Carnet de voyage en Turquie : Balades poétiques et visages stambouliotes

Épisode précédent : Carnet de voyage en Turquie : L’église cachée (Saklı Kilise), la vallée de Pancarlık et le ramadan à İstanbul

Bulletin météo de la journée (samedi 18 août 2012) :
10h00 : 28.8°C / humidité : 52% / vent 22 km/h
14h00 : 31°C / humidité : 46% / vent 28 km/h
22h00 : 28,9°C / humidité : 54% / vent 22 km/h

C’est aujourd’hui le dernier jour du ramadan (ramazan), un jour vécu à la fois comme une libération et comme un renouveau, après un mois lunaire éprouvant pour les corps et les esprits, un mois censé mettre son âme à l’épreuve et purifier. Demain, ce sera la fête. Je plains ces hommes et ces femmes qui s’astreignent à ne pas manger et surtout à ne pas boire pendant ces longues journées torrides. Ramadan, c’est aussi l’occasion de se retrouver tous ensemble dans la rue et partager ensemble dans une ambiance chaleureuse son repas dès lors que le muezzin a commencé sa longue complainte, qui sur l’hippodrome, entre Sultanahmet Camii et Sainte-Sophie, dure près de 8 minutes… une éternité qui transperce le cœur et donne la chair de poule, malgré la sueur qui continue de dégouliner sur mon corps et la chaleur insensée. Je regardais hier soir les belles femmes endimanchées (ou plutôt enramadanées) dans leurs manteaux longs traînant par terre, boutonnés jusqu’au col dans lequel est coincé un foulard serré qui leur enserre le visage. Comment supporter la chaleur dans ces conditions ? Certaines sont visiblement à l’aise financièrement, mais on sent clairement le poids de la tradition ; ce n’est pas ici que traîne la jeunesse stambouliote émancipée.

Il fait nuit, une nuit noire, mais certainement pas calme. Les minarets de Sultunahmet, tendus comme des chandelles vers le haut, ne sont qu’à 50 mètres de la chambre. A un peu plus de 4 heures du matin, j’entends comme un craquement dans l’air calme de la nuit, le micro est ouvert et le muezzin entame sa longue plainte en suppliant le nom d’Allah. Le nez dans l’oreiller, un œil à moitié ouvert, il ne me viendrait jamais à l’idée de me lever à cette heure-ci pour prier, mais la magie opère quand-même, malgré l’heure, malgré la fatigue et je me rendors avant que les derniers mots soient prononcés.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 001 - Sultanahmet

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 005 - Marmara

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 007 - Hippodrome

Avant d’aller déjeuner, je m’installe quelques instants sur le toit d’hôtel où personne ne vient, le soleil a déjà commencé à chauffer le zinc des toitures sur lesquelles les pattes des corbeaux (kuzgun) grincent dans un petit cliquetis désagréable. Le monde s’arrête ici, comme dans tous les lieux sur lesquels je me suis reposé pendant ce voyage. Je me sens vidé, incapable d’en absorber davantage ; la coupure devient inévitable. Marmara brûle à main droite, laissant pantelantes les silhouettes des cargos qui attendent leur tour pour franchir le Bosphore, dans un air mâtiné des traces de gas-oil consumé. Sultanahmet Camii, à main gauche et du haut de ses six minarets, flamboie comme une armée de lances au lendemain de la victoire et malgré sa pierre grise et sombre, renvoie une lumière aveuglante qui fait pleurer mes yeux fatigués.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 010 - Tombeau du Sultan Ahmed Ier

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 019 - Tombeau du Sultan Ahmed Ier

J’irai voir ce matin le tombeau de celui qui a donné son nom à la grande Mosquée Bleu, le Sultan Ahmet Ier, juste en face de Sainte-Sophie et derrière la fontaine. Il était encore en travaux la dernière fois que je suis venu et je m’engouffre dans ce mausolée spacieux où reposent le Sultan, son épouse et ses enfants dans de tout petits cercueils recouverts de feutrine verte et à la tête desquels se trouvent les turbans blancs indiquant leur rang. Je suis plus ému par les faïences et les motifs dessinés sur le plâtre que par le lieu lui-même. Quand on a visité les tombeaux qu’on peut voir dans l’enceinte de Sainte-Sophie, celui-ci paraît bien pâle, bien peu charmant…

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 022 - Tombeau du Sultan Ahmed Ier

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 023 - Tombeau du Sultan Ahmed Ier

Mais je repère quand-même quelques douceurs à me mettre sous la dent. Le détail des motifs nacrés de la porte majestueuse me donne à voir des étoiles de bois incrusté d’ivoire et de nacre, dans un mélange étonnant de couleurs simples, primitives, associé au cuivre des poignées et des gonds, des serrures et des ornements. La céramique d’Iznik commence à me sortir par les yeux, même si je reconnais que la multiplicité des motifs m’impressionne à chaque fois un peu plus, surtout depuis que je sais que les vrais carreaux authentiques sont fabriqués à la vitesse du temps qui passe à l’ombre des tonnelles de la ville méditerranéenne. Pas moins de vingt-sept opérations sont nécessaires pour produire ces motifs à la simplicité enfantine.

Pour ce dernier jour, j’ai décidé de visiter à nouveau Sainte-Sophie ; cette église exerce sur moi un attrait incompréhensible. La plus grande église du monde en dehors du monde chrétien est une ode aux croyances barbares, un lieu saint qui a survécu aux hommes, aux religions, aux tremblements de terre — qui sait pour combien de temps encore. J’y reviens parce que je suis atteint du syndrome de Jérusalem. Au contact des lieux sacrés, peu importe de quelle religion il est question, je me sens comme envahi par une force qui me dépasse et me laisse pantelant sur le bas-côté, vidé de ma substance au profit de quelque chose que je ne peux contrôler et dont la puissance m’étreint. C’est peut-être ce que Mircea Eliade appelle le sacré. Vivre des épiphanies qui ressemblent à des orgasmes spirituels à chaque coin de rue n’est pas donné à tout le monde. Certains en sont même morts dans d’atroces souffrances.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 027 - Hippodrome

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 028 - Sainte-Sophie

Sous le soleil écrasant, les dômes de plomb du hammam Haseki Hürrem sont d’une grisaille époustouflante, les petits bubons de verre étincelant sur cette pesante carapace. Au pied de la plus grande église du monde chrétien oriental, les empiètements des minarets paraissent comme les pieds gigantesques d’une statue d’empereur romain que le temps aurait façonné jusqu’à ce qu’on n’en voit plus que l’armature. L’ingéniosité de cette architecture qui transforme une base carrée en tour ronde dans une douceur de baklava est là le véritable génie de ceux qui ont dessiné la beauté de cette Istanbul ottomane. La brique rose dans l’ombre du bâtiment semble fraîche comme des biscuits de Reims dans une charlotte à la framboise, mais ce n’est qu’une illusion. Le soleil écrase tout.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 029 - Sainte-Sophie

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Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 033 - Sainte-Sophie

Dans le jardin qui entoure l’église, je m’attarde sur les piliers des colonnes qui ornaient autrefois les alentours et qui, recouverts par une terre tassée par les années de conquête, ont été préservés des saccages. Sur certains d’entre eux, on peut encore voir gravé le nom de Théodose, l’empereur bâtisseur et dernier empereur romain à avoir régné sur l’Empire d’Orient unifié. Des colonnes au chapiteau sculpté dans un style corinthien pur se retrouvent affublées sur leur fut d’une croix latine, absurdité complète qu’on ne voit qu’ici.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 035 - Sainte-Sophie

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L’effet est toujours le même quand on rentre dans l’église, ou non, il est à chaque fois amplifié, parce qu’on s’attend à ce qu’on va y trouver. Une ambiance barbare, brute, sauvage, l’élément le plus représentatif de l’art byzantin dans toute sa splendeur, en terre musulmane de surcroît. Tout ici fait vaciller les sens, parce qu’on n’y comprend plus rien, si tant est qu’on tente de percer le mystère. On est accueilli par un Christ sur son trône, qui semble, de son regard sévère nous lancer un avertissement. Son imposante stature écrase celui qui entre ici. Misérable vermisseau, prosterne-toi… Les lourdes portes de bronze incitent à ne pas rester trop longtemps ; personne ne songerait à tambouriner dessus pour l’ouvrir. Certaines portes latérales du narthex ne sont plus de style byzantin mais présentent une forme d’ogive telle qu’on en voit sur les bâtiments ottomans. Qui brouille ainsi les pistes ?

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 042 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 043 - Sainte-Sophie

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Dans ce narthex déjà parcouru, mon regard se perd dans les marbres colorés, veinés comme une peau diaphane sous laquelle on verrait le sang couler alors que ce sont certainement des litres et des litres de sang qui, sur le sol, ont été répandus suite aux querelles des images et aux invasions successives… Sous les pilastres bordés d’une frise florale représentant certainement des vignes, symbole christique par excellence, ce sont des plaques incrustées de couleurs qui déjà annoncent les volutes florales des céramiques d’Iznik, les contours des portes sont capitonnés de gros clous de bronze, censés tenir la structure pour des siècles ; la preuve par l’exemple, tout tient parfaitement en place. Sur une porte en bronze, un vase contenant deux feuilles stylisées et confrontées, des palmes ? Le long des fenêtres, des mosaïques faites de tout petits carreaux dorés, recouvrant savamment les renflements de la structure, s’ornent parfois de feuilles enroulées, motifs qui alternent un peu avec les croix omniprésentes. Ici c’est un trou de serrure qui m’intrigue, laissant supposer des salles secrètes qui n’ont peut-être jamais été ouvertes, là c’est une vasque en marbre ornée d’écritures arabes, recouverte d’une chape de bronze. Tous les matériaux d’ici sont des matières hautement nobles. Le bronze, la pierre, le marbre de Proconnèse, le porphyre rouge sang, la lumière, l’or.

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Ici encore, ce sont des plaques marquetées de marbres, un vert sombre et granuleux pour le fond, un veiné jaune et rouge pour donner du relief, un porphyre pour remplir un disque, un vert fin et clair pour les volutes florales… Au dessus d’un pilastre, c’est ici une reproduction d’église en miniature, certainement Sainte-Sophie elle-même, une croix représentée au milieu, entre des rideaux qu’on imagine être de pourpre impériale. Entre chacune des plaques de marbres, c’est un frise faite de carrés alternés donnant l’impression d’une dentelle ; lorsque la pierre se fait tissu…

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Et puis, changement de décor, nous sommes dans une mosquée. Derrière les cuivres découpés d’étoiles, les pointes des flèches tendues vers le ciel se terminant par un croissant de lune, lui aussi pointant vers le haut, ce sont les médaillons dans lequel on peut lire en arabe le nom d’Allah, les vitraux d’un pur style ottoman. Un coup d’œil en arrière et l’on tombe à nouveau sur la dentelle de pierre grise, fleurs infinies qui donnent le vertige, sur le sol à nouveau, de gigantesques disques de marbres colorés qui font comme des bulles sous le vide immense de la coupole. Une pièce est ouverte sur le côté du narthex et j’accède à une pièce que je n’ai jamais vue : il me semble que c’est l’horologion, là où se trouvent les psautiers. Ici encore les pistes sont brouillés. Dans cette petite enclave sacrée, les murs sont recouverts de céramiques ottomanes. Au plafond, je découvre des anneaux scellés dans la pierre. Que font-ils là ? Sur les marbres bleus et dans la lumière qui filtre au travers des lucarnes, un chat reste là, assis, se laissant caresser par tous ces gens grossiers qui osent venir ici.

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Sur un autre pilastre, je découvre, là où devait se trouver autrefois une porte, la trace d’une main prise dans la couleur de la pierre. Fascinant, et surtout, incompréhensible. C’est là que réside le mystère de ce magnifique monument, dans toutes les petits choses cachées qu’il faut se donner la peine de découvrir. Ces lustres imposants descendant du ciel comme des soucoupes volantes, rappelant les plus grands mystères des livres d’Ezechiel et d’Enoch…

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Certaines des colonnes sont cerclées, les autres pas. Et puis au bas des certaines d’entre elles, des frises grecques qui, aux jointures sont comme des swastikas. Est-ce que les autres regardent aussi par terre ? Par là où la lumière entre, la pierre prend une teinte irréelle. Il se passe quelque chose ici qu’on ne voit nulle part ailleurs. Des motifs de vigne que j’ai vus quelques jours auparavant dans les tréfonds de la Cappadoce, notamment à Mustafapaşa sur l’église Saint Constantin et Sainte Hélène. De la loge impériale on voit les arches de soutènement en pierre sèche raclées par le soleil crû. Je suis épuisé de tous ces détails, j’ai l’impression de vaciller et l’espace d’un instant, ma vue se trouble, j’ai comme mal au cœur ; le désir de partir d’ici est le plus fort. La chaleur m’a rincé, exténué, l’émotion a, quant à elle, été la plus forte et encore maintenant me détruit. Il n’y a plus rien, plus rien. Je dois m’asseoir pour ne pas tomber… Quelques instants…

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Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 103 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 104 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 119 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 122 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 131 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 135 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 138 - Sainte-Sophie

Au centre d’un des séraphins brûle un cœur d’or. Les séraphins, ces êtres redoutables, divins et pourtant toujours destructeurs, objets de fantasmes, délicatement représentés par des plumes bleues tentatrices… Sous mes mains, sur la rambarde de marbre, une inscription en grec que je n’arrive plus à déchiffrer. Peut-être une revendication d’un insurgé de l’époque de la Sédition Nika… Et puis au-dessus de ma tête cette étrange mosaïque noire et or dans les renflements entre les arcades. Encore un petit coin étrange. Je profite des fenêtres ouvertes pour m’extasier depuis ici sur ces minarets tendus comme des arcs, dépassant des rotondes. Sur les murs du narthex, on trouve les plaques gravées des décisions finales du fameux synode de 1165, dans un grec presque compréhensible. Monogrammes, croix, chrismes, le nom d’Allah, de petits crochets au-dessus des portes qui devaient retenir autrefois des tentures, histoire de ne pas donner un air trop évident aux choses. Chaque émotion en son temps. Cette fois-ci, je dois sortir de l’église et j’emprunte une sortie que je ne connaissais pas, la Belle Porte sur le fronton duquel se dresse une mosaïque de la Vierge en majesté. Dehors, c’est le baptistère que je découvre avec sa baignoire immense, taillée dans un seul bloc de marbre. C’est ici qu’étaient immergés les empereurs de l’Empire Romain d’Orient, dans cette cuve que personne ne visite guère. Et pourtant, c’est tout un symbole.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 146 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 149 - Sainte-Sophie

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 151 - Sadık au Grand Bazar

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 152 - Marché aux livres

Pour reprendre mon souffle, je m’assois à l’ombre, engloutissant toute l’eau de ma bouteille, et je me pose pour écouter le chant du muezzin. Je reprends mon chemin pour m’enfoncer vers le Grand Bazar. J’ai un rendez-vous non loin de Beyazıt Camii avec Sadık, le vendeur de cuivres. Il m’a fait promettre de revenir pour m’offrir un kebab que nous mangeons, assis dans son échoppe, sur une des tables qu’il est censé vendre et qu’il a posée en plein milieu. Il ferme la porte, histoire de faire comprendre que c’est fermé pendant l’heure du repas, improvisée. J’ai peur qu’il fasse chaud, mais il me montre une trappe au plafond, un simple vantail qu’il ouvre avec une corde. Il se marre en disant « ottoman air conditionning !! ». Malin comme un singe le Sadık… Contrairement à ma dernière visite, il a laissé poussé sa barbe qui dit bien ce qu’il est, un homme indépendant qui se fiche de ce qu’on pense de lui. Sa moustache se perd avec le reste des poils de son visage ; il a l’œil malicieux et tendre. Nous échangeons quelques mots dans un anglais qu’il maitrise moins bien que moi, mais tout passe par les yeux et pendant ce temps, l’ayran coule à flots… Dehors, près du marché aux livres, je retrouve le même petit chat que j’avais pris dans mes bras au mois d’avril. Il a grandi à présent, mais c’est le même, j’en suis certain. Il passera peut-être sa vie ici s’il ne se fait pas écraser par une voiture sur Divan Yolu.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 153 - Au pied de Beyazıt Camii

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 155 - Au pied de Beyazıt Camii

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 157 - Au pied de Beyazıt Camii

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 158 - Au pied de Beyazıt Camii

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 161 - Au pied de Beyazıt Camii

Au pied de la belle mosquée Beyazıt Camii, la mosquée construite par le sultan Bajazed II, successeur du conquérant Mehmet II et destitué par son fils Selim, se trouve un marché d’un genre particulier, car ici on y trouve des billets de tous les pays, et surtout un incroyable marché au tesbih, ces chapelets le plus souvent faits de billes de bois, que les hommes (les femmes aussi, mais pas à Istanbul) s’amusent à égrener toute la journée pour s’occuper les mains. Ici, on échange des regards, on négocie ferme, on s’engueule et on s’empoigne, les billets de lires turques passent de mains en mains et les tesbih rejoignent les mains caleuses de leurs nouveaux propriétaires. Je m’amuse à regarder les visages des hommes, certains émaciés et burinés, d’autres avec un seul œil restant, certains rondouillards et bon-enfant, d’autres durs, mal rasés, inquiétants presque. Ces visages soit barbus, soit moustachus, soit pas vraiment rasés, ont parfois la douceur des heures débonnaires.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 165 - Dans le tramway

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 167 - Yeni Camii, Eminönü

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 170 - Yeni Camii, Eminönü

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 174 - Eminönü

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 175 - Eminönü

La fin de journée arrive, la chaleur, elle, ne descend pas. Le soleil tanne ma peau bien brunie par plus trois semaines passés dans cette fournaise turque ; pas aussi fort toutefois que dans la baie de Kekova ou sur les hauteurs de Pamukkale. Devant la Yeni Camii qui prend les teintes renardes du soleil décroissant, les gens circulent en ne jetant même plus un coup d’œil à ce monument majestueux qui assied la place. Sur les bords de la Corne d’Or, l’odeur des maquereaux grillés refoule vers les quais. C’est presque un bonheur de sentir cette odeur âcre revenir me chatouiller les naseaux. Je n’arrive plus à quitter cette place qui, décidément, reste mon lieu d’amarrage préféré. Ici, tout semble converger ; ceux qui descendent du Grand Bazar, ceux qui viennent de Sultanahmet par le tram, ceux qui viennent de Galata depuis l’autre côté du pont… Carrefour inévitable, croisement de toutes les intentions, c’est Eminönü. Je reste à m’extasier devant les vapuru qui patientent sur le quai en crachant leur immonde fumée crasseuse, portant chacun des noms de personnalités de la ville, puis devant les vendeurs de simits, les petits gitans qui étalent leurs kilims à même le sol pour vendre des petites pochettes pectorales cousues de sequins brillants et les vendeurs de moules démesurées qu’on mange crues avec une giclée de jus de citron, comme on mangerait des huîtres sur le port de Cancale. Dans une rue un peu reculée, je mange un baklava accompagné d’un thé et d’un Sirma au citron. Je m’amuse en regardant les voitures dans lesquelles s’entassent parfois une bonne dizaine de personnes sous les cris des corbeaux.

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 176 - Eminönü

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 178 - Eminönü

Turquie - jour 23 - Balades poétiques et visages stambouliotes - 182 - Sous le pont de Galata

Je décide, une fois n’est pas coutume, d’aller diner sous le pont de Galata. Une multitude de restaurants s’est installée sous la route, un étage inférieur qui fait penser aux anciens ponts parisiens ou au Ponte Vecchio de Florence, sauf qu’ici on passe sur une coursive d’où pendent les fils en nylon des pêcheurs juste au-dessus de nos têtes. Je m’arrête à une terrasse qui donne du côté le plus étroit de la Corne d’Or, sous une enseigne colorée qui donne au Bosphore une couleur rouge sang. C’est un de ces restaurants qui ne sert pas d’alcool, ramadan ou pas. Moi qui voulait boire une Efes Pilsen, je me contenterai ce soir d’un jus d’abricot (Kayısı suyu) et d’un maquereau grillé. La fatigue me tance, le bruit des voitures passant au-dessus et les cris des gamins, enrobés dans les mélopées des hauts-parleurs vendant leur Bosphorus tour !!!! Bosphorus tour !!!! commencent à me taper sur les nerfs. Je ne supporte plus le bruit de cette ville infernale que j’aime tant. Il est temps pour moi de partir. Qui a dit que les vacances étaient faites pour se reposer ? Il y a les week-ends pour ça. Les voyages sont faits pour vous éreinter, vous essorer comme ces carpettes élimées qu’on lave à grande eau et à la brosse à pont sur les promenades sétoises.

Je retourne à l’hôtel, en empruntant le tunnel dévasté passant sous la route d’Eminönü, en passant devant un reste de mur byzantin, au pied de la Mosquée Bleue, devant des manières de maisons kurdes qui sont en réalité la façade d’un restaurant d’où sort une plainte douce accompagnée par un ud magique. Demain soir, je ne serai plus à Istanbul et je me demande déjà comment je vais faire pour revenir à Paris. Je veux dire, comment je vais faire pour revenir dans mon élément naturel après autant de chambardements et d’émotions. La prochaine que je viendrai ici, je chercherai les morceaux de moi que j’ai laissés sur place.

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