Plus de chance que de courage ?
S’il faut du courage pour se lancer dans un voyage en solitaire, il faut aussi comprendre que nous, Européens, nous avons une chance que nous ne mesurons pas toujours. Car même sans rouler sur l’or, combien de personnes, de tout âge, voyageant seul ou accompagné, venant de pays aisés peuvent se permettre de traverser un continent ? En quelques mois, j’ai pu rassembler suffisamment d’économies grâce à mon travail et à quelques « boulots » entrepris en parallèle pour pouvoir m’assurer chaque jour de bons repas et une place au chaud pour la nuit. On se rend compte qu’en voyageant, pouvoir se payer un billet d’avion pour quelques mois d’aventure n’est pas accessible à tout le monde. Alors j’aime profondément ce voyage car plus que courageuse, je me suis sentie privilégiée !
J’ai traversé des paysages magnifiques mais j’ai aussi et surtout fait des rencontres humaines ! Origine, âge, motivation, parcours, sur beaucoup de points nous étions opposés et pourtant… Je suis partie seule mais sur les 8 mois, c’est à peine si j’ai cumulé un mois en baroudeuse solitaire… Les rencontres donnent du souffle au voyage. Certaines, bonnes ou mauvaises, ont changé ma façon de voir les choses et m’ont profondément marquée…, bien plus que toutes les étapes que j’ai franchies parfois si vite que j’avais peine à me les remémorer. J’ai cumulé les changements d’univers, les nouvelles personnes, les nouvelles anecdotes… Il n’y a donc rien de tel que le voyage pour vous obliger à vivre l’instant présent. Ce qui est passé est passé. Je me concentrais sur le paysage qui me faisait face, où j’allais dormir, combien d’argent à retirer… Je mangeais quand mon estomac se réclamait et avant le coucher, je m’autorisais de longs flash-back.
Retour à la planification
« Planifier »… un mot qui était sorti de mon vocabulaire depuis plusieurs mois et que je dois réintégrer avec mon retour en Europe. Dans le voyage, la vie se dessine autour du présent et le futur devient extrêmement modulable. Bien sûr, on se construit une route du rêve avec les destinations cibles, on pense à sa famille, ses amis, sa vie d’avant et d’après le voyage… Mais sur place, on évalue plus ou moins les possibilités d’hébergement mais à quoi bon réserver, autant voir sur place… et ainsi on se laisse la liberté de changer sa route, son lieu de vie, ses rencontres…
Alors devoir à nouveau rentrer dans les cases, pas toujours à la bonne taille, donne comme une pointe d’angoisse qui vous ferait sauter comme un rien dans le prochain avion en partance pour une vie qui a du sens.
On te l’avait bien dit !
Heureusement, le retour a aussi ses bons côtés, une joie immense de retrouver les proches, la famille, les amis, de retrouver les petits bars de Paris, le confort et un travail qui me plaît. Et tout est bien resté en place, même le pot de miel ! Après 8 mois d’aventures où aucun jour ne se ressemble, ici rien n’a changé… C’est vrai que j’avais été mise en garde par bon nombre de voyageurs : « Tu verras, une fois rentrée, tu n’auras qu’une envie… repartir. Le voyage c’est un virus ! » Au départ, je pensais « meuuuuuh non !!! » Bien trop contente de retrouver repères et famille. Si l’un n’empêche pas l’autre, le retour sur Terre est un peu plus complexe que ça. Si le pot de miel est toujours à la même place, il est difficile de reprendre sa vie telle qu’on l’a laissée.
En voyage, on ne réalise pas. C’est au retour que l’on fait le constat. Un changement imperceptible pour les autres. Mais au fond de soi, certaines choses ne sont plus comme avant. Un projet s’est accompli. Je plane d’une vie à l’autre. Je deviens nomade dans ma propre ville. J’ai une saturation de souvenirs en mémoire. Un embouteillage qui parfois me fait sortir des conservations. Ma tête est ailleurs. Elle est dans l’un de ces nombreux cafés dans lesquels je me suis posée pour boire, me connecter, tendre une oreille indiscrète sur les discussions autour de moi, admirer des paysages, repasser mes photos, et repenser à tout ce que j’ai vu et vécu, les moments forts, les anecdotes, les rencontres… Les bons moments sont si nombreux qu’au final, il n’y a pas de place pour les coups durs.
Souvenirs, souvenirs…
J’ai vu la jungle, le Pacifique, les baleines, les tortues géantes, le Machu Picchu, la vie trépidante des petites et grandes capitales, les villes coloniales toutes blanches et les baraques en bois parfois de communautés indigènes, les lagunes, la Cordillère, le plus grand lac du monde, les déserts de sel, les geysers, les canyons, les montagnes colorées, encore les baleines et les pingouins, le bout du monde, la terre de feu, les glaciers et les plaines à n’en plus finir, les îles, les routes mythiques comme la panaméricaine et la carretera austral, les champs de café et les cacaoiers, les Caraïbes, les vestiges de peuples connus et inconnus, encore les déserts, les vallées lunaires et les galaxies dans le ciel étoilé de San Pedro…
Je n’en reviens pas moi-même. Quand j’y repense, je me dis que je n’ai jamais pris meilleure décision. Alors oui, on n’en ressort pas indemne. Je résiste les premiers mois à me replonger dans le quotidien, je vis entre deux mondes… Et puis avant que mes pieds ne retouchent définitivement le sol, je sais que la question finira indubitablement pas se reposer : la prochaine fois, je pars où ?
Prolonger le plaisir
Mon voyage habite désormais mes photos, mes récits sur Caraporters. Je les regarde régulièrement comme on souffle sur un meuble pour qu’il ne prenne pas trop la poussière, pour le maintenir en vie et présent en mémoire. Je multiplie des projets et des vitrines de mon voyage : un porfolio en ligne, un carnet de voyages pour enfants, la suite de mes articles… Mais au fond, ces vitrines sont avant tout pour moi, pour me replonger aussi vivants que possible dans mes souvenirs les plus marquants. À suivre…