D’ici le 26 mars, fin de sa session de printemps, l’Alþingi doit se prononcer sur 42 textes, aujourd’hui à divers stades d’une procédure parlementaire lourde puisque chaque texte fait l’objet de trois lectures avant adoption. L’exercice est d’autant plus délicat que sur les projets les plus emblématiques les deux partis au pouvoir ont d’importants désaccords.
Il s’agit en particulier des quotas de pêche, et du « pass nature ». Les dirigeants des deux partis sont par contre d’accord pour voter une motion rompant officiellement les négociations d’adhésion à l’UE, mais on sait que l’examen du texte risque de mettre au jour les profonds désaccords qui traversent le Parti de l’Indépendance sur ce sujet, au point de risquer une scission. Pour ce qui concerne la levée du contrôle des changes, la volonté d’y parvenir est partagée par l’ensemble de la classe politique, mais les deux partis au pouvoir sont très hésitants sur ce qui ressemble à un saut dans l’inconnu. Donc des jours difficiles à venir pour un président du Parti de l’Indépendance dont l’autorité continue d’être contestée dans son parti, et un président du Parti du Progrès et aussi Premier Ministre, moqué de toutes parts dans l’opinion.
Le Pass nature islandais
Ragnheiður Elín ÁrnadóttirIl a fallu une belle obstination à Ragnheiður Elín Árnadóttir, Ministre de l’Industrie et du Commerce (Parti de l’Indépendance) pour faire progresser son projet au milieu de l’hostilité générale, tant des professionnels du tourisme que des députés de la majorité, y compris dans son propre parti. Rappelons qu’il s’agit de vendre aux touristes, y compris islandais, un « pass » autorisant l’accès à tous les sites touristiques, dont le prix varie selon la durée. Trop compliqué, disent ses détracteurs, notamment pour contrôler son achat, là où selon eux une augmentation des taxes de séjour aurait pu suffire. Moyennant des aménagements significatifs, Ragnheiður Elín semble avoir convaincu une majorité suffisante pour faire voter son projet, dont elle attend des rentrées bien supérieures à une augmentation, fût elle substantielle, des taxes de séjour. des présidents heureux… pour combien de temps encore ?
La réforme des quotas de pêche
Où Sigurður Ingi Jóhannsson, Ministre de la Pêche (Parti du Progrès), semble avoir à cœur la réalisation d’une réforme sur laquelle l’ancienne majorité a buté alors que c’était une pièce essentielle de son programme… Il s’agit de revoir un système honni de beaucoup car il permet la concentration de l’activité entre quelques mains très riches, mais dont les partisans estiment qu’il est essentiel au succès de la pêche islandaise, seule en Europe à ne recevoir aucune subvention. Le projet de Sigurður Ingi commence par un rappel qui n’est pas inutile : les quotas, attribués gratuitement puis rendus aliénables, ne confèrent pas un droit de propriété, mais l’autorisation d’exploiter une ressource commune à tous les Islandais. Ceci implique la possibilité de révoquer périodiquement cette autorisation, ce qui ne peut convenir aux armateurs qui font valoir l’importance des investissements nécessaires à l’armement et l’entretien d’une flotte performante.
De même ils demandent que les taxes sur la pêche soient fixées pour une période pluriannuelle, afin de leur donner la visibilité nécessaire à leur activité. De fait le statu quo leur conviendrait bien…
Davíð OddssonOr les principaux armateurs sont aussi d’importants contributeurs au Parti de l’Indépendance.
Ainsi Guðbjörg Matthíasdóttir (Iles Vestmann) qui détient 20% des quotas de capelan, est aussi principale actionnaire de Árvakur, société gestionnaire de Morgunblaðið, quotidien payant encore lu par 1/3 des Islandais, et dont le rédacteur en chef et éditorialiste n’est autre que Davíð Oddsson, ancien Premier Ministre et président de la Banque Centrale lors de la crise.
Trop important pour être bâclé, disent les armateurs, et avec eux le Parti de l’Indépendance, en quoi il est paradoxalement rejoint par l’opposition. Pour elle le sujet est si crucial qu’elle verrait bien le président Ólafur Ragnar Grímsson provoquer un référendum !
En juin 2013, alors que la Parti de l’Indépendance tout juste arrivé au pouvoir avait réduit la taxe sur la pêche, le président Ólafur Ragnar n’avait pas voulu donner suite à une pétition, pourtant couverte de 35000 signatures, au motif que cette réduction n’était que temporaire et n’affectait pas la gestion des ressources de la communauté islandaise. Mais ce serait certainement différent pour le projet de Sigurður Ingi ; ira-t-il jusqu’au bout ? Et dans ce cas que fera Ólafur Ragnar, qui semble apprécier sa vie de président « jet setter » au point de laisser courir l’idée d’un sixième mandat ?
Actualité économique et sociale
Salaires et pouvoir d’achat : Sigmundur Davíð et Bjarni ont une autre préoccupation : les négociations sociales qui s’annoncent, et dont ils veulent contenir les résultats afin de ne pas éveiller l’inflation, toujours aussi sage. Mais leurs réponses divergent : le premier verrait bien une augmentation identique pour tous, ce qui avantagerait les bas salaires, alors que le second ne semble pas avoir cette préoccupation… On comprend qu’il ne s’agit pour le premier que de reprendre quelques uns des électeurs repartis au Parti de l’Indépendance, puisqu’aussi bien il a peu de prise sur les négociations.
Celles-ci seront difficiles. Les organisations patronales et de salariés se plaignent du manque de considération du gouvernement ; ils s’estiment en position difficile pour contenir les augmentations alors que les médecins ont obtenu au moins 20% en janvier et les enseignants du secondaire des augmentations ou avantages divers du même ordre. Les dirigeants de ASÍ (fédération des syndicats de salariés du privé) se souviennent amèrement de leurs difficultés pour faire accepter les 2.8% d’augmentation négociés pour 2014. Sous l’effet des augmentations acceptées dans la fonction publique l’indice des salaires a progressé de 0.7% en janvier par rapport à décembre et de 6.3% en un an. Avec une inflation contenue en dessous de 2.5%, le pouvoir d’achat a progressé en moyenne de 5.5% en un an. A 117 en moyenne pour 2014, l’indice du pouvoir d’achat est revenu à ses niveaux de 2006 (115.2) et 2007 (119.6).
Le commerce extérieur
Le graphique ci-dessus fait apparaître une sensible évolution de la structure des exportations de biens et services depuis 2009, où l’apport des services double sur la période. On note aussi une progression des « divers » qui incluent les produits agricoles, les produits industriels autres que l’aluminium, et toutes sortes de productions apparues lors de la crise pour faire face au chômage. Ce début de diversification est incontestablement positif.
Taux de base bancaire : Malgré ces résultats, une inflation maintenue en dessous de l’objectif de la BCI (2.5%), ainsi qu’un taux de change stable la Banque Centrale décide de maintenir son taux de base à 5.25%.
Actualité économique et judiciaire
Al Thani (suite et fin ?)
Chacun a en mémoire ma chronique de décembre 2013 où je relatais le procès Al Thani ! L’affaire s’est déroulée quelques jours avant la faillite de la banque Kaupþing, lorsque le Cheik Al Thani, membre de la famille royale du Qatar, achète par l’intermédiaire de son ami Ólafur Ólafsson 5% du capital de la banque avec un prêt de cette dernière. Pour avoir organisé et caché cet achat et les transferts complexes qui lui ont été associés, Hreiðar Már Sigurðsson, ancien directeur général de Kaupþing, est condamné à 5,5 années de prison, Sigurður Einarsson, fondateur et ancien président de la banque, à 5 ans de prison, et Magnús Guðmundsson, ancien directeur général de Kaupþing à Luxembourg, à 3 ans. De son coté Ólafur Ólafsson devra purger 3.5 ans de prison pour complicité et blanchiment d’argent. Le tout assorti de lourdes amendes.
Au grand dam des intéressés, la plupart des peines sont alourdies en appel, comme on voit sur la photo.
Alors qu’il existe une liste d’attente d’une centaine de personnes certainement peu pressées d’entrer en prison, Ólafur Ólafsson demande à purger immédiatement sa peine.
Ainsi obtient il d’aller à Kvíabryggja, dans le nord du Snæfellsnes, où il devra travailler et se former, et, s’il veut, jouer au golf . Autre avantage : son épouse acceptera certainement de quitter leur maison suisse pour s’installer à 40 kilomètres dans sa ferme au sud du Snæfellsnes …
Listings HSBC
Les mêmes, et bien d’autres (400 ?), doivent être sur les listings que Hervé Falciani, ancien salarié de HSBC, a si complaisamment mis à la disposition de divers services fiscaux européens. Les Islandais peuvent ils en bénéficier ? C’est en tout cas ce que souhaite Bryndís Kristjánsdóttir, chef du service des contrôles fiscaux. Mais elle ne peut le faire, selon elle, sans l’accord de Bjarni Benediktsson, Ministre des Finances. Et celui-ci se montre embarrassé, invoquant le prix d’achat de ces dossiers, puis se ravise dès que le soupçon se développe : des membres de sa famille (une des plus riches d’Islande !) seraient ils sur ces listes ? Le coût ne sera pas un problème : Eva Joly, de passage en Islande, téléphone à son ami Hervé Falciani, qui accepte de donner les dossiers. Il ne reste plus qu’à expliquer le mode d’emploi à Bryndís.
Relations extérieures
Comme on sait, toute l’île est en attente de la motion que Gunnar Bragi, Ministre des Affaires Etrangères, doit déposer avant la fin de la session parlementaire pour que les négociations d’adhésion à l’UE, en sommeil depuis janvier 2013, soient officiellement rompues. Car c’est aussi une affaire intérieure… Mois après mois, les sondages confirment que seul 1/3 des électeurs est favorable à l’adhésion et 45 à 50% hostile. Mais ces derniers sont curieux ; en dépit de leur hostilité, une majorité aimerait que la négociation aille à son terme, que soient abordés les deux chapitres les plus critiques : pêche et agriculture. Et surtout, il est important que les gouvernants respectent leur promesse d’organiser un référendum, lui fût il défavorable. C’est aussi cela la démocratie, même si le prix à payer est la scission du Parti de l’Indépendance. Qui plus est, la difficulté de démanteler le contrôle des changes par crainte d’une crise monétaire donne des arguments à ceux qui souhaitent l’entrée de l’Islande dans la zone Euro. Ainsi l’économiste Ásgeir Jónsson, très proeuropéen, craint une forte dévaluation de la couronne, et donc un accroissement de l’endettement des ménages.
Autre conséquence de l’isolement de l’Islande : son exposition au terrorisme, dont Gunnar Bragi constate les effets en se rendant à Copenhague le 16 février pour manifester la solidarité de son pays avec le Danemark. Une commission va être créée à ce propos.
Pendant ce temps la vie continue
- 05-02 : en portant sur ses épaules un mât de 640kg, Hafþór Júliús Björnsson (2.06 m x 195kg) qu’on a vu “liker” dans Game of Thrones, a battu un record établi par Órmur Stórólfsson voici 1000 ans
- 15-02 : le président Ólafur Ragnar Grímsson était du 5 au 15 février en visite officielle au Bouthan puis en Inde. Il a saisi l’occasion pour participer aux festivités du mariage de Sanjay Hinduja et Anu Mahtni (coût 20 millions d’euros pour une semaine). Il y avait là Jennifer Lopez et d’autres célébrités, mais il était le seul chef d’état présent,
- 26-02 : l’Islande ne ferait plus 103000 km² mais 102755,
- 27-02 : selon Airports Council International, l’aéroport de Keflavík a été le meilleur en Europe en 2014,
- 28-02 : Holuhraun est déclaré éteint ; mais pas Bárðarbunga ! Durée : du 31 août 2014 au 25 février 2015, soit 181 jours – Surface de la lave : 85 km² – Epaisseur maximale : 40 mètres – Epaisseur moyenne 10 à 14 mètres, soit un cube de 1.4 kilomètres