« Incroyable schizophrénie en Islande ! » Páll Magnússon, journaliste, longtemps Directeur Général de la Radio-TV d’État, est en colère et le fait savoir :
Páll Magnússon – © visir.isLe gouvernement augmente de 30% le salaire des médecins ; la majorité de gauche de la Ville de Reykjavík augmente de 90% le salaire du directeur de Orkuveita (NDLR : producteur et distributeur d’énergie géothermique, dépendant de la Ville de Reykjavík, mais fournisseur pour une grande partie de l’île) ; le directeur de Samtök Atvinnulífsins accepte que les salaires des pilotes soient majorés de 20% ; l’un des administrateurs de cette même organisation rappelle que dans les négociations en cours les salaires ne doivent pas progresser de plus de 3.5% sous peine de cataclysme, puis au Conseil d’Administration de Grandi accepte pour lui-même une augmentation dix fois supérieure.(…) Dans le même temps certains s’inquiètent dans la presse : la société islandaise ne résisterait pas à une majoration des salaires les plus faibles supérieure à 3 / 4% ou dépassant le seuil de 300.000 Ikr (2000€) par mois.
Et de s’étonner que cette situation laisse de marbre les partis politiques, au pouvoir ou dans l’opposition, comme s’ils ne s’y intéressaient pas ! Sinon, en ce qui concerne le gouvernement, pour jeter de l’huile sur le feu en accordant par exemple de nouveaux avantages aux armateurs et aux producteurs d’aluminium ! Il est donc aisé d’interpréter des revendications apparemment surréalistes comme autant d’actes de défiance à l’égard du pouvoir.
Les sondages le confirment : ce gouvernement est plus impopulaire que ne l’a jamais été celui de Jóhanna Sigurðardóttir, pourtant contraint à des mesures difficiles pour sortir de la crise !
Grèves et menaces de grève en Islande
Le système syndical salarié est complexe, associant à la fois des organisations locales et des organisations professionnelles et même une puissante fédération des diplômés de l’enseignement supérieur.
Les organisations de salariés du secteur privé sont presque toutes rattachées à l’ASÍ, celles du secteur publique au BSRB, mais d’importantes fédérations sont indépendantes, telles celles des enseignants, des personnels hospitaliers ou des salariés des banques. Le plus souvent des accords « au sommet » ont été négociés par ces deux confédérations et SA, fédération des syndicats d’employeurs, ainsi l’Accord de Stabilité signé en juin 2009 pour 3 ans, et que l’on peut considérer comme l’un des principaux facteurs de la sortie de crise.
Magnús Pétursson – © visir.isEn décembre 2013, sous la pression du gouvernement, un accord national est signé pour un an limitant les augmentations à 2.8% afin de ne pas relancer l’inflation. Mais cet accord est très contesté par la base ; près de la moitié des organisations rattachées à l’ASÍ le récusent et négocient directement avec les employeurs de leur secteur. Compte tenu de cette expérience, et s’abritant derrière le non respect des engagements gouvernementaux, l’ASÍ laisse chaque fédération négocier de son coté. Les revendications, qui concernent environ 130.000 salariés, vont de 17 à 70% d’augmentation, ce qui est jugé irréaliste par les fédérations patronales. Conformément à la loi, les litiges doivent être soumis au Médiateur National ; c’est seulement en cas d’échec que la grève peut être décidée, à la majorité des adhérents au syndicat concerné. C’est dire que Magnús Pétursson, médiateur depuis 2008, et aujourd’hui démissionnaire, a une fin de mandat agitée… Certains accords ont été signés, enseignants, infirmières…, d’autres sont en négociation, mais de nombreuses grèves sont en cours ou annoncées, notamment pour les salariés peu qualifiés, par exemple ceux qui travaillent dans le traitement du poisson. 100.000 pourraient être en grève dans le courant du mois de mai. Désireux de reprendre la main, Gylfi Arnbjörnsson, président de l’ASÍ, appelle à un rassemblement des fédérations en passe de s’engager dans la grève. Grève générale ? l’idée ne lui déplairait pas !
En fait c’est à une véritable crise de confiance que l’on assiste. Là où les trois parties prenantes (employeurs, employés et gouvernement) avaient su conjuguer leurs efforts en 2009 pour parvenir à l’Accord de Stabilité, tout semble s’être délité. Phénomène classique de sortie de crise ? Certainement, mais les promesses démagogiques du Premier Ministre, plus chef d’un parti en perdition que chef de gouvernement, et l’attitude hautaine du Ministre des Finances et président du Parti de l’Indépendance, sont pour beaucoup dans le climat actuel. Ce qui permet de qualifier ces mouvements sociaux de « politiques ».
Conséquences politiques
Les sondages confirment les situations mentionnées et analysées dans ma chronique de mars. Les Pirates restent en tête (32%) largement devant le Parti de l’Indépendance (env. 22%) ; les trois autres partis sont autour de 11%, hormis Avenir Radieux qui continue de dévisser (8.3%). Seules 33% des personnes sondées continuent de faire confiance au gouvernement. Un autre sondage, qui celui-ci concerne les dirigeants politiques, montre que les chefs des deux partis au pouvoir ont perdu toute crédibilité. Sont en tête Katrín Jakobsdóttir, pourtant présidente d’une Gauche Verte qui ne parvient pas à profiter de l’impopularité du gouvernement, et le président Ólafur Ragnar Grímsson. Où certains verraient bien la première succéder au second ! À moins que Katrín ne profite de sa popularité pour rassembler la gauche ?
Face à cette situation, les ministres renoncent :
- Le « pass nature » cher à Ragnheiður Elín Árnadóttir est abandonné,
- Le transfert à Akureyri de la Direction de la Pêche prend le même chemin avec les excuses du Ministre (Sigurður Ingi Jóhannsson – Parti du Progrès) pour avoir si peu consulté les intéressés !
Les quotas de maquereaux
Pourtant, avec son projet de loi sur les quotas de maquereaux, ce même ministre lance un autre brulot : il s’agit d’attribuer des quotas pour 6 ans, ensuite renouvelables chaque année avec un délai de prévenance de 6 ans en cas de suppression. Le projet ne satisfait personne, ni les armateurs concernés, ni l’opposition politique, qui reproche à ce texte de brader des quotas sans mentionner que ceux-ci ne sont pas un droit de propriété. De plus elle y voit une manoeuvre politique, car le délai de 6 ans va au-delà de la durée de la prochaine législature, et donc empêcherait une éventuelle nouvelle majorité de revenir sur ce dispositif si elle arrive au pouvoir dans deux ans. Une pétition est lancée, couverte à ce jour de 30.000 signatures pour demander au président Ólafur Ragnar Grímsson de ne pas promulguer cette loi et provoquer ainsi un referendum.
Il est bien possible que ce dernier, qui depuis sa réélection semble avoir oublié cette « démocratie directe » dont il s’était fait le héraut, y revienne s’il souhaite briguer un sixième mandat ! À noter que l’Alþingi peut lui aussi provoquer un référendum !
Autre actualité économique
La levée du contrôle des changes
Comme lors les mois passés le dispositif permettant la levée du contrôle des changes est promis pour bientôt, mais il est clair que les deux partis au pouvoir ne sont pas d’accord sur ce dispositif. Lors du congrès de son parti, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, réélu avec 98% des voix, tente de forcer la main de son allié en annonçant le vote d’une taxe sur les sorties de capitaux, mais on reste pour l’instant dans le flou sur les intentions du gouvernement.
Celui-ci a en fait deux problèmes à résoudre :
- Celui des « glaciers bonds », qui résultent de spéculations sur la couronne islandaise antérieures à la crise. Ces « bonds « sont libellés en Ikr, et leur sortie brutale pourrait entraîner une forte dévaluation de la couronne. Des transactions ont déjà eu lieu sous le contrôle de la Banque Centrale, de sorte que leur montant est passé de 3 à 2 milliards de dollars,
- Celui des créanciers des trois banques défaillantes en 2008 – surtout des « hedge funds » – détenteurs d’obligations. La réponse la plus étudiée, et qui a les faveurs du Premier Ministre, est celle d’une « taxe de stabilisation ». Mais même si elle apporte à l’Etat des ressources supplémentaires, on ne voit pas comment elle évitera un possible décrochage de l’Ikr !
Le rapport de Frosti Sigurjónsson
Nationalisation des banques, Icesave, réforme constitutionnelle « par le peuple », dévaluation voulue de la l’Ikr, l’observateur de la vie islandaise est coutumier de ces informations, ou idées, nées en Islande, qui traversent l’Atlantique, pour, une fois arrivées, être tordues et reconfigurées afin de servir à des idéologues peu scrupuleux. Ainsi en va-t-il du rapport de Frosti Sigurjónsson, Parti du Progrès, président de la Commission des Finances de l’Alþingi, dans lequel ce dernier propose, pour faire face aux nombreuses crises économiques sur l’île, de refonder complètement son système monétaire. Sa principale proposition est de confier à la seule banque centrale le pouvoir de créer de la monnaie, les autres institutions financières ayant pour seule responsabilité sa répartition. En Islande, ce rapport n’est commenté que parce qu’il a été écrit en anglais et que les autres membres de la commission ont refusé de le signer.
Ailleurs il est abondamment repris et trahi par tous ceux qui sont opposés à l’euro et/ou veulent réduire la pouvoir des banques, et oublient de préciser que, de l’aveu même de son auteur, l’idée est difficile à mettre en oeuvre, notamment les relations de l’Ikr avec les autres monnaies, et pourrait ralentir l’activité économique.
Relations extérieures
- Le 16 avril a lieu dans les locaux de la Chambre de Commerce de Paris un colloque sur la géothermie organisé à l’initiative de la Chambre de Commerce Franco-Islandaise (FRÍS) en collaboration avec les deux ambassades. Ce colloque, qui associe des professionnels islandais et français, est introduit par le Président Ólafur Ragnar Grímsson et clos par Monsieur Laurent Fabius. Le lendemain le Président islandais rencontre son homologue français. Celui-ci accepte une invitation à se rendre en Islande en octobre 2015 à l’occasion de la Conférence « Arctic Circle »,
- Le 17 avril Gunnar Bragi Sveinsson, Ministre des Affaires Etrangères (Parti du Progrès) reçoit Jen Stoltenberg, Secrétaire Général de l’OTAN. Où ce dernier rappelle que l’Islande a un rôle clé dans l’alliance. Ces propos sont d’autant plus importants que Ögmundur Jónasson, ancien ministre et aujourd’hui député (Gauche Verte) relance le débat sur l’appartenance de son pays à cette dernière,
- Le 27 avril Gunnar Bragi reçoit une réponse de l’UE à sa lettre de mars par laquelle il annonçait que l’Islande n’avait pas l’intention de poursuivre la négociation d’adhésion à l’UE
Actualité culturelle (et carnet)
Ces statistiques qui impressionnent : un quart des Islandais a assisté à un concert symphonique en 2014, et un islandais sur 10 est allé voir une représentation théâtrale proposée par un groupe amateur !
Sigurður Pálsson, écrivain et poète, francophile et francophone, a été fait le 21 avril membre d’honneur de l’Association des Ecrivains Islandais ; Sigurður est aussi Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres et Chevalier de l’Ordre National du Mérite !
Puis le 23 avril, ce fut au tour de Arnaldur Indriðason d’être fait Chevalier des Arts et des Lettres par Philippe O’Quin, Ambassadeur de France en Islande.
Pendant ce temps le vie continue…
- 14.04 – Jón Atli Benediktsson, Vice-Recteur, a été élu au deuxième tour Recteur de l’Université d’Islande par 54.8% des suffrages contre 42.6 à Guðrún Nordal. Il y avait 14345 électeurs inscrits, 1486 salariés de l’Université et 12859 étudiants ; 52.7% se sont exprimés,
- 15.04 : Vigdís Finnbogadóttir, présidente d’Islande de 1980 à 1996, a aujourd’hui 85 ans ; ses compatriotes sont nombreux à lui souhaiter bon anniversaire,
- 26.04 : les Basques peuvent revenir dans le Fjords de l’Ouest, où ils ont longtemps chassé la baleine : le décret de 1615 autorisant leur meurtre a été rapporté14,
- 28.04 : les élèves de Verzló, un des meilleurs lycées du pays, saluent le printemps ( ?)…