A découverte du parc national de Tung Yai Naresuan (1ère partie)
En 2005, je décide de partir en repérage à pied dans une région
méconnue des touristes, à savoir le parc national de Tung Yai
Naresuan, classé par l’Unesco au Patrimoine de l’Humanité où subsiste
le forêt sans doute la mieux préservée de Thaïlande et où la faune est
encore relativement abondante (éléphants, tigres, gaur, ours, singes,
cerfs).
Pour cela, il faudra longer la frontière birmane et parfois passer
cote birman. Nous sommes deux, ma petite cousine qui effectue son
premier grand voyage loin de sa Corrèze natale et moi-même.
Je vis
en Thaïlande depuis les années 80, je parle le thaï. Je trouve
facilement des pisteurs karen parlant le thaï. Ils s’avèreront
indispensables car les embranchements sont nombreux, le risque de
se perdre est réel. Nous marchons 6 à 7 heures par jour
essentiellement en forêt. Nous franchissons des ponts en bambou, des
cascades. Parfois nous croisons des bonzes de la forêt, itinérants qui
méditent en forêt. Ils ont choisis cette partie de la Thaïlande car les
villages sont éloignés les uns des autres et la nature est sauvage.
La nature nous enchante, les sons aigus des cigales et les cris des
gibbons retentissent par moment. Nous logeons dans des villages de
l’ethnie karen.
Je voudrais en venir au village de Letongku qui nous a
marqué à jamais. Il s’agit d’un village karen proche de la frontière
birmane dans la province de Tak. Nous y arrivons après sept jours de
marche, nous sommes fatigués. Ce village coquet très étendu au pied
d’une falaise et situé au-dessus d’une merveilleuse cascade nous
éblouit.
L’hospitalité des karen ne se démentit pas. Nous allons au
temple le point fort de notre voyage.
Ici on pratique un culte unique en Thailande. Il compte 16 000
adeptes répartis entre 31 villages en Birmanie et 3 en Thaïlande,
Létongku étant le seul en Thaïlande où réside un chef religieux appelé
isi. I’isi l’équivalent d’un guru est considéré comme un dieu vivant, le
dixième d’une lignée de chamans.
Le peuple karen a été converti en
parti par des missionnaires protestants car il offre un terreau idéal aux
évangélistes: cosmogonie très proche de la Bible, à savoir le mythe du
fruit défendu dans le jardin de la création consommé par le premier
couple Karen appelé « Etokara et Etokasi » (comme le Ciel, comme la
Terre), le mythe messianique du « frère blanc » qui doit apporter le
« Livre d’or » ou Ecritures sacrées.
Mais dans ce village, les missionnaires se sont heurtés a un croyance profondément enracinée mis à part quelques familles qui ont été évangélisées.
Le guru :
L’isi actuel s’appelle Monnae, (l’oncle qui est devenu bonze en langue
karen), est né en Birmanie, il a été choisi parmi ses disciples par son
prédécesseur mort en 1989. L’interprétation des rêves joue un rôle
primordial dans la prise de décision : Monnae, par exemple, porte une
robe blanche et non jaune car dans un rêve, le huitième et le neuvième
chaman lui sont apparus simultanément (cas unique), le huitième lui
défendant de porter la couleur jaune, le neuvième l’y autorisant.
Fêtes et règles de vie au temple :
Le guru est entouré de soixante disciples ou novices âgés de dix à
vingt-huit ans qui sont à son service pour un minimum de trois ans,
participent aux cérémonies rituelles, aux corvées ménagères,
fabriquent des paniers à offrandes, travaillent la terre et le jardin
potager appartenant au temple. Les plus jeunes, au nombre de cinq,
sont chargés du feu sacré qui brûle toute la nuit dans le logement de
leur maître et dorment auprès de lui.
La règle de vie communautaire est assez stricte: deux repas par jour en temps normal et un seul en période de Carême qui correspond à celui des Bouddhistes
Theravadin- à la saison des pluies-. Un interdit scrupuleusement
observe dans tout le village prohibe l’élevage d’animaux domestiques
(poules, canards, porcs, buffles, vaches) pour la consommation. La
chasse du petit gibier (devenu rare) dans la jungle proche est
autorisée : la viande de singe, de porc-épic, de rat de bambou, de
crevettes, de poisson est consommée par les laïcs. L’isi, lui, n’a droit
qu’aux fruits et légumes de son jardin, au riz et au maïs cultivés près
du temple. L’alcool est absolument proscrit dans tout le village.
L’isi est célibataire bien que le huitième, l’isi Jae Ya, (celui qui a reçu
l’autorisation de devenir prêtre en langue karen) prit femme et eut
deux enfants. Il lança une attaque à titre de représailles contre les
Birmans, persuadé de son invincibilité – (se référer au mouvement de
la God’s army de frères jumeaux karen âgés de 9 ans) – dû à son état
d’être divin pour finir enlevé, puis assassiné par le KNU (Karen
National Union) le tenant pour responsable de la mort de plusieurs
combattants du mouvement de libération.
Les novices ne sont pas autorisés à pénétrer dans la maison de laïcs. Ils doivent se laisser pousser les cheveux et les nouer en chignon ceints d’un foulard blanc,
au-dessus du front.
Le cycle des lunaisons rythme la vie religieuse et profane selon un
calendrier, défini par le premier chaman, qui a la forme d’une
planchette perforée sur laquelle l’isi déplace un bâtonnet chaque jour;
le premier jour de la semaine est un dimanche, les jours néfastes
indiqués par des petits trous.
Lors de la pleine lune et de la nouvelle lune, les fidèles se rendent au temple situé à l’extérieur du village chargés d’offrandes: canne à sucre, ananas, noix d’arec (bétel),
cultivée et chiquée en abondance, noix de coco, bougies en cire
d’abeille confectionnées artisanalement.
La cire d’abeille récoltée en forêt à la saison chaude est très précieuse.
Elle peut servir à se racheter en cas de faute grave comme l’adultère: le
couple fautif doit, entre autre, offrir une bougie de 3 kgs au chaman
après avoir été banni du village pendant 3 ans.
La tenue vestimentaire lors des cérémonies religieuses est, pour les hommes, la tunique blanche, symbole de pureté; les femmes mariées portent une robe
rouge tandis que les jeunes filles sont en blanc. Elles ont un statut
inférieur aux hommes, reléguées au second plan lors des cérémonies,
discrimination que l’on retrouve parmi de nombreuses ethnies
animistes qui considèrent que le sang menstruel est impur, et donc pourrait souiller l’aire sacrée.