Alors que les lycéens français sont encore la tête dans le Bac, le mois de juin voit apparaître dans les rues des villes islandaises des groupes d’adolescents armés de râteaux, seaux, bêches et brouettes. Comme dans un tableau de Monet, ils semblent languir dans l’herbe et muser dans les plates-bandes. La moue dédaigneuse et le gilet jaune de l’ouvrier pour tout déguisement, on les voit s’affairer avec plus ou moins de conviction à des travaux on ne peut plus passionnants : nettoyage des bacs à fleurs, désherbage des trottoirs et des espaces verts, tonte du gazon des ronds-points et des aires de jeux, ramassage des mégots, seringues et autres crottes de chats dans les bacs à sable.
Le travail en Islande n’est pas une sinécure !
Nos jeunes employés municipaux travaillent de 8h à 12h du lundi au jeudi pour un salaire allant de 310€ sur 7 semaines pour les plus jeunes à un salaire beaucoup plus conséquent de 1000€ pour les plus âgés. Évidemment, ils ne travaillent pas tout l’été et ne sont pas tous à la même enseigne selon les municipalités qui les emploient. Les jeunes de Reykjavík ont un salaire moindre pour ces 7 semaines de travail alors que ceux de Árborg reçoivent celui annoncé plus haut. L’école du travail c’est un encadrement, des règles à respecter, des pauses proposées sous forme de jeux (partie de foot, de baseball, de rugby) afin d’aider à créer un esprit de groupe (team spirit) et la promesse d’une lettre de recommandations pour les prochains jobs, si et seulement si les jeunes se sont montrés exemplaires. Les débutants (14 ans) peuvent choisir de diviser leur période de travail en deux temps : une période dédiée aux espaces verts, alors qu’une autre sera soit une initiation au journalisme avec publication d’un journal, soit à l’animation. Ils interviennent dans les maternelles, dans les maisons de retraites et proposent des tableaux vivants dans les centre commerciaux et dans les rues commerçantes (voir photos). L’encadrement est organisé par la maison des jeunes et ce sont les 18-25 ans qui s’occupent des plus jeunes alors que les adultes supervisent les 16-17 ans.
Tableau vivant proposé par le théâtre de rue de l’école du travail de SelfossJ’entends souvent certaines personnes râler :
Mais regardez-les, c’est mou, ça ne sait pas travailler, c’est payé à glander, c’est inutile cette école du travail !
Je souris, quelle ironie !
Évidemment, les islandais ont une relation au travail qui est limite malsaine. Ils font partie des peuples d’Europe qui travaillent le plus. Et autant la paresse est contagieuse, autant il est très difficile de ne pas cumuler les heures de boulot en Islande. Les islandais ont souvent comme ambition de se donner les moyens de réaliser leurs envies (voyages à l’étranger, balades en 4×4, Marathon de New York…). Mais bon, faut pas non plus se leurrer, des fainéants il en existe partout et leur population n’est pas plus concentrée chez les ados qu’ailleurs. Au contraire, beaucoup de jeunes travaillent en plus de leurs études afin de se payer le permis, le lycée (oui, les études secondaires sont payantes), la voiture, les fringues, les sorties… D’ailleurs, il n’est pas rare qu’après le bac les étudiants se prennent une année pour bosser à temps plein et s’offrir ensuite un voyage autour du monde ou bien pour partir plusieurs mois faire du bénévolat en Afrique ou en Asie. Une étincelle de voyageur viking brille encore dans l’âme de beaucoup d’entre eux.
Alors, oui, ça me fait sourire d’entendre certains adultes parler de la paresse des jeunes. Je trouve qu’ils ont la mémoire courte puisque eux aussi ont certainement déjà glandé à un moment ou un autre. Je voudrais les y voir à jongler avec les études et le boulot toute l’année et enchaîner sur un été à trimer. Moi, j’ai essayé de le faire à l’âge adulte, et bien je peux vous dire qu’on finit par ne plus rien faire d’autre que d’avoir la tête dans le guidon. On ne parvient plus à décompresser et tout détail, aussi infime soit-il, est source de stress.
L’école du travail a le mérite de proposer à des ados, plutôt tentés de rester collés devant leur ordi du matin au soir pendant les 12 semaines de vacances d’été, une introduction au monde du travail qu’ils peuvent plus tard mentionner sur leur CV. Ils apprennent la ponctualité, le respect du travail, des outils, de l’environnement, de l’autre et de la discipline. Ils apprennent aussi à voir la vie active de manière positive, à travailler en équipe et à assumer leurs actions.
En y réfléchissant, n’est-ce pas une belle opportunité offerte aux enfants ?
Eux, en tout cas, réalisent beaucoup de choses dès la première fiche de paye arrivée, et nombreux sont ceux qui prennent goût à l’indépendance qui en résulte. Dès les vacances de Pâques, ils cherchent déjà à s’assurer un nouveau boulot pour l’été suivant, se fixant des objectifs tels que se payer le permis de conduire et mettre de côté pour s’offrir une voiture.
Les vacances sont faites pour se détendre me direz vous. Tout à fait, c’est aussi pour cela que l’école du travail n’est proposée que sur 7 semaines et que si les familles ont déjà des voyages planifiés, leurs dates sont prises en compte. Les enfants seront payés en fonction de leurs heures de présence.
Et franchement, entre travailler 4 heures par jour pour un salaire dans un groupe où on retrouvera forcément un copain de classe et passer ses vacances à faire quotidiennement ses devoirs sur les fameux « cahiers de vacances », à la française quoi, ben pour moi y’a pas photo. Et toc !