, maison que nous financions en plus de notre participation aux repas et à la logistique. Expérience que je ne suis pas prête d'oublier...

Tout a alors commencé un vendredi soir... On se rend au point de rendez-vous vers 21h (le rdv était à 20h... normal), à l'autre bout de São Paulo, prêts à en baver. On est hyper surpris de voir autant de monde, brésiliens comme étrangers : près de 2000 personnes (réparties en petits groupes de 7 à 12) pour construire 150 maisons sur 12 favelas différentes juste sur ce week-end en question.

Vers minuit, après des heures d'attente interminables, on arrive sur notre lieu d'hébergement, une école près de " notre favela ". On va dormir à même le sol répartis dans les différentes salles de cette école. Après une courte présentation, on ne tarde pas à se coucher sur nos fins et étroits tapis de sols pour une courte nuit. 6h du matin le lendemain, debouuuuut! Oups les douleurs... Pas de douche, un sommaire petit déjeûner, tenue adéquate (il a fallu que j'abandonne mes talons !!!), les outils en main, et hop, on est prêts à bien bosser. On sent qu'il va faire très très chaud en ce samedi du mois de décembre 2012...

Brésil : le jour où j’ai bossé dans une favela

On prend un bus qui nous emmène jusqu'à la favela où on doit construire notre maison, Pintassilgo, située à Santo André, au sud de São Paulo. En cette fin d'année 2012, ça bouge dans les favelas ; on entend tous les jours parler d'elles dans les médias, même outre-Atlantique, en raison de la recrudescence de violence. Alors c'est vrai qu'on y va avec un soupçon de peur au ventre. D'ailleurs, une de nos amies qui devait participer au projet s'est désistée au dernier moment, trop effrayée qu'il puisse nous arriver quelque chose... Notre ami espagnol nous assure que l'ONG a de toute façon vérifié que cette favela est paisible.

Equipés de nos outils et de ceux de l'ONG, ainsi que d'un gros sac de nourriture qui servira à notre future heureuse propriétaire de nous faire à manger, on se dirige dans les escaliers escarpés de la favela. On porte tous des t-shirts au nom de l'ONG afin que les habitants de la favela puissent nous identifier. Visiblement, ce nom était déjà connu des locaux, car les gens nous accueillaient chaleureusement, un peu comme les sauveurs du lieu. Ils nous remercient pour ce que nous faisons (enfin à ce moment, on n'a pas encore fait grand chose justement!!), et nous disent que nous serons récompensés par Dieu, ou des trucs du genre...

Après 10 bonnes minutes de marche usante, nous voilà sur notre terrain, juxtaposé à celui de la " maison " (amas de tôles) de Joana, l'heureuse future propriétaire de notre construction. Bizarrement, Joana ne veut pas se séparer de son toit actuel, même si celui-ci fuit de partout et qu'il menace de s'effondrer au moindre coup de vent, elle souhaite juste l'agrandir pour accueillir ses innombrables petits enfants qui préfèrent rester avec leur grand-mère plutôt que leurs mères apparemment violentes.

Brésil : le jour où j’ai bossé dans une favela

On commence le travail dès notre arrivée sur le terrain, en se relayant à diverses tâches le plus efficacement possible. Il faut tout d'abord creuser des trous, plus ou moins profonds, pour planter les 15 pilotis de bois sur lesquels la maison va reposer. On est censés réussir à en faire 4 avant l'heure du déjeuner (il était 9h quand on nous a dit ça), et finalement, à 13h, ils étaient tous en terre ! Quelle efficacité, n'est-ce pas ! Bon, faut dire qu'on en a vraiment chié, et qu'on avait une équipe essentiellement masculine (même si, il faut l'avouer, les deux filles que nous étions dans cette équipe avons été d'une efficacité déconcertante !!).

13h, Joana nous a cuisiné des plats typiques de sa région natale, le Minas Gerais. Qu'est-ce que je me suis régalée ! Et je dois admettre que je ne m'attendais pas vraiment à aussi bien manger ici, quand je vois le sol en terre battue recouverte de déchets divers et variés... Ah, satanés a priori ! Joana est en tout cas ravie de constater le succès de sa cuisine auprès de notre groupe, et nous, on culpabilise quand-meme un peu au fond de nous de nous resservir alors que nous savons que ces gens-là n'ont habituellement pas grand-chose, et que ça leur ferait sûrement plaisir de garder des restes de tout ça. Il n'en est rien ; oui, ils n'ont pas grand-chose, mais justement à cause de ça, ils ont le sens du partage, chose que nous on a visiblement oubliée - ou jamais connue...

Brésil : le jour où j’ai bossé dans une favela

Début d'après-midi, l'estomac bien rempli, il est temps de s'y remettre. Ah tiens, je me rends compte que j'avais laissé mon appareil photo toute la matinée posé sur un petit rocher. Il n'a pas bougé... Et on dit qu'il ne faut pas aller dans les favelas avec des trucs de valeur ? Voici la preuve que tout n'est pas aussi noir...

Installation du quadrillage de bois pour poser le sol de la maison sous une chaleur écrasante. Les petits enfants de Joana viennent nous voir, intimidés par notre accent qui sonne bizarre à leur oreille, et curieux de savoir ce que nous sommes en train de construire pour eux. Ils vont et viennent avec des verres de soda frais à la main qu'ils nous offrent en accompagnant leur geste d'un grand sourire plein de reconnaissance. Ça parait idiot décrit comme ça, mais je t'assure que le sourire d'un enfant si jeune qui vit dans de telles conditions, et bien c'est un véritable cadeau quand il t'est destiné...

On est de nouveau tellement efficaces qu'on achève nos travaux du jour avant la fin d'après-midi (la logistique de l'ONG devait apporter le reste du matériel le jour d'après). La responsable de notre groupe nous répartit pour aller aider les autres constructions de la favela, plutôt très en retard. Le soir, bon dîner servi dans l'école, et à 23h, ça roupille dur là-dedans ! On rêve d'une douche après cette journée de dur labeur, on est vraiment crades de chez crades.

Lendemain matin, réveil avant 6h. On se réveille dans la même position que celle qu'on avait quand on s'est couchés, d'une part parce que de toute façon, on n'a pas vraiment de place pour changer de position à notre guise, mais surtout parce qu'on était crevés !!! Ptit dej, pseudo-toilette de chat, et re-au boulot. Là encore, on met la main à la pâte dans les autres constructions puisque la nôtre est trop avancée. Quelques gouttes de pluie viennent miraculeusement nous rafraichir de temps à autres, suivies d'un rayon de soleil brulant. La nuit arrive, et à cause d'un retard de la logistique, on n'a pas encore tout notre matériel. Mais il n'est pas question de partir de la favela sans laisser à Joana sa maison promise. Les familles nous installent donc des lumières, et, pendant que la moitié du groupe fixe le toit, l'autre moitié s'occupe d'enjoliver la maison avec des détails qui changent tout.

Puis vient l'heure de l'inauguration, grand moment d'émotion où nous avons pu offrir à Joana cette maison (et, par fierté, je tiens à préciser que nous sommes le seul groupe qui a réussi à finir sa maison dans les temps!). Elle et ses petits enfants nous ont embrassés, pleins de gratitude, et nous les avons laissés investir leur maison, que nous viendrons peindre plus tard...

Brésil : le jour où j’ai bossé dans une favela Un jour, j'ai bossé dans une favela. Ce jour-là, outre la satisfaction d'avoir fait une bonne action, j'ai appris énormément sur moi, sur les autres, sur les favelas, sur le Brésil... et des dizaines d'a priori se sont envolés.

À tous ceux qui se tâtaient à un jour vivre une expérience humanitaire, on vous recommande vivement de vous lancer. De tout ce que nous avons vécu au Brésil, c'est de loin l'expérience la plus enrichissante et la plus émouvante que nous ayons vécue.

Mail : [email protected]

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