La nouvelle tombe le 21 novembre en fin d’après-midi et surprend la classe politique, notamment dans son parti, alors qu’elle paraît inéluctable depuis plusieurs mois : Hanna Birna Kristjánsdóttir, Ministre de l’Intérieur, vice-présidente du Parti de l’Indépendance, vient de donner sa démission. Cette nouvelle occulte l’autre événement du mois grâce auquel la majorité, notamment le Parti du Progrès, espérait retrouver un gain de popularité : la publication des résultats du processus de correction des dettes immobilières engagé voici un an à grands renforts de publicités. Un scandale affectant le Parti de l’Indépendance depuis des mois ; une promesse du Parti du Progrès qui a fait basculer le résultat des dernières élections législatives et dont la réalisation va apporter 1.3 million Ikr (8400€) en moyenne à chacun des 69.000 ménages concernés… Le seul à en bénéficier serait, selon les sondages, le Parti de l’Indépendance : paradoxe difficile à comprendre !
Hanna Birna Kristjánsdóttir à droite sur la photo
Pendant ce temps l’économie poursuit sa progression, au point que des rentrées fiscales sensiblement supérieures aux prévisions permettent à Vigdís Hauksdóttir (Parti du Progrès), présidente de la Commission des Finances de l’Alþingi, de proposer des souplesses dans le projet de budget, là où elle ne voyait que gaspillages dus à la mauvaise gestion de la gauche… Les principaux ministres commandent de nouvelles voitures de fonction. Sur le « front » social, les grèves des médecins et des professeurs de musique ne semblent pas trouver de solution… D’autres ont été évitées de justesse.
Actualité politique
Soyons chronologiques :
Le programme de réduction des dettes : le 11 novembre, lors d’une conférence de presse le Premier Ministre Sigmundur Davíð Gunnlaugsson et le Ministre des Finances Bjarni Benediktsson, présidents des deux partis au pouvoir, présentent les résultats des travaux de l’administration fiscale conduits depuis mars 2014.
Rappelons le projet : une réduction de 13% du capital emprunté après 2007 pour tout achat immobilier. 13% de correction : il s’agit de la progression de l’indexation des emprunts au-delà de 4.8% entre décembre 2007 et aout 2010. Toutefois cette correction est limitée à 4 millions d’Ikr, soit 24.270€. Concrètement, elle sera calculée à la demande de l’emprunteur par l’organisme qui lui a consenti le prêt et versée dans un fond fictif dont le montant sera réduit de 25% chaque année jusqu’à 2017 par une contribution de l’Etat. Le financement de cette somme sera inscrit dans la loi de finance de chaque année. L’emprunteur continuera à rembourser son emprunt recalculé, selon les modalités prévues au départ, la possibilité d’utiliser une partie de l’épargne-retraite des ménages pour réduire plus encore ce capital, assortie d’un dégrèvement fiscal. Il s’agit pour ceux qui le souhaitent de consacrer à la réduction du capital emprunté une partie de leur cotisation au fond de retraite dont ils dépendent. Les intéressés pourront verser 4% de leur revenu en franchise d’impôt et leur employeur 2%. La mesure est limitée à 3 ans et à 500000 Ikr d’exemption fiscale par ménage. L’administration a reçu 74000 dossiers, dont 5000, plus complexes que les autres, doivent faire encore l’objet d’un examen approfondi. Pour les 69.000 autres le résultat annoncé est une réduction moyenne de 1.1 million d’Ikr pour une personne et 1.5 million pour un couple. 75% des 81 milliards d’Ikr ainsi redistribués (520 millions €) vont à des personnes ou à des couples dont les revenus sont inférieurs respectivement à 7 (45500€) et 16 millions d’Ikr (104000€).
Si le gouvernement insiste sur cette répartition, c’est pour désamorcer la critique d’avoir favorisé les revenus moyens au détriment des bas revenus.
Mais il ne dit rien des ménages dont les revenus étaient insuffisants sur la période concernée et ont choisi de louer leur logement, alors que les loyers explosent sous l’effet du développement du tourisme. Il ne dit rien non plus de ceux qui n’ayant pas besoin de cet apport ont choisi la voie de l’épargne retraite (coût pour l’Etat estimé à 70 milliards d’Ikr).
Il semble enfin négliger le fait que le prix des logements concernés a lui aussi progressé sous l’effet de l’inflation. Pour ce qui concerne le financement Bjarni Benediktsson dit vouloir choisir le remboursement des banques en un an au lieu de quatre ans afin de réduire le montant des intérêts à verser. Toutefois les banques en cours de liquidation (celles ayant été mises en faillite en 2008) sont très réticentes à distraire une partie des actifs récupérés pour financer l’opération et se disent prêtes à défendre leur position devant les tribunaux.
Que feront les Islandais de cet apport ? Faute d’investissements suffisants depuis la crise, l’offre locale risque d’être vite saturée et les possibilités d’achats à l’étranger sont limitées par le contrôle des changes. On parle beaucoup sur place de nouveaux achats ou travaux immobiliers, et donc de nouveaux emprunts… Il faudra attendre quelques mois pour voir si l’opération aura des effets sur les prix à la consommation, jamais aussi sages.
Le départ de Hanna Birna Kristjánsdóttir : Hanna Birna aura résisté autant qu’elle a pu, soutenant qu’elle ignorait tout des fuites de son ministère et acceptant même que celui-ci soit divisé en deux afin qu’elle cesse d’être juge et partie dans cette « affaire des fuites » qui a éclaté voici un an, mais elle doit céder face aux derniers développements : le 13 novembre Gísli Freyr Valdórsson, ancien conseiller de Hanna Birna, confronté à de nouvelles preuves, doit reconnaître qu’il est effectivement l’auteur des fuites sur le dossier de Tommy Omos afin de favoriser son expulsion. Il est condamné à 8 mois de prison avec sursis. Le juge reproche notamment à Gisli Freyr de ne pas avoir avoué dès le départ, plusieurs samedis de suite des manifestants demandent parmi leurs revendications le départ de la Ministre, l’Ombudsman de l’Alþingi veut provoquer une réunion avec la Ministre à propos de ses contacts avec Stefán Eiriksson, ancien chef de la police de Reykjavík, contacts qui auraient pu être des pressions ayant conduit Stefán à quitter son poste. Cette réunion devrait être publique, mais elle n’aura pas lieu : Hanna Birna « jette l’éponge ». Les dirigeants de la majorité semblent surpris ; Bjarni, Président du Parti de l’Indépendance, prévoit un retour de sa vice-présidente au gouvernement avant la fin de la législature. Mais tous les observateurs conviennent que Hanna Birna a eu tort de s’obstiner.
Malgré ce qui précède, les sondages vibrent peu, et seulement en faveur du Parti de l’Indépendance : 25,4% des intentions de vote contre 23,6 lors du dernier sondage MMR.
Le Parti du Progrès ne profite en rien du respect coûteux d’engagements qui lui ont fait gagner les élections, passant de 12.3% à 11.8%. Il perdrait donc 10 de ses 19 élus, alors que son allié en aurait 22 (+3). Dans l’opposition, l’Alliance Social démocrate stagne de 16.1 à 16.5% mais Avenir Radieux chute de 18.6 à 15.5%. La Gauche verte progresse légèrement de 10.7 à 11.5%. Le parti Pirate se replie tout aussi légèrement de 11.3 à 10.6%, mais le fait qu’il semble installé au-dessus de 10% est en soi un fait significatif. Il est vrai que l’offre politique des trois autres partis d’opposition est peu audible ; comme l’était celle des deux partis aujourd’hui au pouvoir lorsqu’ils étaient dans l’opposition… Serait-ce la condition pour gagner des élections en Islande, ou la cause des nombreuses manifestations devant l’Alþingi ? Ou les deux ?
Vie économique
J’ai consacré à celle-ci de longs développements le mois passé, et aucune information n’est venue contredire les tendances mises en évidence depuis des mois, confirmant une nouvelle fois qu’en Islande la dynamique économique fait fi des turpitudes politiques. Même la balance commerciale pour les biens est excédentaire en octobre et novembre. La Banque Centrale en prend acte en réduisant son taux de base de 0.25% à 5.75% pour la première fois depuis plusieurs mois. Mais Már Guðmundsson, Président et de la Banque Centrale, assortit son information d’une mise en garde : il ne faudra pas que les accords salariaux à venir dépassent 3.7% d’augmentation pour 2015 !
Je reviendrai le mois prochain sur le budget, où le gouvernement semble vouloir profiter de rentrées fiscales plus élevées que prévu pour revenir sur certaines économies qu’il avait annoncées.
Pour ce qui concerne la levée du contrôle des changes, on a une indication du projet du gouvernement : taxer les fonds en couronnes qui quitteraient l’Islande et seraient convertis en une autre monnaie. Le taux annoncé de 35% fait rêver les gouvernants, mais mécontente fort les banques. D’autant qu’un gros nuage se dirige vers elles. On sait que les emprunts immobiliers étaient indexés sur l’inflation, mais en prenant comme hypothèse que celle-ci était à 0% lors de la signature du contrat. Le Tribunal de Reykjavík saisi par un emprunteur vigilant s’est tourné vers la Cour de Justice de l’AELE pour demander son avis ; et celui-ci est sans ambiguïté : une telle clause est trompeuse pour les clients. Il appartient maintenant au Tribunal de Reykjavík de se prononcer. Un jugement contraignant les banques à recalculer les emprunts leur poserait de gros problèmes !
Vie culturelle
Airwaves !!! Fin octobre début novembre, le Festival « Airwaves », né en 1999 dans un hangar de l’aéroport de Reykjavík , enflamme maintenant pendant un week-end toutes les rues de la capitale. Cette année, du 7 au 9 novembre : 1000 concerts donnés par 2500 musiciens (70 orchestres étrangers) pour 9000 visiteurs islandais et de plus en plus étrangers, porteurs du « pass » jaune.
Mais aussi Steinunn et Erró ! Steinunn Sigurðardóttir auteur notamment du roman « les voleurs de temps » a reçu le Prix Jónas Hallgrímsson décerné à l’occasion du Jour de la Langue Islandaise. Comme Steinunn, Erró est très attaché à la France, même si l’une vit aujourd’hui à Berlin et l’autre en Suisse. Une importante rétrospective de son œuvre est proposée au Musée d’Art Contemporain de Lyon du 3 octobre eu 22 février.
Relations internationales
Pas de nouvelle très importante, mais de nombreux contacts : à l’occasion d’une visite de trois jours au Japon, Gunnar Bragi Sveinsson, Ministre des Affaires Etrangères, rencontre le 10 novembre son homologue Fumio Kishida. Les deux pays se trouvent beaucoup de points communs.
Gunnar Bragi participe le 17 novembre à Genève à la réunion bisannuelle des pays de l’AELE. L’ordre du jour est essentiellement consacré aux négociations du traité de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis. A cette occasion il fait part à ses collègues de l’intérêt des pays d’Amérique Centrale et du Sud, récemment visités, pour un accord de libre échange entre le Mercosur et l’AELE.
Le 28 novembre John Baird, Ministre canadien des Affaires Etrangères, est en visite officielle à Reykjavík. Il rencontre notamment Sigmundur Davíð et Gunnar Bragi.
Et pendant ce temps la vie continue…
- 12.11 – le vulcanologue Haraldur Sigurðsson vient de constater que son portrait ornait un timbre mozambicain émis en 2012,
- 13.11 – pour sa nouvelle voiture de fonction, Sigmundur Davíð hésite entre une BMW 7 et une Mercedes-S-Class ; le prix est le même : 20 millions d’Ikr (130000€). Pour sa part Gunnar Bragi a choisi une Range Rover Discovery (13 millions d’Ikr), plus appropriée à la traversée des océans,
- 15.11 – 200 des 14000 immigrants vivant à Reykjavík s’étaient inscrits pour participer à leur assemblée générale à l’Hôtel de Ville. Ils ont été accueillis par le Maire Dagur Eggertsson, puis ont travaillé en 11 langues !
- 04.12 : dernière nouvelle et surprise : Hana Birna Kristjánsdóttir est remplacée par Ólöf Nordal, ancienne députée et vice-présidente du Parti de l’Indépendance, qui s’était éloignée quelque temps de la politique active pour des raisons personnelles.
- A ceux qui souhaitent des nouvelles de Holuhraun, je propose cette vidéo où l’on voit qu’il est toujours aussi vigoureux !