Islande : l’actualité de mai 2015

Plusieurs milliers de salariés en grève, et la menace d’un mouvement général pour le 6 juin; le 26 mai, 3000 personnes manifestent devant l’Alþingi pour demander la démission du gouvernement, une pétition contre un projet de loi concernant la pêche atteint 42000 signatures (29/05), une autre vient d’être lancée demandant la dissolution de l’Alþingi…

sigmundur_david kvennabladid-is© kvennabladid.is

À mi chemin de « sa » législature, Sigmundur Davíð, Premier Ministre, s’étonne :

Je suis très satisfait de ces deux années, et il ne peut en aller autrement si l’on considère les résultats obtenus; les progrès ont été tels que je n’aurais pas osé imaginer que cela irait aussi vite et aussi bien.

Pourquoi alors ce malaise social ?

On dit que les inégalités ont progressé, mais ce n’est pas exact, notre société est plus égalitaire qu’ailleurs !

Et de se plaindre d’une rupture entre la vérité et les impressions. Bjarni, Ministre des Finances et n°2 ( n°1 ?) du gouvernement enfonce le clou : « les Islandais n’ont jamais été en position plus forte qu'aujourd'hui».

Egill HelgasonEgill Helgason

Pour les présidents des deux partis au pouvoir, ces grèves seraient « politiques » ! « Evidemment, rétorque le chroniqueur Egill Helgason sur son blog « Silfur Egils », comment pourrait-il en aller autrement, il s’agit de la répartition des richesses ! » Pour appuyer son propos, Egill cite Magnús Pétursson qui en tant que Médiateur National est mieux placé que quiconque pour savoir ce qui se joue : « Notre société est bouillonnante. Nous voyons ici des revendications, pas seulement sur les salaires, mais sur d’autres sujets de société. C’est la répartition des ressources, les profits issus de ces ressources, comment ils sont répartis. Il y a des affrontements, des litiges entre divers groupes; qui est mieux placé qu’un autre. Il y a ainsi une multitude de tensions dans la société, dont je suis convaincu qu’ils ont un effet sur la conduite des négociations ».

Evidemment politique donc ! Même le chroniqueur français l’a compris, qui qualifierait volontiers ces mouvements de « fronde ». Que les gouvernants du moment soient à ce point sourds et aveugles explique, justifierait peut-être, leur impopularité.

Les mouvements sociaux

On me pardonnera, j’espère, de n’être pas en capacité de faire un panorama précis des mouvements en cours et à venir tant la situation est complexe, affectant à la fois le public et le privé, des professions très diverses exercées sur tout ou partie de l’île. Or la grande crainte des négociateurs patronaux est de se laisser prendre à l’« échelle de perroquet » comme cela a été le cas pour les médecins et leur employeur public. Les négociations en cours comportent toutes un effort particulier pour les bas salaires afin de les porter à un minimum de 300.000 Ikr (2000€) par mois à horizon 2017 ou 2018 incluant parfois un aménagement du temps de travail. Bien que programmées à l’avance, les grèves se font sentir dans plusieurs secteurs, notamment la santé, et beaucoup commencent à être inquiets pour la saison touristique.

mouvements sociaux islande© The Reykjavik Grapevine

Dernière heure : le 30 mai un accord est signé entre les employeurs de SA et un groupe d’organisations de salariés représentant 70000 adhérents et est en cours de validation auprès de ces derniers. Une des principales dispositions est de porter le salaire minimum à 300.000 Ikr (2000€) en trois ans. Il a fallu aussi que le gouvernement s’engage à alléger l’impôt sur les bas revenus et à accélérer la construction de logements sociaux. Mais le mouvement n’est pas terminé, notamment dans les hôpitaux ! Plus d’informations le mois prochain…

La situation économique

Même s’il y a effectivement une différence entre la réalité et leurs propres représentations, donnons acte à Sigmundur Davíð et Bjarni que la situation économique, même encore fragile, est bonne et que les salariés en ont reçu une part. Sous l’effet des augmentations accordées au cours des mois passés, les salaires étaient en avril 2015 supérieurs de 5.2% à ceux d’avril 2014 et de 10.2% à ceux d’avril 2014. Comme les prix restent étonnamment sages (hormis l’immobilier), le pouvoir d’achat des salariés a progressé de 3.7% depuis avril 2014 et 6.2% depuis avril 2013.

statistics_iceland_logoAprès un repli à 1.9% pour 2014, le PNB est attendu à 3.8% pour 2015 et 3.2% en 2016, porté par un accroissement de l’investissement. Pour ce qui concerne le commerce extérieur, malgré un ralentissement des exportations (-3.3%) en prix courants mais une progression des importations de biens de 2.8%, le solde pour 2014 reste légèrement positif. La tendance est la même pour les premiers mois de 2015.

Quant au chômage, il est stabilisé autour de 4,5%.

Reste encore en suspens le démantèlement du contrôle des changes, qui devrait faire l’objet d’une loi dont la discussion à l’Alþingi est sans arrêt repoussée.

Situation politique

Alors ? Les électeurs continuent de n’avoir aucune reconnaissance à l’égard du gouvernement pour ces bons résultats. Seuls 31,4%d’entre en sont satisfaits (30.7% en avril), et ce léger progrès va au parti de Birgittal’Indépendance (de 21.9% à 23.1%) alors que son allié poursuit sa chute, de 10.8 à 8.6%. Dans l’opposition l’Alliance social-démocrate progresse de 10.7 à 13.1% alors que la Gauche Verte stagne de 10.8 à 10.4%. Du coté des nouveaux partis, les Pirates, de 32 à 32.7%, confortent leur étonnante position, alors que Avenir Radieux tombe de 8.3 à 6.3% ! Interrogé à ce propos Guðmundur Steingrímsson, président de ce parti, impute ce très mauvais résultat au fait que Avenir Radieux n’est plus perçu comme un « nouveau parti », à la différence des Pirates. Mais l’a-t-il jamais été, avec une offre très classique, lorsqu’elle est audible ?

Du coté du gouvernement, les analyses de son bilan après deux ans de pouvoir sont rarement enthousiastes. Si effectivement les résultats économiques sont flatteurs, ils ont été acquis, notamment l’équilibre budgétaire, au prix d’arbitrages très contestés tant ils ont semblé favoriser des activités déjà bénéficiaires et les particuliers à hauts ou moyens revenus, et négliger des secteurs-clé comme la santé et l’éducation. Jusqu’à la réduction des dettes immobilières, promesse emblématique, qui devrait coûter 80 milliards d’Ikr (540 millions d’euros) à l’Etat, et est aujourd’hui critiquée car elle génère une hausse des prix de l’immobilier et des loyers qui pèse beaucoup dans les conflits sociaux actuels…

Bjarni BenediktssonBjarni Benediktsson

Hors de l’économie, certaines décisions ont été si mal préparées ou si mal communiquées (déménagement de la Direction des pêches, Pass nature…) que le ministre considéré a du les abandonner. Suspendu aussi (abandonné ?) en mai le projet de loi amendant le schéma directeur pour l’implantation de centrales géothermiques afin d’y ajouter quatre sites. Il a fallu pour cela une exceptionnelle obstruction parlementaire où les représentants des quatre partis d’opposition ont apprécié de si bien coopérer ! À l’inverse, toujours en mai, Bjarni Benediktsson, Ministre des Finances, n’a pas réussi à imposer à Eygló Harðardóttir, Ministre des Affaires Sociales, Parti du Progrès, le retrait de sa loi sur la maîtrise des loyers. Celle-ci pourtant n’a guère été soutenue par le Premier Ministre et Président de son parti. Eygló, seule ministre dont la popularité égale celle des opposants, préparerait-elle sa sortie ? Il est vrai que ses collègues ont tout fait pour ternir leur image : démission de Hanna Birna Kristjánsdóttir (Parti du Progrès) après un très long épisode de refus de reconnaître ses erreurs, suspicions de favoritisme, voitures de fonction ultra luxueuses, très nombreux voyages…

Autre problème : la pétition demandant au Président Ólafur Ragnar de refuser de parapher la loi sur les quotas de maquereaux, si celle-ci est votée, afin de provoquer un référendum. Ce qui est en jeu, je le rappelle, n’est pas tant l’organisation de quotas, certainement nécessaire, que le refus d’aliéner des ressources naturelles considérées comme la propriété collective des Islandais. Afin de ne pas laisser au Président le pouvoir d’arbitrer entre le Parlement et les électeurs, Bjarni Benediktsson propose, sans grande conviction tant son parti est hostile à cette procédure, de modifier la constitution pour permettre d’organiser un référendum si celui-ci est demandé par une pétition portant un nombre à définir de signatures. En fait la possibilité d’un référendum existe dans la constitution actuelle ; il est uniquement « consultatif » , mais quel gouvernement, quelle majorité parlementaire, iraient contre le résultat d’une consultation qu’ils auraient eux-mêmes provoquée ?

Relations internationales

Toujours dans le bilan à mi-parcours, et à propos de référendum, il faut rappeler l’engagement non respecté d’une consultation sur la négociation d’adhésion à l’UE. Le coup de force de Gunnar Bragi Sveinsson, Ministre des Affaires Etrangères, semble avoir réussi, mais il pèse lourd dans le désamour à l’égard du gouvernement.

Gunnar BragiGunnar Bragi Sveinsson

Malgré cela ce dernier reste soucieux de plus de proximité avec l’UE. C’est ainsi que le 18 mai, Gunnar Bragi conduisait la délégation des trois pays de l’AELE au conseil de l’Espace Economique Européen réuni sous la présidence de Zanda Kalnina-Lukasevica, Ministre Lettonne des Affaires Européennes. Où il fut évidemment question de renforcement des relations, alors que l’UE s’interroge sur ces trois pays qui ne sont ni dehors ni dedans.

Le 21 mai Gunnar Bragi a rencontré John Kerry, Secrétaire d’Etat américain. Le principal thème de la rencontre était la coopération arctique, mais les ministres ont saisi cette occasion pour faire un tour d’horizon des relations internationales. Et ont constaté qu’ils restaient en désaccord sur la chasse à la baleine…

75 ans depuis l’occupation de l’Islande par l’armée britannique

Le 10 mai 1940 l’armée britannique débarquait sans prévenir. Il s’agissait de devancer l’armée allemande, dont on savait qu’elle avait dès 1936, sous couvert de recherches géologiques, fait de nombreuses reconnaissances sur l’île. Coup dur pour l’orgueil national, le débarquement intervient alors que quelques jours plus tôt le gouvernement islandais, constatant l’incapacité des Danois, occupés par les Allemands, de respecter l'Acte d'Union signé le 1er décembre 1918, a rompu les derniers liens entre le Danemark et son ancienne colonie. Hermann Jónasson, alors Premier Ministre, invite ses compatriotes à recevoir les Britanniques comme des « gestir ». Effectivement les heurts seront inexistants même si quelques sympathies nazies se manifestent. Un an plus tard l’armée américaine prend le relais. Les Etats Unis sont alors neutres et s’engagent à quitter l’île dès la fin du conflit ; engagement qu‘ils auront beaucoup de mal à respecter !

Actualité culturelle

Cette année, la prestation islandaise à l’Eurovision n’est pas meilleure que la française, mais c’est de France que vient la consolation, de Cannes où pour la première fois le cinéma islandais est primé : « Hrútar » (Béliers) de Grímur Hákonarson remporte le Prix du Jury « Un certain regard ». Une sombre histoire de rivalités entre frères, qui se déroule dans l’Islande profonde, mais aurait, selon les critiques, apporté une « fraîcheur » bienvenue sur la Croisette.

María Ólafsdóttir - © Jonatan GretarssonMaría Ólafsdóttir Eurovision – © Jonatan Gretarsson

À Venise cette fois, lors de la Biennale, le pavillon islandais a été au coeur d’un scandale : il accueillait une vraie mosquée dans une église ! A l’inverse de la Cathédrale de Cordoue, d’abord mosquée puis église comme incrustée dans la mosquée… L’église vénitienne n’était plus consacrée depuis 1973 mais cette réalisation, due à l’artiste suisse Christophe Büchel, a été fermée au bout de quelques jours sur ordre des autorités locales au prétexte que l’affluence créerait des désordres ! Qu’avait d’islandais cette mosquée installée dans une église catholique par un artiste suisse ? La tolérance certainement et le goût de la provocation, apparemment peu prisés à Venise…!

Mais la vie continue…

« Terre de contrastes… » : s’il est bien une qualification éculée de l’Islande, c’est celle-ci ! Et pourtant :

  • 14.05 – selon le World Happiness Report, les Islandais sont le peuple le plus heureux au monde quasi ex-æquo avec les Suisses ; viennent ensuite les Danois et les Norvégiens. Les Français sont au 29ème rang, après les Qataris, mais avant les Argentins,
  • 27.05 – selon le météorologue Trausti Jónsson, le mois de mai 2015 a été le plus froid depuis 1979, soit 1.9° à Reykjavík. Et rien n’indique que juillet sera différent, soit 8.3 cette année là. Heureusement, la météo n’est pas une science exacte, fût-ce en Islande…

D’où cette lancinante question : faut-il avoir froid pour être heureux ?

© Photo à la Une : The Reykjavik Grapevine
Sélection iconographique effectuée sous l’entière responsabilité de la rédaction de Vivre en Islande.