Assis dans l’herbe les yeux fermés, le vent, plus que rafraichissant, me fouette le visage. Son ami le soleil apaise ces séries de gifles souffleteuses de ses rayons attendrissants. Je suis enraciné avec le promontoire. Il n’y a aucune raison d’avoir peur. Il ne faut pas avoir peur. Il faut faire corps avec le sol. Je fais le vide dans mon esprit. Mes muscles se relaxent et je me laisse pénétrer par les éléments. A quelques centimètres d’où je suis assis, la verdure laisse la place au vide. Sensation de vertige rien que d’y penser. Comme si ce vide me prenait par la main pour me montrer que ma peur n’est que futilité. En dessous, à 200 mètres plus bas, les vagues s’éclatent contre la falaise. J’essaye d’oublier qu’à tous moments le vent pourrait me prendre avec lui pour me bercer un instant, me faire croire que je peux voler avant de me jeter dans les bras de sa compagne la mer et me fracasser sur les roches.
Pourquoi pas après tout ? Vivre un instant d’éternité ou bien vivre une éternité pour un instant ?
Je m’allonge. Sur le ventre. C’est moins stressant. Dans le ciel, sur les parois, sur la mer, des milliers d’oiseaux survolent le site. L’air est empli de bruits marins. D’embruns marin. D’oiseaux marins comme Le Petit Pingouin (Alka), Le Guillemot de Troil (langvía), le Guillemot de Brunnick (stuttnefja), la Mouette Tridactyle (rita), le Macareux Moine (lundi) ou le Fulmar boréal (fýll) y nichent. Un paradis pour les amateurs d’oiseaux. Je ferme les yeux, le vertige reprend. Autour de moi, c’est Látrabjarg. La côte nord-ouest de l’Islande. Le point le plus à l’ouest du pays.
Látrabjarg c’est 14 kilomètres de long et autour de 440 mètres de hauteur à son point culminant. Des bourrasques de vent à décoiffer un chauve. Des piaillements d’oiseaux qui rivalisent avec les déferlements assourdissants des vagues contre la pierre volcanique en plein cœur de l’été. Des sensations extrêmes si on veut l’admirer en plein hiver. Les mêmes mais plus abordables en plein été. Une côte sur lesquelles les embarcations se sont échouées. On y entendrait presque les râles des défunts mêlés à ceux de l’écume qui les étouffe. Une côte où la chasse aux oiseaux fut prolifique autant que le ramassage des œufs. Une côte où l’on se sent si petit face au monde. Je me retourne sur le dos et souris au ciel. Plus calme, plus limpide et plus loin. Étrange… Le vide au-dessus de ma tête me rassure alors que celui d’au-dessous me paralyse… Il est quand même insolite de cheminer sur une route si cahoteuse afin d’admirer un paysage si grandiose et qu’à la fin on s’en détourne de peur d’être emporté par sa magie.
Alors que je rebrousse chemin, me tenant éloigné du dessin sinueux de la falaise, la conscience tranquille après ce recueillement au naturel, je pense aux touristes qui boudent souvent les fjords de l’ouest par ignorance. Ces fjords si proches de ce que l’Islande était avant son entrée dans le tourismepognon. Loin de la N1. Tant mieux. D’ailleurs, sur place, à Bjargtangar, il n’y a pas de wc. Signe qui estampille un site d’un autre par son activité touristique. Je retraverse Hvallátur où des pirates espagnols furent massacrés au 17e siècle. Le hameau des maisons qui y ont été restaurées donne un caractère paisible et pittoresque à l’endroit et je me dirige dans la poussière que soulève mon véhicule, vers Rauðisandur où là encore un spectacle flamboyant m’attend…