Arriver jusqu’à Vianden n’a pas été une mince affaire. En partant d’Echternach, j’ai voulu faire le malin en passant la frontière vers l’Allemagne. Du coup j’ai réussi à me perdre en passant un grand pont qui m’a mené dans la petite ville d’Echternacherbrück et dont je n’ai pas vraiment réussi à sortir autrement qu’en en sortant de la même manière que j’y étais arrivé. Des travaux m’ont passablement compliqué le passage. Ce n’est bien plus tard que je me suis aperçu qu’un petit pont situé à quelques mètres du parking où j’étais garé m’aurait permis de contourner les travaux et ainsi monter vers le nord facilement. J’ai donc emprunté la route qui longe la Sûre, une route agréable et calme qui permet de prendre le temps. Arrivé à Bollendorf, en passant simplement le pont, on est en Allemagne, et c’est ici que je me perds dans la campagne boisée et sombre, longeant toujours le cours de la rivière (qu’à force de remonter on finit par changer de cours pour son affluent, l’Our, à Wallendorf), traversant un bois pour retomber sur les hauteurs de la vallée de la Sûre, puis les petits villages de Biesdorf et de Kruchten, et finalement, je me rends compte que je ne maîtrise plus grand-chose. Je me laisse porter par les panneaux indicateurs, repassant encore la frontière après l’agréable bourg de Körperich et les lacets des routes de montagne près de Roth-an-der-Our.
En cette fin d’après-midi, j’arrive dans la petite ville encaissée sur les deux rives de l’Our, dans laquelle au début du siècle dernier on pouvait encore trouver des pièges à saumons. La ville est humide, un peu vieillotte. Si mes souvenirs d’ici restent parcellaires, j’ai l’impression de revenir bien des années en arrière, comme si presque rien n’avait changé. Une fois de plus, je suis sur les terres d’un homme dont je peux suivre les traces ; après Guernesey, c’est ici que je marche dans les pas de Victor Hugo. On sent encore son ombre se faufiler dans les petites rues de la ville jusqu’aux pieds des contreforts du Schloss Vianden. Le seul souvenir vivace, c’est la piscine de cet hôtel que j’ai réussi à retrouver, au moins sur les images d’internet, mais sur place, j’abandonne, je ne reconnais plus rien. L’hôtel n’a peut-être même plus de piscine.
Je gare ma voiture dans la montée qui sert de parking, tout au bout de la ville. C’est une route qui dégouline d’humidité où les voitures attendent sagement sous les frondaisons de chênes immenses. Une petite maison est à vendre. Une barrière devant un escalier qui grimpe sec sur le flanc du rocher, une maison toute simple accrochée là à cinquante mètres de la rue, encore en bon état mais perdue dans les arbres, à l’écart du monde ; je ne sais pas pourquoi mais je m’y imagine bien.
Le château de Vianden est construit sur un piton rocheux qui domine toute la vallée de l’Our. C’est une grande bâtisse construite tout en longueur, dans un style néo-gothique qu’on sent assez récent. Si le château existe, pas sous sa forme actuelle, depuis le milieu du Vème siècle (c’est donc d’abord un petit châtelet romain construit sur le territoire du royaume des Francs, ce qui en fait donc un des plus anciens châteaux d’Europe), il est resté très longtemps à l’abandon. Les cartes postales du premier quart du XXème montrent un ensemble de ruines desquelles n’émergent qu’un reste de tour, une chapelle et des murs plus ou moins hauts ; un paysage de désolation qu’on a du mal à imaginer lorsqu’on regarde le château tel qu’il est aujourd’hui. Le travail de reconstitution est tout simplement admirable. Fief des comtes de Vianden puis de la famille d’Orange-Nassau, actuelle famille régnante des grands ducs de Luxembourg, il n’est plus propriété de la famille grand-ducale depuis 1977, date à laquelle il est versé au compte des propriétés d’état. Le Grand-Duc de Luxembourg actuel est Henri Albert Gabriel Félix Marie Guillaume de Nassau (branche de Bourbon-Parme), qui règne depuis l’abdication de son père Jean en 2000.
- Grandes armoiries d’Henri - Grand-Duc de Luxembourg
Écartelé, aux I et IV de Luxembourg qui est burelé d’argent et d’azur, au lion de gueules, la queue fourchue et passée en sautoir, armé, lampassé et couronné d’or, aux II et III de Nassau qui est d’azur semé de billettes d’or, au lion couronné du même, armé et lampassé de gueules, sur le tout en cœur de Bourbon de Parme qui est d’azur à trois (deux, une) fleurs de lys d’or à la bordure de gueules chargée de huit coquilles d’argent posées en orle. L’écu est timbré d’une couronne royale et entouré du ruban et de la croix de l’Ordre de la Couronne de Chêne.
Les supports sont à dextre un lion couronné d’or, la tête contournée, la queue fourchue et passée en sautoir, armé et lampassé de gueules, à senestre un lion couronné d’or, la tête contournée, armé et lampassé de gueules, chaque lion tenant un drapeau luxembourgeois frangé d’or.
Le tout est posé sur un manteau de pourpre, doublé d’hermine, bordé, frangé et lié d’or et sommé d’une couronne royale, les drapeaux dépassant le manteau.
Plan du château de Vianden (Das Schloss Vianden)
L’intérieur du château montre les différentes époques de sa construction, avec notamment tout un pan du mur sud sur lequel on peut voir les différents éléments de remploi et les couches successives qui nous parlent directement de l’histoire du monument. On trouve également d’immenses salles voûtées, des couloirs qui sillonnent toute la longueur jusqu’à la chapelle supportée par une crypte aux piliers massifs. La chapelle a été redécorée de couleurs vives, de bleu de Prusse, de rouge brique et de jaune d’or, et de vitraux aux armoiries des familles qui ont possédé les lieux. D’aucune fenêtre on ne peut voir l’extérieur, mais je sais que d’ici pourrait se trouver la plus belle vue, donnant sur l’est et la vallée.
Mon lieu préféré, où je m’attarde le plus, est cette salle qui n’est a priori d’aucune utilité et dont le nom touche immédiatement mon cœur : la salle byzantine. C’est un vaste corridor couvert, ouvert au nord et au sud, faisant la liaison entre la chapelle et les lieux de vie, au-dessus de la salle des gardes. Ses ouvertures sont en fait des fenêtres trilobées, devant chacune desquelles se trouvent une marche et deux sièges qui sont autant d’invitation à la flânerie. D’un côté comme de l’autre, on est à une hauteur impressionnante de la vallée sur laquelle on a une vue superbe. L’hiver à Vianden doit être terriblement froid et humide, et terriblement beau depuis ces hauteurs. Je m’assieds là et contemple les terrasses, accoudé au soleil restant, perdu dans mes rêveries solitaires…
Le soleil commence à se noyer dans les dernières heures de la journée et le château revêt ses habits couleurs de renard. Je retourne à la voiture, repassant devant la petite maison abandonnée dans la forêt, sur la pente, orientée plein nord ; elle n’a jamais vu le soleil. Il fait ici une fraîcheur surréaliste.
Il est encore trop tôt pour rentrer à Luxembourg et l’Allemagne à quelques kilomètres me fait des ronds de jambe. Je pourrais aller à Bitburg, mais à part sa bière, je doute que la ville soit vraiment intéressante. Sans savoir réellement où je vais atterrir, j’emprunte les petites routes qui traversent des villages sans âmes qui vivent et dont le charme laisse penser que l’hiver doit y être douloureux de solitude. Sans être un paysage réellement montagneux, il est suffisamment encaissé pour qu’on s’y perde facilement dans la neige. Les noms de villages défilent en laissant comme une trace dans mon esprit : Hüttingen bei Lahr, Nusbaum, Schankweiler, Holsthum, Prümzurlay, Niederweiss, Aach, les noms s’égrènent tendrement dans ces sonorités rugueuses jusqu’à arriver à Trier (Trêves) aux dernières heures du jour.
- Toutes les cartes postales anciennes viennent du site Old Postcards Luxembourg
- Les châteaux successifs sur le site officiel
Voir les 35 photos de Vianden sur Flickr.