Il y a 20 ans, mes copines islandaises me disaient avec fierté :
La femme islandaise est l’égale de l’homme. Ce qu’ils font, nous le faisons aussi. Ce que nous faisons, ils le font. Nous sommes des Valkyries, ils sont des vikings. Nous élevons nos enfants ensemble, les femmes font des études universitaires et les hommes changent les couches.
Aujourd’hui 19 juin, nous célébrons les 100 ans du droit de vote des femmes islandaises et des travailleurs ouvriers. Les administrations et certaines entreprises ont d’ailleurs fermé pour permettre à leurs employé(E)s de célébrer ce centenaire.
Au boulot, nous n’avons même pas pensé à prendre ou réclamer un congé en l’honneur de ce grand jour. D’ailleurs, mon mari s’est étonné que nous n’ayons pas à l’instar des maternelles, des administrations et des banques, pris notre journée. Ma réponse est partie sans réflexion aucune :
Les femmes se battent pour avoir les mêmes droits au travail, à l’éducation, de vote que les hommes, c’est pas pour se prendre des vacances à chaque fois qu’un centenaire nous concerne. De plus, le handicap ne prend pas de vacances.
Et sur ce j’ai réclamé mon dîner, parce que bon, hein, oh !
Trêve de plaisanterie…
Reykjavík est en fête, Vigdís Finnbogadóttir, Jóhanna Sigurðardóttir et bien d’autres femmes remarquables sont à l’honneur, parlant de l’égalité entre les hommes et les femmes non plus comme étant un combat de femmes mais plutôt comme un travail à réaliser ensemble parce que aujourd’hui les inégalités sont partout. Dans certains domaines les hommes ne sont pas plus égaux que nous les femmes. Les femmes de la ville ont défilé dans la joie et ont honoré la tombe de Briet Bjarnhéðinsdóttir (1856-1940) première suffragette d’Islande qui jusqu’à sa mort s’est battue pour le droit des femmes. À Akureyri des centaines de femmes en tenues traditionnelles ont rempli les rues. Dans beaucoup de villes, comme Selfoss, seules des femmes ont siégé en réunion extraordinaire de leur conseil.
De discours en concerts, les voix des islandaises se mêlent les unes aux autres et nous content les sagas de leurs aïeules et nous appellent à être reconnaissantes, nous narrent d’où nous venons et nous guident sur le chemin à prendre. Il y a même eu des intervenantes telles que l’actrice Geena Davis et le Dr Moza Al-Malki venues elles aussi exprimer leur joie de voir qu’il existe un peuple où la femme a sa voix même si elle devait encore et toujours utiliser sa voix pour chanter les mêmes chants.
La route est encore longue. Il n’y a que quelques semaines (en mars plus exactement), les étudiantes islandaises « libèraient leur têtons » (#freethenipple) et se promenaient sans soutien-gorge sous des hauts transparents ou bien tout simplement nues pour protester contre le mythe trop omniprésent de la femme-objet. Leur discours était on ne peut plus clair: « la poitrine, les tétons ont une fonction bien précise qui n’a rien à voir avec la sexualité ». Leur but étant aussi d’envahir les réseaux sociaux de poitrines de toutes formes et tailles afin de re-banaliser ce qui était devenu tabou. Plus on voyait de femmes le torse nu plus on éliminait dans l’esprit de jeunes hommes le besoin de s’affirmer en tant que misogynes violents. Elles ne sont pas les premières à en venir à ce genre d’action, les françaises n’avaient-elles pas aussi enlevé leurs soutien-gorges en guise de protestation dans les années 60-70 ?
En 1975, 90% des islandaises firent une grève d’un jour afin de protester contre les inégalités de salaires entre les sexes et le sexisme qui dominait le marché du travail. Cette action mit en branle une révolution lente des mentalités et les femmes se retrouvèrent enfin en nombre au parlement et à d’autres postes à hautes responsabilités. Les salaires commencèrent à s’aligner et l’égalité des sexes devint peu à peu un concept issu de la normalité.
Mai 2015, le gouvernement aujourd’hui a coupé court à la grève des infirmiers (es), un corps de métier des plus féminins du pays avec ceux de l’enseignement et des spécialistes de la petite enfance. C’est une pluie de lettres de démission qui s’amoncellent sur les bureaux de l’administration hospitalière. Le personnel soignant des hôpitaux est principalement féminin (même si son représentant syndical est un homme !) et elles font un boulot formidable pour un salaire de merde. Leur grève a été interdite par une loi passée en vitesse la semaine dernière. Le service d’oncologie de Landspítalinn qui déjà en sous effectif verra son personnel réduit d’un tiers d’ici 3 mois.
Alors que nous célébrions le 17 juin (fête de l’indépendance du pays) à Selfoss sous la bruine et dans le recueillement, de nombreux manifestants tambourinaient tout le long de la cérémonie de Reykjavík, noyant l’hymne national, le discours du premier ministre Sigmundur Davíð Gunnlaugsson et le poème de la Fjallkonan dans la colère et le désarroi.
Les professionnels du bâtiment ont lancé un avis de grève pour la semaine prochaine. On pourrait presque croire, les jours de bruine, que les femmes doivent retourner aux fourneaux et les ouvriers à leurs cahutes. Un kaléidoscope d’anciennes caricatures bolchéviques représentant le capitalisme patriarcal refait surface dans ma mémoire.
Alors est-ce que l’image de la guerrière viking des temps modernes (peur de rien, 12 gosses et 3 diplômes universitaires) s’effacerait pour laisser place à celle plus effrayante de la parfaite « Stepford wife » ? Pour trois pas en avant devons-nous systématiquement en faire deux en arrière ?
Les femmes et les ouvriers ont acquis le droit de vote il y a 100 ans.
Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?