Les mois passés ont été décrits ici comme des mois de bouillonnements : montée des Pirates, passage en force du gouvernement à propos de la négociation d’adhésion à l’UE, et, plus récemment, grèves pour des revendications apparemment irréalistes, hésitations autour de la levée du contrôle des changes… Et voici que le mois de juin paraît celui des solutions. Sur le «front social» : les nombreux accords dans le privé comme dans le public permettent d’écarter la menace d’une grève générale. Pour ce qui concerne la levée du contrôle des changes, le gouvernement annonce un plan qui est salué de toutes parts pour sa qualité. Mais pour calmer de justesse la fronde sociale, il doit accepter des concessions politiquement douloureuses, coûteuses et évidemment non inscrites au budget. Pourra-t-il les financer avec la taxe qu’il veut imposer pour lever le contrôle des capitaux ? Beaucoup de voix s’élèvent, notamment la Banque Centrale, pour crier au risque de relance de l’inflation… D’ailleurs, l’incendie est-il vraiment éteint ?
Jacques Mer est décédé un 17 juin, jour de la Fête Nationale d’Islande… Quel symbole ! Je remercie tous ceux, vraiment nombreux, qui ont répondu à mon mèl par des messages de sympathie et demandé de transmettre leurs condoléances à sa famille. Ce que j’ai fait.La levée du contrôle des changes en Islande
Et d’abord pourquoi a-t-on instauré ce contrôle ? Dans les années précédant la crise de 2008, un certain nombre de fonds – fonds souverains notamment – spéculent sur la monnaie islandaise sans que les autorités islandaises s’en émeuvent, heureuses de voir la couronne objet de tant de sollicitude. Ce sont ainsi, au moment de la crise, environ 600 milliards d’Ikr (soit 4.2 milliards d’euros – 42% du PNB islandais d’alors) de Glacier bonds libellés en Ikr que détiennent des opérateurs étrangers et dont il faut à tout prix éviter la sortie sous peine de voir la couronne chuter plus encore. Un contrôle des changes drastique est décidé avec l’approbation du FMI. La situation devient plus difficile encore à mesure que les liquidateurs des trois banques en faillite parviennent avec un réel succès à réaliser leurs actifs. Ce sont 900 milliards d’Ikr, détenues tant par des résidents islandais que par des non-résidents, qui viennent s’ajouter aux avoirs évoqués précédemment mais réduits entre temps de moitié à l’occasion de négociations avec la Banque Centrale, soit au total 1200 milliards d’Ikr.
Pour lever le contrôle des changes sans dommage pour l’économie islandaise, il faut que la sortie de ces sommes gigantesques soit très étroitement encadrée ou soumise à une « taxe de stabilité » fixée à 39% de leurs actifs. Tel est l’essentiel du plan annoncé et voté le 7 juin (1) :
- pour ce qui concerne les trois banques en faillite (voir exemple avec Kaupthing), des négociations ont eu lieu préalablement à l’annonce du plan, encadrant très étroitement leurs sorties. Elles seront exonérées de la taxe de stabilité pour la partie correspondant à la mise en oeuvre de leurs engagements avant la fin de l’année,
- les détenteurs de « glacier bonds » pourront participer à des enchères organisées en fin d’année par la Banque Centrale d’Islande ou investir dans des valeurs que leur seront alors proposées.
La taxe de stabilité devrait apporter au Trésor islandais 640 milliards d’Ikr (4.3 milliards d’€). Quels que soient les choix des opérateurs, ces mesures devraient selon leurs promoteurs suffisamment alléger la charge sur les marchés pour que le cours de la monnaie soit maîtrisé.
Il y a bien sur débat autour de l’utilisation de ces milliards d’Ikr (1/3 du PNB !). Construction du nouvel hôpital, souhaitent les cigales ; résorption de la dette publique rétorquent les fourmis, dont évidemment le Président de la Banque Centrale, très inquiet pour le niveau des prix…
Et certains se distinguent en faisant remarquer que ce plan n’apporte aucune solution à la fragilité de la monnaie, qui reste exposée à un retour au contrôle des changes en cas de turbulences.
Même s’ils présentent le plan ensemble, on note aussi une discrète concurrence pour se l’approprier entre le Premier Ministre et le Ministre des Finances, présidents des deux partis au pouvoir. C’est d’ailleurs à la suite d’une indiscrétion et la crainte d’un effet négatif sur les marchés que la Commission des Affaires Économiques de l’Alþingi est convoquée le 7 juin à 17 heures et le projet examiné par l’assemblée dans la nuit suivante.
L’actualité politique
Malgré le gros effort de communication autour de ce projet, qualifié par un Premier Ministre toujours prêt à l’autopromotion comme le plus ambitieux de toute l’histoire économique de l’île, les sondages vibrent peu. Le gouvernement progresse de 31.4 à 31.9% toujours au profit du Parti de l’Indépendance : 23.3% (21.2) alors que le Parti du Progrès est à 10% (11.3). Dans l’opposition le Parti Pirate, à 32.4% (34.5), perd un peu de terrain mais continue de représenter à lui tout seul la même audience que le gouvernement. Les autres partis bougent peu : Alliance social démocrate : 11.6% (11.8), Gauche Verte : 10.5 (11.1) et Avenir Radieux : 6.8% (6.7) (2) .
Le 17 juin, jour de fête nationale, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, Premier Ministre, est conspué pendant son traditionnel discours prononcé au pied de la statue de Jón Sigurðsson, héros national dont le 17 juin est l’anniversaire de naissance. Personne n’entend que…
nous célébrons aujourd’hui et nous réjouissons d’être membres d’une grande famille avec ses diversités. Ce jour nous appelle à l’unité, il nous rappelle que nous sommes une communauté avec une histoire et une culture communes, une communauté dont l’unité est source d’engagement et de réussite
Ces manifestations ne sont pas du goût de tous, parce qu’elles exposent des divisions en ce jour de fête nationale (il y a très peu de précédents !)– à quoi d’autres répondent qu’ils manifestent précisément pour défendre la cohésion des Islandais -. Mais surtout a-t-on pensé aux enfants qui attendent depuis des jours de pouvoir profiter des nombreux jeux organisés à leur intention ?
Le droit de vote des femmes – 100 ans
Ce 17 juin est aussi l’occasion de célébrer le 100ème anniversaire du droit de vote des femmes, en fait voté par l’Alþingi le 19 juin 1915. Aux élections législatives suivantes, Bríet Bjarnhéðinsdóttir, reconnue comme l’héroïne islandaise du droit des femmes, est la première candidate, en quatrième position sur la liste conduite par Hannes Hafstein, premier Islandais Ministre d’Islande de 1904 à 1912, mais la liste n’obtient que 3 sièges. Il faut attendre 1922 pour que soit élue une femme : Ingibjörg H. Bjarnason, « Fröken Ingibjörg », sur la « Liste des Femmes ».
Actualité sociale
Ces derniers mois, pendant lesquels devait être renégociée une majorité d’accords salariaux, étaient lourds de menaces sociales tant les organisations de salariés paraissaient prêtes à aller jusqu’au bout de revendications jugées irréalistes par leurs interlocuteurs. Toutes ces revendications devaient confluer en une grève générale en juin. Il était clair que l’objectif était de faire plier un gouvernement jugé sourd et aveugle. Celui-ci finit par céder et prend fin mai des mesures susceptibles de faciliter les négociations dont:
- réforme de l’impôt sur le revenu, pour alléger la charge sur les bas revenus, soit un allègement total estimé à 13% de cet impôt,
- pour ce qui concerne le logement, actions pour réduire les coûts de construction, et aides à a location pour les revenus les plus modestes,
- construction de 2300 logements sociaux,
- création d’un « conseil macroéconomique » associant le gouvernement, les organisations syndicales et d’autres acteurs de la vie économique.
Ce signal permet un lent dégel de la situation. Le 29 mai, VR (3)(salariés du commerce) et d’autres fédérations qui se sont jointes à elle signent un accord qui concerne 70000 salariés et sera approuvé ultérieurement par environ 70% d’entre eux. Les augmentations sont significatives notamment pour les bas salaires puisque le minimum sera porté à 300000 Ikr (2000€) au 1er mai 2018 (aujourd’hui 230000 Ikr, soit +30%), alors que des salaires de 550000 Ikr n’augmenteront « que » de 90000 IKr (+16.4%).
Cet accord fait école… Les plus réticents sont dans le privé les techniciens et ouvriers de l’industrie électrique et les salariés de la restauration, dans le public les infirmières issues de l’Université. Les premiers signent après de longues négociations un accord proche des précédents. La situation est beaucoup plus dure du coté des infirmières de l’Hôpital National. Dans un secteur en sous-effectif à la suite des économies décidées par le gouvernement, la grève se fait immédiatement sentir. Mais les infirmières restent sourdes aux appels. S’agissant du secteur publique le gouvernement peut faire voter une loi de réquisition, ce qu’il se décide à faire après beaucoup d’hésitation le 12 juin (4): la grève est interdite et les parties ont jusqu’au 1er juillet pour trouver un accord, faute duquel il appartiendra à un tribunal arbitral de trancher. Pendant que 250 infirmières, soit 1/4 d’entre elles, démissionnent, la négociation reprend et se conclut par un accord signé le 23 juin, jugé préférable par les négociateurs à l’arbitrage du tribunal. Les infirmières recevront une augmentation de 18.6% sur les quatre années à venir. Mais l’accord ne semble pas satisfaire les intéressées. En route vers l’arbitrage ?
Sur cette photo (à gauche), supervisant la fabrication de gaufres, admirons Bryndís Hlöðversdóttir, nommée Médiateur National à partir du 1er juin, et qui depuis sa prise de fonction n’a pas du beaucoup dormir !
En a-t-elle terminé ? Les accords sont signés pour plusieurs années et devraient, sauf circonstances exceptionnelles, être respectés. Mais l’attitude des infirmières, et pas seulement elles, montre combien le malaise est profond. Ces augmentations, si substantielles soient elles, même si l’inflation ne les absorbe pas en partie, ne suffiront pas à réduire le mécontentement face à une politique qui méconnait totalement le besoin de cohésion sociale des Islandais.
Actualité économique
Pourtant le 29 juin la banque centrale se félicite de la progression de la note de Moody’s, de Baa2 à Baa3 ; de la même manière qu’elle peut être satisfaite du commentaire positif du FMI.
Il est vrai que les prévisions confortent la satisfaction qu’expriment en toutes occasions les membres de la majorité, notamment les présidents des deux partis : progression du PNB de 4.1% en 2015, portée par l’investissement (+18.2%) et la demande intérieure (+6.1%), et malgré cela une balance commerciale à l’équilibre.
Relations internationales
- le 8 juin Gunnar Bragi Sveinsson, Ministre des Affaires Etrangères, reçoit Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, en visite officielle pour deux jours,
- il rencontre le 23 juin à Berne Didier Burkhalter son homologue suisse, la première rencontre à ce niveau depuis 2002. Un des principaux sujets abordés est la position respective des deux pays vis à vis de l’UE,
- le 30 juin, réunion à l’ONU préparatoire à la COP 21. L’Islande met l’accent sur l’importance de la géothermie et fera partie du groupe de travail international créé à propos de cette énergie,
- pour ce qui concerne le gaz à effet de serre, Gunnar Bragi confirme que l’Islande s’associera ainsi que la Norvège à l’objectif de -40% par rapport à 1990 décidé par l’UE.
Autres :
Grande journaliste, francophile et francophone, Elín Pálmadóttir est connue pour ses travaux sur ces pêcheurs partis de côtes françaises pour pêcher autour de l’Islande, et dont 4000 ne seraient pas revenus. C’était une belle idée de l’Ambassade de France que la décorer de la Légion d’Honneursur la goélette « l’Etoile », mais la météo en a décidé autrement. C’est donc le Musée Maritime de Reykjavík qui a été choisi. D’après la photo Elín ne paraît pas s’en formaliser !
Pendant ce temps la vie continue…
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- 04/06 : la police de la région sud de l’Islande a en un an distribué 800 contraventions pour non respect du code de la route, dont environ la moitié à des conducteurs étrangers ; faudrait-il traduire les panneaux ?
- 12/06 : en football, l’Islande a raison de la Tchécoslovaquie 2-1. Sur que la présence de Sigmundur Davíð et Bjarni alors qu’ils étaient attendus à l’Alþingi y a contribué !
- 25/06 : Páll Valur Björnsson, député d’ »Avenir Radieux » veut que chaque session de l’Alþingi débute par une chanson ; nul doute que son parti va ainsi enfin bousculer les sondages !
- 26/06 : Ragnhildur Jónsdóttir, seule Islandaise à y croire, est mécontente du projet de construction de l’aéroport domestique sur le Hvassahraun, car on y dérangerait « ses » Elfes. Elle propose de le construire ailleurs. Mais ne dit-elle pas que les Elfes et leurs compagnons hantent toute l’île ?
- 01/07 : pour assister au destin tragique d’un camping-car… Aurait il dérangé des Elfes ?