Photo : Torsten Elger
Un matin j’ai eu le plaisir de découvrir dans ma boite mail un message de la Schaubühne. Il m’informait que des pièces de ce mythique théâtre berlinois étaient maintenant traduites en français ! Enfin j’allai pouvoir apprécier des représentations théâtrales sans en rater la moitié à cause de mes défaillances en allemand. J’avais déjà fait plusieurs fois l’expérience un peu frustrante de sortir au théâtre à Berlin et, même si je comprenais l’ensemble, il me manquait souvent les détails qui font toute la saveur d’une pièce et d’un dialogue.
Je me rendais donc un soir sur le Kudamm où se trouve depuis 1981 la Schaubühne, installée dans un remarquable édifice de 1928 conçu par Erich Mendelsoh. La Schaubühne est à l’origine une troupe de théâtre indépendante et estudiantine de Kreuzberg créée en 1962. La scène se trouvait alors dans une salle polyvalente d’un foyer de travailleurs de Hallesches Tor. C’était une initiative à contre courant de la tendance de l’époque. En effet, les acteurs berlinois quittaient en masse la capitale coupée en deux par le mur pour faire carrière en Allemagne de l’Ouest. C’est certainement pour cette raison que la Schaubühne a accueillit tous les talents du théâtre berlinois des années 70. Les acteurs et metteurs en scène qui avaient décidé de rester dans Berlin Ouest, souvent issus du mouvement révolutionnaire, adaptent les principes de démocratie à la Schaubühne qui devient un théâtre cogéré. Chacun des membres, payé le même salaire, intervient dans l’organisation et la gestion financière, prend part au choix des pièces, à leur mise en scène… Seule contrainte, les artistes ne doivent pas s’engager dans d’autres théâtres. La Schaubühne fonde sa renommée sur ce fonctionnement unique en son genre, les interprétations très particulières des pièces, l’approche psychologique originale, les prises de positions politiques et les mises en scènes parfois choquantes. Même après son déménagement dans le quartier de Charlottenburg et la chute du mur, la Schaubühne reste un théâtre indépendant qui propose un vaste répertoire allant du théâtre antique aux pièces contemporaines. Les plus grands acteurs allemands contemporains y ont travaillé à un moment ou à un autre de leur carrière, à l’instar de Bruno Ganz et Otto Sander, les deux anges des Ailes du désir.
La pièce que je suis allée voir, Mademoiselle Julie, était dans la parfaite veine de la production made in Schaubühne. La mise en scène était particulièrement inventive, relevant ainsi un scénario sans grande surprise bien qu’intensif : une jeune femme de la société séduit son valet et passe la nuit avec lui. Le lendemain, honteuse de son comportement, elle se suicide. La cuisinière, fiancée du valet, est le témoin de ces heures de passion. Sur scène donc, un décor amovible, des acteurs, mais aussi des caméramans, des techniciens chargés du bruitage, un musicien, des doublures, des cabines d’enregistrement sonores, un grand écran sur lequel sont diffusé les scènes tournées. De fait, toute la représentation théâtrale est filmée. La scène est un véritable plateau de tournage. Une expérience intéressante dans laquelle on réalise un film en une seule longue séquence et qui permet aux spectateurs de découvrir l’envers du décor. Reste à imaginer la dose de travail de préparation et la minutie nécessaire pour orchestrer chaque détail de cette représentation.
Surveillez le programme de la Schaubühne pour connaître les prochaines pièces traduites en français et découvrir son univers unique.
Photo 1 : Thomas Aurin
Photo 2 : Stephen Cummiskey
Photo 3 : Stephen Cummiskey