La cuisine islandaise

« Sæl og blessuð ! Hvað segir þú gott ? » pourrais-je dire lorsque je rends visite à Elma dans son 60 mètres carré. Elle a 92 ans en petite forme. Elle me répondrait à peine; plongée qu’elle est dans ses pensées juvéniles et assommée par les médicaments journaliers. Au lieu de cela, la première chose que je fais lorsque j’ouvre la porte, c’est de rester bouche close et le nez pincé mon salut coincé dans la gorge. Elma est assise devant la table de sa cuisine timbre-poste. A coté d’un monticule de boite de médicaments qu’elle a rangé avec soin pour que tout soit en ordre, elle s’apprête à manger. Ses yeux glauques se relèvent tout doucement en me voyant pénétrer chez elle alors qu’ils étaient plongés dans son assiette une seconde auparavant. C’est la goutte qui fait déborder le vase ou bien « dropinn sem fyllir mælinn » comme ils disent en Islande. Ça revient au même. Le vase est en trop plein. Il y a des soirs (j’y peux rien, c’est le soir) où les éléments s’accumulent de telle sorte qu’on disjoncte. En moins de 15 minutes, la moutarde m’ait montée au nez.

Tout a commencé chez Helga (84 ans) qui cuisinait quelques côtelettes panées. Elle cuisine des côtelettes panées au moins 4 fois par semaine. Chaque fois que je lui rends visite il y a cette odeur de friture panée qui plane dans l’appartement. Bon sang, pensais-je, c’est la 4ème fois cette semaine ! Ensuite ce fut au tour de Ólafur (93 ans) qui lui, devait se réchauffer son poisson-pomme-de-terre-hrásalat cuit à l’eau avec une noisette de smjör ranci qu’il garde toujours hors du frigo sinon il devient trop dur. La nausée… En sortant je me suis dis jamais 2 sans 3. Sesselja (tout juste 70 ans) avait tartiné une tranche de pain avec du pâté de mouton islandais (kindakæfa). Chose (j’appelle ça chose parce que c’est innommable) que je n’arrive pas à manger tellement le goût est … sans goût ! À peine salué Sesselja, je respirai un grand coup au dehors. Allez mon gars, me disais-je, c’est fini. Reprend tes esprits. Ça va passer. Hahahaha !

C’était sans compter Elma. La coquine. Ils avaient tous dû se mettre de mèche pour m’empoisonner la soirée. C’est sûr ! Elma donc, et ses yeux glauques dans son tee-shirt datant du siècle dernier et laissant paraitre ses avantages délaissés à l’abandon. Avec ses petites pilules bien entassées dont quatre se bataillaient sur la table avec la reine somnifère Imovane. Le spectacle tiré tout droit d’une scène de Germinal de Zola m’emplit d’une grande solitude et de détresse. Dans son assiette, attendait la demie tête ébouillantée d’un agneau qui la regardait du même œil glauque qu’on jurerait qu’Elma et lui avaient été frère et sœurs jadis. Elle le regardait. Il la regardait. Lui livide de son ébouillantage et elle livide de n’être pas sorti depuis des lustres. C’était pitoyable. Trois pommes-de-terre tiraient entre-elles à courte paille pour savoir qui serait la première à être mise en bouche. Je sais bien que c’est Þorrablót mais dans cette mise en scène là, les bras m’en sont tombés. Er þetta gott ? (Est-ce bon ?) Demandais-je avec dédain… Þetta er besti matur í heimi (Il n’y a rien de mieux au monde).

Qu’est-ce-que vous voulez répondre à ça ?