Ban Pangkhan se trouve à quelques enjambées des rives du Mékong et à chaque fois que l’occasion nous ait donnés d’y aller traîner nos guêtres, nous répondons :
« ─ Présents ! ».
Il y a quelques jours nous étions conviés pour une petite fête d’anniversaire par un Farang-Isan , Fernand, lecteur de « Un os dans le riz » qui s’était donné la peine de venir nous rendre visite au village pour avoir une griffe sur la deuxième de couverture du polar. Indéniablement, nous nous rendions compte que nous partagions une certaine idée de la vie en Isan, pour faire court, que nous avions de nombreux atomes crochus. Cela fait quelques années que Fernand s’installe tranquillement du coté de Ban Pheang (Province de Nakhon Phanom), petite bourgade provinciale qui s’étire le long de la route 112, une voie allant de Ubon Ratchathani à Nongkai accompagnant le cours du fleuve mythique.
La route.
Il y a plus de quinze ans, j’y avais visité un ami qui habitait alors non loin de Seka qui se trouve désormais dans la nouvelle province de Bueng Kan, et qui à cette époque se trouvait encore dans la province de Nongkai. J’avais un souvenir d’une route où les paysages étaient d’une grande beauté mais d’une route qui était alors plutôt une piste inondable lors de la saison des pluies, parsemée de nids de poule, genre, nids pour poules géantes !
300 kilomètres de route qui nous emmènera à traverser tout d’abord au nord de Kunchinarai des petites routes bucoliques nichées au milieu de collines arborées où l’exploitation d’hévéa et le maraîchage semblent être l’activité des montagnards de L’Isan. Je prends souvent cette route lire l’article à ce propos : « la route du serment grillé ! » pour me rendre à la ferme coopérative Thai-French Beff afin d’y déguster un bon steak et d’approvisionner mon frigo de cette viande dont le goût et la tendreté est incomparable.
Après un bon repas et une commande de viandes que nous reprendrions à notre retour, nous continuions notre route et devions contourner Sakhon Nakhon et son immense lac par le nord avant de bifurquer à Ban Ta Rea (Prononcez Ban Talé Village de la mer comme de nombreux sites se nomment ainsi près des lacs et retenus d’Isan). Ma Dame rectifiait de suite le nom de ce district en le surnommant Ban Kin Maa Le village des mangeurs de chiens, célèbre dans tout l’Isan pour son commerce de viande canine et son trafic international de ces pauvres bêtes vers le Laos et le Vietnam (le vendredi précédent la police avait encore saisi plus de 700 kilos de viande sur pied prête à être acheminée vers les voisins de l’est faisant encore la une de la presse nationale).
Source photo : Nation
Mais nous étions repu, pas question de tailler une autre bavette, même si la curiosité dans l’habitacle du pick-up voulait que l’on s’arrête au marché afin de reluquer d’éventuels stands de boucherie canine, je tenais bon la barre et continuait plein nord vers les rives du Mékong.
Une route rectiligne sans circulation, des rizières assoiffées à perte de vue, une rivière que nous enjambions, la Mea Nam Songkhram et nous arrivions sur la route 112. La route est belle, bordée de nombreuses essences fleuries mais les nombreux travaux d’élargissement de la voie montrent que le temps de ces paysages d’une beauté rare est compté. On scie, on rase, on passe en quatre voies ! Dommage !
Nous arrivions très vite à Ban Pheang, on l’évitait, la maison de notre hôte se trouvant à la limite sud de la province de Bueng Kan à toucher le fleuve pas très loin du port ou des ferrys font la navette avec le voisin Laotien.
Fernand sur la terrasse de son bungalow surplombant le Mékong.
Après les « Sawadee » et « Wai » d’usage, Fernand nous emmenait visiter son « p’tit coin de paradis ». Un petit terrain au bout d’un chemin de glaise séchée qui doit être un vrai bourbier lors de la mousson, ce qui laissera ce petit bout de terrain surplombant le fleuve à l’abri de trop nombreuses visites. Un petit bungalow, pas d’électricité, une terrasse vue sur les collines Laotiennes, point d’observation de l’activité du fleuve. Gravières et extractions de sable étant l’activité principale à cet endroit. Tout autour, des arbres fruitiers, des cultures éphémères plus l’on se rapproche des berges inondables, des joncs de quelques mètres de haut poussant des rives riches d’alluvions de la dernière décrue. Un petit escalier en terre descendant vers les eaux tumultueuses, un bateau pour la pêche. Des pirogues en pagaille ancrées le long de la berge pour aller relever les filets, récupérer des fûts d’arbres que le fleuve draine à la mousson ou à la nuit tombée servant à faire passer des hommes ou des marchandises souvent illicites d’une rive à l’autre. Le soleil couchant offre une superbe lumière, à l’est derrière la jungle luxuriante qui recouvre le relief, il y a la mer. En effet, le Vietnam est tout proche et sa cote à quelques encablures. La chaleur anormale en cette saison nous fait rêver de plages et d’une baignade rafraîchissante.
La pénombre s’installe, un petit vent se lève, dans le viseur de nos jumelles, il y a de plus en plus de mouvement juste en face, ici, le Mékong fait pas loin de un kilomètre de large. Les contrebandiers sont sur la brèche.
Le beau-frère qui loge dans un cabanon tout proche arrive accompagné de sa horde de chiens issus de mixités des races improbables. Les anecdotes fusent. Les Laotiens manquent de tout et viennent « magasiner » du coté Thaïlandais. Gaz, fringues, chaussures, produits manufacturés. Les Laotiens manquent d’argent et font le bonheur des Thaïs, pour les travaux du bâtiment, les récoltes, les semailles du riz, une main d’œuvre corvéable et à bas-coût. Les pilules roses qui rendent fous Yaba qui ont remplacées Héroïne et Bouddha Grass passent par là aussi, enfin un petit peu moins qu’avant depuis que l’armée à investit le fleuve et ceci depuis une bonne année. L’ancien chef du village évincé, mis au ban, ayant bâti sa richesse avec le trafic de bois précieux, en quantité importante au sein des forêts Laotiennes. Des laotiens arrivés par ici en 1975 à l’avènement du Pathet Lao fuyant d’éventuels représailles parce qu’ils avaient pendant de nombreuses années choisis le mauvais camp, se sont installés par là et gardent le contact avec leurs anciens compatriotes et semblent être le lien de tous ces trafics… Et j’en passe ; l’âme du fleuve transpire par ici, les deux peuples s’enchevêtrent, se mélangent pour n’en former plus qu’un. Le peuple du Mékong.
La nuit s’est installée, les cris des grillons ne laissent pas de place au silence, aux doux sons du clapotis venus du fleuve, aux battements des nageoires des poissons s’aventurant en dehors des eaux débarrassées des hameçons des pêcheurs, les crapauds et grenouilles tentent alors de gagner la bataille des décibels en vain… Insectes volants tourbillonnent autour du moindre halo de lumière. Il est temps de rentrer, de se restaurer, de se raconter encore des histoires puis d’aller s’assoupir du coté de la petit ville de Ban Pheang.
Ban Pheang, le marché. Source photo : inconnue
Nous passeront la nuit dans une guets-house / bungalow le Rubtawan resort au charme désuet, loin de ces ribambelles de Rong rèm man rout (Littéralement "Hôtel aux rideaux que l'on tirent" sortes de Love Hotel (je n'entrerai pas dans les détails)) aux formes identiques, aux allées bétonnées qui poussent comme des champignons le long des routes du royaume. Les propriétaires sont charmants et accueillants, les chambres spacieuses, un petit resto, un sala (hall d’accueil) fait de bois au dessus d’un bassin où les poissons semblent apprivoisés font qu’aux aurores vous verrez le soleil apparaitre majestueusement au dessus des montagnes du Laos.
Vues du Ruttawan Resort (cliquez pour agrandir)
Après un passage au marché de la ville, mais « ma smala » a insisté (d’ailleurs, n’est-ce pas indispensable de tourner virer dans un marché afin de sentir l’esprit des gens du coin ?). Ban Pheang est un gros bourg tranquille, coincé entre le fleuve et la route 112, calme, cela à l’air de tourner au ralenti, il y a très peu de véhicules. Nous rejoignons nos hôtes. Avec les voisins, on prépare la fête de Fernand, les femmes confectionnent principalement des plats Vietnamiens, les hommes installent, tentes et tables, électricité et attaquent les premières bouteilles de Lao Khao.
Ils n’ont manifestement pas besoin de nous alors pour tenter d’échapper à cette chaleur écrasante, on nous propose de se rendre au bord d’un lac d’un grande retenu d’eau le Bueng Kong Long. Il se trouve dans la province de Bueng Kan, dans les terres à quelques kilomètres de Ban Pheang. Il est grand, les eaux sont limpides, il est alimenté par la rivière Songkhram. Il est entouré de nombreuses collines et d’aplombs vertigineux où de nombreux temples se trouvent mais que vous devrez mériter si vous voulez y allumer un encens. En effet, ils siéent au bout d’innombrables marches taillées dans la roche et elles seront alors votre chemin de croix si vous décidez d’y grimper en plein après-midi. Les chutes d’eau sont aussi très nombreuses à en croire les indications de l’office du tourisme Thaïlandais mais attention, c’est à la saison voire à la fin de la saison des pluies qu’il faut y aller si vous voulez vous y baigner et admirer les cascades, autrement vous n’y verrez que roches polis et trous d’eau à sec.
Nous, nous allions sur le coté ouest du lac, aménagé, restos où assis sur des nattes autour de tables basses en bois on peut déguster tout de la gastronomie Thaïlandaise et particulièrement d’Isan. Ce sont des plages ombragées, paradis pour les gosses qui pataugent sur de grosses chambres à air, des pédalos cachés sous des formes d’oiseaux, des banana boat (eh oui, on n’y échappe pas, mais les jet-ski semblent aussi rapides que les sam lo (taxi moto à trois roues) de l’Isan, c’est-à-dire, très lents et très peu bruyants). En repartant, nous ferons une partie du tour du lac de son coté est, plus sauvage, moins ombragé, des eaux où les roseaux ont l’air d’avoir gagné la partie. On avait pris un bon coup de frais avant la party du soir, un dernier tour de maquillage pour les Dames, une bonne douche et nous pouvions aller souhaiter un Souk San Wan Ket (joyeux anniversaire) à notre hôte.
À gauche, vous aurez reconnue la star Jintara Pornlab de Ban Pangkhan...
« Happy bœday to you, happy… Fernand ! ».
Karaoké (avec le beau-frère guitariste, je veux), molam, danse, bières, plats délicieux, tout y était !
Merci encore pour cette invitation. Un grand merci de nous avoir fait découvrir cette superbe région et ses habitants à la gentillesse et à l’accueil qui n’ont d’égal que la beauté majestueuse de fleuve Mékong et alentour !
Cela nous a d’ailleurs tellement plu que l’on a décidé de faire construire une petite maison pour nos villégiatures de fins de semaine…
Comme à Roi Et, c'est le vendeur d'eau et de glaçons du quartier (enfin, il ratisse large, à plus de 80 kilomètres à la ronde) qui fait construire cette maison d'un "goût"... Je n'en dirai pas plus ! (On ne la voit pas, mais il y a une piscine de 30 mètres, histoire de faire trempette !)
En attendant la fin des travaux, nous pouvions rejoindre notre campagne où de Ban Pangkhan les rizières s'étendent à perte de vue où les seuls reliefs sont les flèches des temples et les grands arbres pointant vers le ciel qui à notre retour était toujours désespérément d'un bleu éclatant*.
Paille Kheundheu...
*À la publication de cet article, les pluies de mousson sont enfin arrivées, régulières, abondantes pour le plus grand plaisir des agriculteurs et des petites pousses de riz qui avaient tendance à se parer d'une couleur jaune inquiétante !
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