Depuis plusieurs semaines déjà, je vous parle de châteaux que j’ai eu l’occasion de visiter, que ce soit en France, au Portugal ou au Moyen-Orient. Mais sans aucune hésitation, si je pouvais m’installer dans un château, je choisirais celui de Chillon, en Suisse. Pourquoi ce château plutôt qu’un autre? Qu’est-ce qui le rend si spécial à mes yeux? Voilà les questions qui serviront de trame de fond à mon billet d’aujourd’hui, dans lequel je vous partage les principales raisons de mon coup de cœur pour ce château médiéval.
♥ Un emplacement unique
Je n’avais pas l’intention de visiter le château de Chillon. Tout comme tomber amoureux, ce n’était ni prévu ni même réfléchi. Cette visite s’est imposée à moi, tout simplement. Après une randonnée au mont Pèlerin, afin de profiter du calme et de l’air frais des montagnes, nous avons fait une pause au panorama de Jongny pour le lunch. Bien rassasiés, notre objectif était alors de filer tout droit vers Genève, où je devais faire une présentation dans le cadre d’un congrès le lendemain matin. J’étais enceinte et particulièrement fatiguée par cette longue matinée de randonnée dans les montagnes. Je n’avais qu’une envie : dormir.
Panorama de Jongny, Suisse
Nous roulions tranquillement entre Montreux et Villeneuve et mes yeux se fermaient peu à peu quand il est apparu soudainement dans le paysage. Un véritable château de conte de fée qui semblait avoir été posé en plein cœur du Lac Léman. Je n’en croyais pas mes yeux et, l’espace d’un instant, j’ai eu le sentiment d’être dans un rêve. Plus nous approchions, plus l’évidence me frappait : je devais absolument visiter ce château. Plus qu’une envie, je dirais que c’était un besoin… Avec un pot de cornichons à l’aneth, mon bonheur aurait été parfait, mais il n’y avait rien de tel dans les environs (ah les femmes enceintes et leurs fixations alimentaires!). Nous avons donc ajouté cette visite à notre itinéraire.
Construit sur un îlot rocheux qui s’avance dans le Lac Léman, le château de Chillon bénéficie d’un cadre naturel extraordinaire. Autrefois jugé stratégique afin de commander le passage entre le nord et le sud de l’Europe, l’emplacement du château en fait aujourd’hui un attrait touristique important en Suisse. De fait, il attire 350 000 visiteurs par année. Il faut dire que l’on peut difficilement passer devant ce château sans s’y arrêter (allez, je vous mets au défi d’essayer!). Une fois à l’intérieur, après avoir accédé au donjon par un escalier étroit, de très belles vues sur Montreux, le Lac Léman et les Alpes s’offrent aux visiteurs.
♥ Une architecture révélant une histoire riche et complexe
Vous n’êtes pas convaincus par l’emplacement unique de ce château? Vous serez, sans aucun doute, charmés par son architecture qui révèle une histoire riche et complexe. Après avoir franchi le fossé qui entoure le château, en empruntant un pont du XVIIIe siècle qui remplace l’ancien pont-levis, nous avons rapidement constaté l’empreinte laissée successivement par les périodes savoyardes, bernoises et vaudoises sur les lieux.
Pour les amateurs de faits historiques, voici un bref résumé de ces trois grandes périodes :
Certains documents historiques témoignent que la famille de Savoie contrôlait déjà le passage le long du Lac Léman dès 1150. Malgré tout, les historiens s’entendent généralement pour dire que c’est au milieu du XIIIe siècle que le château prit son aspect actuel, lorsque Pierre de Savoie II décida d’en faire la résidence des comtes. Cette période, qualifiée de savoyarde, fut importante pour le château, qui en garde encore plusieurs traces. C’est le cas, notamment, dans la grande salle du bailli-châtelain, qui porte les armoiries de Savoie. Les chambres à coucher des comtes et des ducs de Savoie nous font également voyager dans le temps, avec les vestiges de leurs anciens décors peints au XIIIe et au XIV siècles. À la fin de cette période, le château a toutefois eu un destin moins doré, en servant surtout de prison d’État. Pendant six années, soit de 1530 à 1536, on prétend que François de Bonivard y fut enchaîné à l’un des piliers de roc du souterrain du château, où l’on peut aujourd’hui admirer de belles voûtes d’ogives.
Pendant la période bernoise, le château conserva son rôle essentiellement militaire, en servant de forteresse ainsi que de lieu de stockage pour les canons et les munitions. À partir de 1656, il fut utilisé comme port principal sur le Lac Léman pour la flotte de guerre bernoise. Aujourd’hui, l’ancienne salle de réception des châtelains accueille un musée, où différentes armes et armures de l’époque sont exposées. En 1733, le château fut finalement converti en hôpital pour les blessés de guerre.
A partir de la Révolution vaudoise, en 1798, les Bernois quittèrent Chillon et le château devint la propriété du Canton de Vaud, dès sa fondation en 1803. Depuis la fin du XIXe siècle, le château a subi de nombreuses restaurations.
J’ai beaucoup aimé me balader dans ce château et admirer l’influence des différentes périodes qui l’ont traversé et qui hantent encore les lieux. J’ai apprécié la collection de coffres, les plafonds, les peintures ainsi que le mobilier des différentes pièces, mais ce sont surtout les éléments rappelant la fonction défensive du château qui m’ont touchée : les tours de défense, le chemin de ronde, les meurtrières, ainsi que les souterrains.
♥ Une source d’inspiration artistique
À l’instar de nombreux artistes, qu’ils soient poètes ou peintres, ce château m’a profondément émue lors de mon séjour en Suisse. Dès la fin du XVIIIe siècle, des écrivains romantiques et des poètes ont été fascinés et inspirés par le château de Chillon. Cet intérêt débuta avec Jean-Jacques Rousseau qui, dans son roman La Nouvelle Héloïse, publié en 1761, avait bien décrit la région de Vevey. C’est d’ailleurs devant le château de Chillon que la mort de son héroïne, Julie, a lieu, dans les eaux du Lac Léman. Inspiré par les écrits de Rousseau de même que par l’histoire de François de Bonivard, Lord Byron publia, en 1816, Le prisonnier de Chillon.
Le lac Léman baigne les murs du château de Chillon. Du haut des créneaux blancs comme la neige, la sonde s’enfonce à mille pieds dans la profondeur des ondes qui enveloppent le donjon de toutes parts. Ainsi la double barrière de la pierre et des flots faisait de notre cachot une tombe vivante… – Lord Byron (1816), Le prisonnier de Chillon.
Par la suite, avec les écrits de Dumas, le cachot dans lequel Bonivard a été emprisonné est devenu un véritable lieu de pèlerinage. Or, selon plusieurs historiens, la réalité n’était pas aussi romantique que la littérature de l’époque le laisse transparaître… Certains prétendent même qu’au début de sa captivité, Bonivard disposait de deux chambres dans le château, où il poursuivait ses recherches et mangeait avec le capitaine de la forteresse.
Tout comme dans les poèmes et les romans, certains peintres ont aussi mis en valeur la structure pittoresque du château, le paysage montagneux qui l’entoure, ainsi que l’histoire du célèbre prisonnier. Ainsi, Courbet, Delacroix, Turner et bien d’autres y ont puisé l’inspiration pour leurs œuvres.
Le château de Chillon peint par Gustave Courbet en 1874 Le Prisonnier de Chillon, par Eugène Delacroix
Alors, êtes-vous convaincus?
Si vous avez besoin d’un argument supplémentaire pour visiter ce château, sachez qu’il produit son propre vin, le Clos de Chillon. Le produit des ventes est affecté aux œuvres de conservation et de restauration du monument. Condition de femme enceinte oblige, je n’y ai que trempé mes lèvres… Mais rassurez-vous, j’ai trouvé un pot de cornichons en route vers Genève! ;-)