C’est l’amie islandaise d’un ami islandais de ma fille Louise. Elle a 20 ans. Elle est triste. Les restes de deux maisons déplacées recouvrent désormais le petit jardin qui peuplait ses souvenirs enfantins, à Grettisgata dans le centre de la capitale islandaise. Un hôtel va surgir. Un de plus. À Reykjavik, les boutiques de souvenirs, les restaurants, les hôtels métamorphosent la petite cité nordique au rythme d’une poussée geysirienne. Les vikings de la finance se sont reconvertis dans ce nouvel eldorado touristique dont ils profitent chaque année davantage. Ce nouveau marché a supplanté les investissements hasardeux. Les méthodes, elles, ne changent guère. NASA, véritable institution qui accueillait la fine fleur de la musique made in Iceland en a fait les frais en 2012. Bien que le club bénéficie encore d’un sursis.
Alors les prix de l’immobilier explosent, obligeant les résidents à s’éloigner vers les banlieues de la périphérie, malgré le discours ambigüe de la mairie qui promet de nouveaux logements d’une large main tendue, tout en acceptant dans l’autre les oboles des investisseurs amateurs de résidences pour touristes. Et la bulle gonfle et gonfle encore. Et à mesure qu’elle grossit, que ses parois dorées se tendent, le risque de l’éclatement augmente. Il faut prendre l’argent là où il est quand il y est tant qu’il y ait. Loup y es-tu ?
Quel curieux monde que le nôtre. Les islandais tentent de préserver l’essence de leur centre-ville et disent craindre l’afflux des cars délestants leurs flots de touristes impatients. Les investisseurs s’agitent et gémissent pour convaincre qui de droit de l’intérêt d’accueillir cette masse monétaire enthousiaste. Et par la voix des aubergistes, cette dernière, peu encline à s’adapter aux us et coutumes locaux, se prétend incommodée par les clameurs chantantes des joyeux lurons enivrés qui cheminent de bar en bar. Atmosphère !
Alors moi, naïvement, je me demande : que deviendra Reykjavik, lorsque les hôtels, substitués aux constructions colorées, auront envahi les rues étroites du 101 ? Que restera-t-il de son énergie, de son incomparable vitalité, de sa générosité, lorsque ses habitants, c’est à dire ceux qui lui confère son âme si particulière, l’auront déserté ? Les touristes, à moins qu’on ne les prenne pour des fumerolles, ne chercheront-ils pas ailleurs, le charme singulier dont on les aura délestés ?