San Andrés Xecul, mille-feuille cultu(r)el entre tradition et modernité

Publié le 25 mai 2015 par Mikaël Faujour @VoyageursDuNet

San Andrés Xecul, mille-feuille cultu(r)el entre tradition et modernité

« Mucho gusto, Señor, me llamo Edwin » (« Enchanté, Monsieur, je m’appelle Edwin »). Edwin. Je suis frappé par la consonance anglo-saxonne du prénom. C’est que le susnommé n’a absolument rien d’un Anglais. Ce jeune homme frêle et de petite taille est le veilleur de nuit de l’hôtel Siete Orejas situé dans la zone 1 de Quetzaltenango, deuxième ville du Guatemala. Une auberge de jeunesse paisible et bien tenue dans laquelle je m’installe un peu à l’improviste, en attendant de trouver mieux.

J’y suis finalement resté toute une semaine, séduit par la tranquillité du lieu et la sympathie du personnel qui semble toutefois avoir un sérieux problème de mémoire : la patronne et la cuisinière m’interrogent chaque matin sur mon nom, mon âge et ma provenance. Comme si de rien n’était. Edwin, lui, n’a pas oublié mon prénom et m’invite dès le premier soir à boire une bière et à partager quelques cigarettes sur la terrasse de l’hôtel. D’une curiosité timide, sachant écouter et parler à bon escient, il réunissait les qualités qui devaient faire de lui un excellent compagnon. À 27 ans et après des années de petits boulots, il rêvait d’apprendre l’anglais et de connaître l’Europe. Contre quelques heures de cours, il accompagna et guida avec bonne humeur toutes mes expéditions autour de la ville. Il faut dire que les possibilités de vadrouilles dans les hautes terres guatémaltèques ne manquent pas. Par une matinée fraîche et ensoleillée, nous partîmes à la découverte de San Andrés Xecul.

Entourée de collines fertiles, San Andrés Xecul est une grosse bourgade qui s’étend sur une plaine en pente douce et grimpe progressivement jusqu’au Cerro de Chuicul (cerro signifie colline en espagnol)  contre lequel elle s’adosse. En langue maya mam, qui fut certainement la première parlée dans la région, Xecul signifie précisément « sous la colline ». Comme dans beaucoup de villes du Guatemala, la plupart des maisons — qui dépassent rarement deux étages — ne sont pas peintes, car la peinture coûte cher.

Découverte d’une église intensément colore

Aussi le béton, dominant, fait-il ressortir avec éclat les touches de couleurs. Ces dernières viennent d’abord des toits : étendus sur de grandes bâches de tissu, les épis de maïs jaunes, blancs, orangés et mauves (il existe de nombreuses espèces de maïs au Guatemala, toutes de couleurs différentes et parfois même multicolores ; l’une d’elles est d’un noir tirant vers le violet) sèchent en compagnie d’un linge bariolé sous un soleil de plomb. Elles viennent aussi de quelques maisons dont les propriétaires ont eu assez d’argent pour les faire peindre : bleu ciel, bleu roi, rouge mat, lie-de-vin, ocre, jaune citron, vert pistache, vert amande et même rose bonbon. Les quelques heureux qui ont pu peindre leur résidence ne se sont pas privés. Mais l’apport de couleur le plus important, à San Andrés Xecul, vient avant tout des deux églises d’un jaune intense qui se font face. La première est située sur la place centrale et la seconde, plus petite, au milieu du chemin qui mène au pied de la colline.

Après cinq minutes de marche nous arrivons à la première, de loin la plus impressionnante. Elle est connue dans toute l’Amérique centrale pour sa façade chargée de motifs divers et colorés. L’église fut probablement construite au XVIème siècle par des artisans locaux k’iche’, peu après l’arrivée des Espagnols. Elle est de style néo-baroque hispanique mais relèverait plus précisément d’un « baroque indigène » mélangeant des éléments de religion maya pré-hispanique avec des figures chrétiennes.

L’historienne de l’art et archéologue Anaité Galeotti mentionne que, selon les dires des Ajq’ij (prêtres mayas qui font perdurer les traditions), l’église naquit de leur rencontre avec l’apôtre saint André, venu convertir la région ! Réticents, les puissants mages mayas reçurent l’ordre du Corazón del Cielo (entité spirituelle maya de premier ordreo U’kux Kaj en k’iche’) de converser avec le saint martyr. De leur discussion naquit un accord : les prêtres mayas acceptèrent d’offrir à saint André le titre de saint-patron du domaine et de lui construire une église, à la condition que la façade de celle-ci leur soit réservée pour « peindre leur vieille histoire et que personne ne l’oublie ». Ainsi la merveilleuse façade comporterait-elle certains symboles fondamentaux de la religion du peuple maya, mêlés à des figures catholiques (une sainte et quatre saints dont saint André lui-même, archanges, croix…). Anaité Galeotti y identifie plusieurs personnages fondamentaux du Popol Vuh, texte fondamental de la religion maya, tels que le dieu du Maïs ou les deux héros jumeaux Hun Hunahpú et Vucub Hunahpú portant leurs enfants Hunahpú et Ixbalanqué, entre autres.

De façon générale, Mme Galeotti met en évidence que la façade résume graphiquement le moment où se présentent les principaux acteurs du Popol Vuh, mais que ces scènes du livre sacré ont été placées de telle sorte qu’elles ne soient claires qu’aux initiés, guides spirituels dont le devoir était d’expliquer ces symboles à la population indigène dans le but de lutter contre le processus d’évangélisation forcée et de maintenir en vie les traditions ancestrales. Elle ajoute que la région, où a vécu un grand nombre de mages reconnus, a toujours été un haut lieu de la religion maya.

Quoi qu’il en soit, et même pour le spectateur ignorant ces considérations historiques,  il va de soi que cette église relève d’un syncrétisme. Cela frappe dès le premier coup d’œil : nous n’avons pas affaire à une église ordinaire, même baroque. Il s’agit bien d’une église guatémaltèque. Purement guatémaltèque. De par de le feu d’artifice coloré qu’elle propose tout d’abord, en parfaite adéquation avec cette passion quasi-obsessionnelle pour la couleur que l’on peut observer partout dans le pays. Jaune bien sûr mais aussi bleu céruléen, blanc, vert bouteille, marsala et noir. Et puis par la combinaison syncrétique de sa façade couverte, sur un fond jaune safran, de motifs à la fois anthropomorphiques, zoomorphiques et végétaux : saints, anges et petits personnages grotesques assis sur les rebords ; jaguars se faisant face sous la croix de fer forgé ; plantes grimpantes (il s’agirait d’une plante connue sous le nom de quiebracajete qui serait utilisée à des fins narcotiques) qui s’enroulent autour de colonnettes torsadées.

La coupole rouge, bleue et jaune rappelle quant à elle un chapiteau de cirque. En un mot, l’ensemble offre un cocktail hypnotisant, parfois cocasse et quelque peu naïf, mais d’une immense gaieté et d’un raffinement rare. Quelle joyeuse conception du sacré ! Je suis à des années-lumières de cette sensation sombre voire macabre que m’inspirent certaines églises européennes. Cette façade mérite qu’on s’y attarde des heures tant elle regorge de détails subtils.

D’un syncrétisme religieux à un syncrétisme culturel

Pourtant, on ne lambine pas. Nos oreilles et nos yeux sont attirés par un spectacle incongru. Sur l’esplanade qui fait face à l’église, une musique hip-hop résonne et un groupe d’une cinquantaine de jeunes gens entoure des danseurs de break. Nous sommes chanceux : nous assistons à la première édition du Festival de breakdance de San Andrés Xecul, comme nous l’apprennent deux jeunes danseurs qui attendent impatiemment leur tour –casquettes NY vissées sur la tête et baskets Vans aux pieds. Et ça vaut vraiment le détour ! Les jeunes locaux ont organisé eux-mêmes la compétition et invité différents clubs de hip-hop de la région. L’attroupement est joyeux, l’ambiance électrique. En duo ou en triplette les danseurs des différents « crews » s’affrontent.

À vue d’œil, ils ont peut-être entre 14 et 20 ans. Face à la fameuse église les artistes décomposent leur gestes, virevoltent, sautent, tournoient. Le niveau est très relevé. Nous sommes impressionnés. Jeans « slim » retroussés sur les mollets, baskets à la mode, débardeurs de NBA, casquettes ou bandanas noués autour du crâne, les stars de la journée présentent tous ce look « street » tout à fait américain. Avant et après chaque joute, les danseurs des deux équipes se « checkent » amicalement. Ils se connaissent tous très bien. Entre chaque « battle », vivement animée par le DJ, les juges se lancent à leur tour dans d’impressionnantes pirouettes pour annoncer le prochain combat. Arrivés pour les demi-finales nous assistons au spectacle jusqu’à la fin. L’américanisme ambiant rencontré chez les jeunes Guatémaltèques tout au long de mon périple ne m’avait jusque-là pas vraiment conquis. Mais je dois reconnaître que je découvre ici l’un de ses plus beaux fruits tant l’agilité des danseurs et la qualité artistique du spectacle m’enthousiasment.

Peu après, entre deux bouchées de chiles rellenos (poivrons farcis à la viande hachée et aux petits légumes), Edwin m’explique que de nombreux habitants de San Andrés ont émigré aux États-Unis. Si certains y sont restés et envoient régulièrement de l’argent à leur famille (remesas), d’autres sont revenus au bercail pour y construire leur maison. Tout cela a engendré un petit boom économique et la ville est aujourd’hui l’une des plus prospères de la région. La suite de notre expédition ne tarde pas à confirmer ses dires. L’émigration a eu des conséquences urbanistiques non négligeables : sur notre chemin nous rencontrons plusieurs grandes maisons dans le style de celles des banlieues américaines aisées. Hautes de deux ou trois étages avec une entrée pour le garage, balcons, véranda. Devant l’une d’entre elles, un homme lave sa voiture avec le tuyau d’arrosage de son jardinet. Il est vêtu d’un short et d’un débardeur de basket. Une casquette des Chicago Bulls est posée à l’envers sur sa tête.

Exemple d’une demeure construite grâce à l’émigration aux Etats-Unis

Néanmoins, ces résidences restent largement minoritaires et détonnent dans cet univers pittoresque. De manière générale, l’ambiance reste très traditionnelle : les femmes portent le huipil, le corte et le delantal (huipil : sorte d’épais chemisier brodé, parfois serti de perles ; corte : jupe longue de tissu épais ; delantal : petit tablier couvrant l’avant du corte. L’ensemble est très coloré et chaque région possède ses couleurs et motifs particuliers. Fait à la main, il peut atteindre une somme élevée). Nous passons devant l’antique lavoir municipal autour duquel une dizaine de mères lave du linge à la main et se raconte des ragots en dialecte k’iche’. Des fillettes jouent dans les ruelles pavées et détalent devant nous en criant. L’odeur de maïs grillé qui s’échappe des petites cours intérieures se mêle au caquètement de la volaille et au claquement sourd des paumes qui forment les tortillas, ces petites galettes de farine de maïs qui sont à la gastronomie guatémaltèque ce qu’est le pain à la française.

Une religiosité indigène… ouverte

Nous arrivons ensuite à la deuxième église. Même couleur jaune safran mais plus petite et moins chargée. Du promontoire où elle est située nous jouissons d’une superbe vue sur la ville et la campagne environnante. L’église est fermée, mais à quelques mètres sur la droite une fumée s’échappe d’un renfoncement creusé dans la terre. C’est un autel maya. Agenouillé face à la tranchée, un prêtre marmonne des incantations en langue k’iche’. Tout en psalmodiant, il jette des morceaux de copal (sorte d’encens) dans le foyer et allume des cierges. Il ne s’interrompt que pour porter une petite fiole d‘agua ardiente à sa bouche puis reprend le rituel.

Comme me l’explique Edwin, presque chaque famille de la bourgade et de ses environs fait appel à un chaman qu’elle rétribue pour exécuter une fois par semaine la cérémonie qui devra leur apporter réussite et prospérité. Si le catholicisme est la religion officielle de la totalité des habitants, les traditions ancestrales perdurent. « De nos jours », analyse Anaité Galeotti, « ses habitants pratiquent beaucoup de leurs anciennes coutumes et religions en dépit d’appartenir ‘officiellement’ à la religion catholique. Cela peut se vérifier du fait qu’il existe de nombreux petits autels dans les montagnes environnantes où les habitants viennent faire leur cérémonies en brûlant du copal ‘pom’ en l’honneur de leurs ancêtres et de la nature ».

Et à San Andrés Xecul, chacun semble très bien s’accommoder de ce syncrétisme. Tout est une même chose, le sacré est sacré, peu importe de quelle chapelle il découle. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les sectes évangéliques parviennent aujourd’hui à convertir la population indigène si facilement. Certains chiffres parlent certes de 8000 conversions journalières dans les régions majoritairement peuplées d’indigènes, mais il apparaît probable que les néo-convertis ne renient pas totalement leurs anciennes traditions mais s’accommodent de nouvelles, qui viennent s’ajouter et se mélanger au sein de leur propre conception du sacré.

Façade de la deuxième église, située sur les hauteurs du village

Le prêtre est interrompu dans sa litanie par la sonnerie de son téléphone portable. Il se lève et répond, toujours en k’iche’. Sans doute un client qui lui commande une cérémonie. Peu après, un homme arrive à notre hauteur, un lourd ballot sur l’épaule. Nous le saluons et lui demandons quelques renseignements. Lui aussi est prêtre maya. Il nous répond aimablement en espagnol, nous donne quelques informations sur ce lieu sacré et pose son balluchon. Ce dernier contient plusieurs fioles de mezcal, du copal et des cierges mais également tout un amas d’objets hétéroclites : régime de banane, bandes de tissu colorées, sachets de haricots et de lentilles, navets rouge sang, petit carnet, paquet de cigarettes et téléphone portable. Il attend que son confrère ait terminé sa cérémonie pour prendre le relais. En attendant, il boit une petite gorgée de mezcal et nous en offre une. Ragaillardis, nous redescendons vers le centre-ville. Toute la bourgade résonne de la musique foraine et répétitive d’un marchand de glaces à moto entouré de gamins.

Le mariage traditionnel indigène

Au détour d’une ruelle, nous apercevons la famille d’un jeune marié qui vient apporter des offrandes au « parrain » du récent mariage. En costumes pour l’occasion les hommes de la famille ferment la marche. À l’avant du cortège, trois femmes, en habits traditionnels, portent sur leur tête d’immenses paniers chargés de victuailles. Le « parrain » est souvent un riche notable du village qui accepte d’aider financièrement à  l’organisation de l’union.

Edwin m’explique alors quelles sont les différentes étapes qui précèdent le mariage dans la tradition guatémaltèque. En premier lieu, les deux familles se présentent au cours d’un dîner où elles discutent de la possibilité et de la faisabilité de l’union. Deux mois plus tard, la tradition veut que le jeune prétendant vienne apporter des cadeaux à la famille de sa promise. Généralement, les offrandes, apportées par le jeune homme dans un grand panier (canasta), sont de nature culinaire : pan de yema (pain doré avec du jaune d’œuf), fruits (essentiellement mangues, papayes, ananas, bananes), légumes divers, riz cuit dans des feuilles de bananier, tamales (papillotes végétales à base de farine de maïs, garnies de légumes et de viande et cuites à la vapeur dans une feuille de bananier ou de maïs) et, si la famille de la jeune fille boit de l’alcool, quelques bouteilles de liqueurs. C’est à cette occasion que le prétendant demande la main de sa fiancée. Si la demande est acceptée, les familles les moins fortunées se mettent alors à la recherche d’un ou plusieurs « parrains » qui accepteront ou non de les aider. Le processus complet prend en moyenne six mois mais « la durée dépend de la situation économique des deux familles« , précise Edwin.

Selon la tradition, la famille de la mariée doit pourvoir à l’achat de tous les ustensiles de cuisine, des tables, des chaises, d’un four, de l’indispensable comal (plaque à cuire les tortillas) et… de dix costumes typiques (huipil, corte et delantal) pour leur fille ! Certaines familles plus fortunées ajoutent même parfois un métier à tisser à la dot. Le futur mari de son côté doit s’occuper de trouver un logis dont il sera le propriétaire. Si elle permet certes l’existence d’un tissu social et générationnel très solide, il faut dire que la durabilité des traditions va souvent de pair avec la persistance d’une société machiste et patriarcale. La situation des femmes au Guatemala est assez préoccupante dans certaines régions où la surnatalité et la violence conjugale sont très importantes. Selon Human Rights Watch, « la violence à l’égard des femmes constitue un problème chronique au Guatemala » (janvier 2011). La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) de l’Organisation des États américains (OEA) affirme qu’il s’agit du « crime le plus signalé : plus de 40 000 plaintes sont déposées chaque année » (OEA 27 mars 2012). L’Unicef signale qu’en moyenne, deux femmes sont tuées chaque jour (Nations unies, 28 novembre 2011). Selon l’Inter Press Service (IPS), agence de presse internationale, le Guatemala a « l’un des taux de meurtres de femmes les plus élevés au monde » (IPS 31 janvier 2012). On peut également lire dans l’article publié par l’IPS que, d’après les dossiers de la police, de 2000 à 2010, 5 200 femmes sont mortes dans des affaires de violence fondée sur le sexe.

Quid de l’identité indigène face à l’américanisation ?

À la lisière de la ville, nous pouvons voir de minuscules églises aménagées dans les garages des habitations les plus spacieuses. Les fidèles chantent en chœur. En costume- cravate, micro en main, le prêtre évangélique mène la danse. En face de l’une de ses étranges petites chapelles (nous en avons vu au moins trois), une grande maison de quatre étages grouille de monde. Que des hommes. Ils portent de larges sombreros et ont soigné leur tenue : c’est un meeting du très puissant parti politique Lider (Liberté démocratique rénovée) qui réunit ce dimanche une grande partie des notables locaux en vue des très prochaines élections. Nous passons notre chemin.

« Guatemaya! ». Graffiti dans le centre-ville de Quetzaltenango

Un pick-up passe, direction La Moreria, d’où nous pourrons prendre le bus de retour pour Quetzaltenango. Au terme d’une course effrénée, nous parvenons à sauter à l’arrière du véhicule, déjà bien chargé. Alors que nous reprenons notre souffle, j’aperçois une demi-douzaine de danseurs parmi les passagers. Nous bavardons tout le long du trajet. Ils ont entre quinze et dix-neuf ans et vivent dans les faubourgs de Xela — nom couramment donné à Quetzaltenango, abréviation de son nom maya Xelajú. Ils ont remporté le troisième prix aujourd’hui et se rendront à Panajachel (ville qui donne sur le célèbre lac Atitlán) dans un mois pour un autre concours. Le nom de leur bande ? Maya Crew. Décidément, quand on parle de syncrétisme…

S’ils sont fortement attirés par les sirènes du modèle de société occidental, ces jeunes ne renient pas leur origine, contrairement à d’autres que j’avais pu rencontrer précédemment. Quelques jours plus tard, je remarque plusieurs graffitis de revendication identitaire maya (voir photo ci-dessus) sur les murs de Xela et note que la municipalité avait érigé une statue à Tecún Umán, dernier roi du peuple quiché qui fut tué par le conquistador Don Pedro de Alvarado au cours de la bataille qu’il menait pour défendre son peuple contre les Espagnols. En ce sens, Xela diffère nettement d’Antigua, ville très touristique où la jeunesse fait preuve d’un occidentalisme affirmé, que ce soit dans la mode vestimentaire ou dans cette obsession qu’a votre interlocuteur de vous prouver qu’il se débrouille un peu en anglais. Combien de fois n’ai-je pas entendu ces cocasses « Nice to meet you my friend » prononcés avec un accent à couper au couteau ! L’attitude qu’ont ces jeunes danseurs à l’égard de leurs origines est plus contrastée, plus ambiguë. Plus équilibrée en un sens.

Avec Edwin, nous sommes désormais attablés autour d’un succulent pepián (ragoût de poulet cuit dans une sauce à base de graines de courge et de sésame grillées, de tomates et de piments moulus, servi avec de nombreux légumes et du riz), dans un petit restaurant situé dans un quartier bruyant, au nord de Xela. La gaieté de San Andrés Xecul m’a frappé. J’ai cru remarquer un lien social et générationnel très fort unissant les habitants. Quand j’interroge Edwin sur ce point, sa réponse dépasse mon attente : quelques mois auparavant, trois bandits en provenance du Salvador sont entrés à San Andrés et ont menacé d’extorsions plusieurs commerçants. (De fait, le Guatemala est un passage obligé de l’émigration salvadorienne vers les Etats-Unis. Désargentés, certains migrants, qui appartiennent parfois à des bandes organisées, commettent rapines et extorsions sur leur passage pour financer la suite de leur remontée vers le nord). La semaine suivante, quand ils sont revenus, tous les hommes du village les attendaient. Ils les ont brûlés vifs le jour même. Selon la tradition.

« Quand le délit est grave », me raconte Edwin, « mieux vaut pour le délinquant que la police l’attrape avant la population du village. Une fois qu’il se trouve entre les mains des habitants, la police n’interviendra pas et laissera se dérouler cette ‘justice autonome’. La plupart du temps le coupable est condamné à mort. Il peut être tué à coups de machettes, à coups de bambous (cela brise les os), pendu ou bien brûlé vif « . Nous commandons un café et commençons la leçon d’anglais.

L’Histoire montre que le Guatemala a toujours dû s’adapter, souvent sous la contrainte. San Andrés Xecul et son incroyable église prouvent néanmoins que les Mayas n’ont jamais totalement renié leurs traditions, qu’elles soient religieuses, sociales ou culturelles. Dans une société de plus en plus exposée à la mondialisation, il faut espérer que le peuple guatémaltèque saura tirer le meilleur du multiculturalisme et que, à l’image de cette église construite il y a cinq siècles, de beaux fruits naîtront des métissages à venir. L’ouverture culturelle est une chance à la condition qu’elle ne rime pas avec uniformisation, occidentalisation à outrance et standardisation des comportements. Mais pour ce faire, il est essentiel que les jeunes Guatémaltèques connaissent d’abord leur propre histoire, avant de vouloir apprendre l’anglais pour émigrer aux États-Unis ou profiter du tourisme. L’éducation, encore très lacunaire, semble ainsi être l’enjeu principal des années à venir.

Informations pratiques

  • Le Popol Vuh (également retranscrit Pop Wuh ou Popol Wu’uj à partir de l’expression k’iche’ signifiant littéralement « livre de la natte », généralement traduit par « Livre du Conseil » ou « Livre de la Communauté ») est un texte mythologique maya rédigé en k’iche’ à l’époque coloniale. C’est le document le plus important dont nous disposons sur les mythes de la civilisation maya.

  • Il existe 23 langues mayas au Guatemala. Les plus parlées sont, par ordre d’importance, le k’iche’ (prononcez kitché), le cakchiquel, le mam et le kekchi. Aujourd’hui, la majorité de la population de San Andrés Xecul parle k’iche’. L’espagnol, bien que plus ou moins bien maîtrisé par tous, est une langue secondaire.

  • À lire : El Pop Wuh redivivo en San Andrés Xecul, texte de l’archéologue et historienne de l’art de l’université de San Marcos (Guatemala) Anaité Galeotti. Elle y développe une analyse iconologique de la façade qui met en évidence la présence de motifs relatifs à la cosmogonie maya, motifs dont elle avance qu’ils ont été occultés par l’église catholique dès leur naissance. Aujourd’hui, l’occultation serait selon elle relayée par les sectes évangéliques dont la présence se fait de plus en plus forte dans la région. Cette étude passionnante est la source principale de cet article. Elle n’a pour l’instant jamais été traduite en français.

  • À lire : Quelques références de lecture complémentaires : sur la violence subie par les femmes et sur le prosélytisme des sectes évangéliques au Guatemala.