Sur la route des vacances, en direction de l'île de Koh Chang, nous étions englués depuis quelques kilomètres au milieu d'un défilé de camions de toutes sortes. Du simple à 6 roues aux doubles remorques à 18 roues. Pas franchement, une image de la route des îles. Nous devions, Tangmoo et moi-même, récupérer Môman, Ma Dame Oy. Depuis plus d'un mois, nous vivions notre vie de patachons, de célibataires des rizières à Ban Pangkhan. Oy était donc parti rejoindre une de ses sœurs aînées à Bo Win situé dans la province de Chonburi, à une encablure de Pattaya, Rayong et Sattahip, afin de lui filer un coup de main pour préparer et vendre des plats à emporter sur un des nombreux marchés de la région. À les entendre : « – Ça dépotait ! Du taf, ça ne manquait pas... ».
Nous allions pouvoir apprécier par nous-même ! Le route toujours de plus en plus chargée commençait à épouser le relief. De légères montées et descentes rendaient la circulation encore plus compliquée ! Les panneaux indiquaient Sattahip 50 kms, nous nous rapprochions, tels des bigorneaux, de la mer, entourés de camions et de pollution terrestre. La moindre déclivité et l'on roulait alors à la vitesse d'un Sam Lo de l'Isan, c'est-à-dire que l'on faisait presque du surplace, les camions crachant leur fumée noire et nauséabonde, se rendant compte de la limite de leur faible motorisation pour de tels chargements, des containers pour la plupart !
On arrivait enfin sur Si Yek Tambon Bowin. Cela formait un piédestal où de larges routes se croisaient en direction de Bangkok, le port de Si Racha et Rayong ! Entre deux petits vallons, Bo Win ! À perte de vue, des usines, certaines gigantesques ! Kubota, Isuzu et surtout des usines à vocation agro-alimentaire ! Toujours dans le flot dense de la circulation, je ne me rappelais plus du tout de cet endroit où il y a un peu plus de 15 ans, nous avions été visiter, Oy et moi, l’aînée de ses sœurs qui à l'époque faisait déjà dans le sachet tout prêt de la gastronomie thaïe à emporter !
Ce n'était, à la fin du précédent millénaire, qu'un croisement en plein milieu de la cambrousse, des routes à quatre voies en construction et un marché couvert, comme ça, juste là, où trois grands immeubles de 5 étages formant un U se tenaient les pignons comme pour lui donner un semblant d'importance. Pourtant leurs rez-de-chaussée offraient des pas-de-portes clos de grands rideaux de fer. Ils semblaient abandonnés, du moins hors-activité. Dans les étages, où Tata Chu, la grande sœur, louait, les autres chambres avaient du mal à trouver preneurs et restaient désespérément inhabitées à entendre les gens du marché ! Je ne donnais pas cher de ce site en construction et les nouveaux commerçants du coin, non plus ! De Bo Win, il était difficile de rejoindre Pattaya, pourtant à un jet de pierre, à peine 30 kilomètres. Les bus ou taxis collectifs se faisaient rares. Pour faire court, à peine sortie de terre, Bo Win sentait le sapin !
Et là, aujourd'hui, devant nos yeux, tout au long de la route, des barres d'immeubles s'enchaînaient, des marchés de « Street food » s'accaparaient le moindre terrain qui se verrait investir incessamment sous peu d'une nouvelle construction ! Tout ce que la terre compte de commerces étaient là, surtout ceux liés au transport, tous les logos des banques thaïs rivalisaient de hauteur et d'enseignes ostentatoires prêtes à illuminer la nuit de Chonburi, tous les pétroliers se serrant en masse le long de la route prêts à remplir 24/24 un futur réservoir d'automobile ! Ça sentait le Baths !
Je ne reconnaissais rien !
Heureusement, que le GSM est en fonction aujourd'hui sinon, nous aurions pu tourner et virer encore quelques heures avant de pouvoir revoir Oy !
Il était 4-5 heures de l'après-midi et de nombreux minibus et bus au logo des usines du coin commençaient à déverser leurs flots d’ouvriers aux uniformes assortis au couleurs de leurs boites respectives ! Un tsunami humain ! Zola aurait apprécié !
Derrière les barres d'immeubles du front de route, de nombreux lotissements aux maisons du même acabit s'alignaient, se cachaient... C'est là que Oy nous emmenait ! Endroits relativement calmes, passages de vendeurs ambulants, tout le monde dans la rue profitant de la relative fraîcheur de la fin d'après-midi. On se serait presque crus en Isan d'autant plus que la population du quartier avait tendance à s'exprimer dans ce langage que je reconnu, le lao-thaï.
Too et Naï, respectivement ma belle sœur et mon beau-frère habitent une de ces petites maisons avec leurs deux grands enfants. Le fils bosse depuis peu dans une entreprise de métallurgie et la fille aînée est cadre dans une entreprise japonaise qui éclaire le monde... Ampoules et néons sortent à la chaîne de son entreprise qui d'ailleurs, fut la première sur ce site de Bo Win Estate ! La maman Too fait dans le Zhullian sorte de Amway, Tupperwarre malaisien. Crise oblige, eh ! oui... parce la crise a aussi touché la Thaïlande, les ventes se sont essoufflées alors elle et son mari Naï se sont mis à confectionner des plats à emporter qu'ils vendent tous les matins sur un marché niché à quelques kilomètres au milieu d'un autre « Industrial Estate ». Autour de Bo Win et jusqu'au front de mer, à l'exception de Pattaya, ce n'est que ça, de l'usine prête à l'emploie ou déjà en service ! Des centaines d'usines ! Il y a donc du monde à nourrir et à loger. Pas bien riches, Too et Naï ont décidé de nourrir les masses travailleuses.
Lever à 2 heures du matin, préparation des petits plats, puis aux aurores se presser sur le marché aux abords d'un 7/Eleven qui n'en finit plus de sonner son jingle énervant tellement ça se bouscule au portillon ! Il faut vendre vite, très vite, pas beaucoup de temps pour bailler aux corneilles. Les bus et minibus qui collectent les ouvriers des usines près de leurs habitations, font un stop de 15 minutes au marché afin de leur laisser le temps de s'acheter à manger pour leur pose « Lunch » et de les déposer ensuite à l'usine. Et ça n'arrête pas... Le jeune frère de Oy qui a un stand près de celui de Too et Naï fait dans le nem thaï. De toutes sortes, poissons et viandes, confectionnés dans des enveloppes de feuilles de bananiers que l'on grille au barbecue ou que l'on fait bouillir. 5,10 et 20 baths le nem, il faut débiter pour faire le sou puisqu'à 9H30 tout est plié ! Alors, il faut aller s'approvisionner au grand marché de produits frais de Bo Win, là où la sœur aînée avait son stand il y a 15 ans et vu le monde qui y défile, la famille aura peut-être quelques regrets à avoir vendu le ban de 15 mètres qu'elle faisait tourner à l'époque !
À entendre Naï, désormais, pour trouver une place valable pour de la vente au marché, cela est devenu très compliqué ou alors il faut cracher au bassinet ! Eux, Où ils vendent le matin, leur 3 mètres de ban leur coûte 110 baths par jours, c'est un prix raisonnable ! Une moyenne de 1000 à 1500 baths est leur chiffre d'affaire ! Moins les achats et les charges, gaz, charbon de bois et cetera, il reste grosso modo 300 à 500 baths par jour, pas mal ! Mais quel boulot pour en arriver là ! Les achats terminés pour le lendemain, une petite sieste, puis livraisons des commandes Zhullian et « on remet le couvert » avec la première partie de la préparation des « snacks » à vendre pour le lendemain ! Ouf, il fait frais, et notre visite fait que l'on va dans un des nombreux restaurants se trouvant à l'arrière des barres d'immeubles qui longent la route principale. Poissons et fruits de mer, Suki, Mokata et autres délices. Nombreux sont aussi les éternels karaokés et « salons de thé » qui flashent la nuit de leurs loupiotes multicolores. Entre temps, les grands enfants sont rentrés, partis à 7 heures du matin, ils sont rentrés vers 7 heures du soir ! Une douche, pas le temps de vraiment traîner, le lendemain à 5H30, il faudra se lever ! Je comprends mieux la nonchalance qu'ils emmènent avec eux au village, dans leur Ban d'origine lorsqu'ils ont la chance d'avoir quelques jours de congés !
Notre petite famille, de nouveau rassemblée, nous irons à Koh Chang et reviendront à Bo Win avant de retourner en Isan. Quelques courses à faire à Pattaya où désormais, il n'est plus difficile de s'y rendre. Les transports sont nombreux, mais la route est un dédale d'habitations, de commerce et on a du mal à voir la limite entre la Thaïlande des usines et celles des loisirs... Quelques bouchons plus loin, nous arrivons enfin au milieu de la tentaculaire Pattaya. Les commerces liés à « l'activité principale » de la station balnéaire s'offrent déjà dès la sortie de Bo Win.
Les arrières de Pattaya, là non plus, je n'ai rien reconnu ; mon beauf, Naï, me dit alors, que lui aussi, à chaque déplacement pour livrer ses "zupers produits Zhullian", il voit de nouvelles constructions et commerces s'étendre de partout !
Nous faisons l'aller et retour, trop de voitures, trop de stress, trop d'occident, cela me saoule vite, cela nous saoule tous d'ailleurs ! Il est temps de retourner au Ban puis de rejoindre l'Isan.
Nous laissons Naï, Too et leurs enfants qui en ont encore pour quelques années à bosser comme des damnés ! Eh ! Les prêts ! 30 ans pour la maison, c'est la fille qui s'y colle, le pick-up pour le marché et pour revenir de temps en temps au village comme pour la moisson prochaine de novembre et la Toyota Vios pour le standing Zhullian. El les autres emprunts dont on ne m'a sûrement pas parlé ?
D'un autre coté, comme tous leurs voisins de leurs quartiers de Bo Win, ils sont la classe moyenne émergente de la Thaïlande, leurs compagnies respectives les font voyager, Japon, la fille Nuch en revenait d'ailleurs et eux ont déjà visité l’Italie, l'Afrique du Sud, la Corée et j'en passe !
Ils aimeraient visiter la France, je dis bien visiter, il y a quelques années, ils me tannaient pour pouvoir venir trouver du boulot en Europe, désormais, ils veulent juste la parcourir en touriste ! C'est aussi ça, la nouvelle Thaïlande !
Quant au fiston Chang Noi, trente ans ? Oh ! Il bosse mais par intermittence, certes il participe mais pas trop, un peu "glandu", un peu buveur (beaucoup même), il se laisse vivre, peinard comme au village ! Une représentation de l'ancienne Thaïlande ?
Une dernier barbecue de poissons grillés, une promesse de se revoir bientôt, au village, ce sera bien, nous partons rejoindre Ban Pangkhan !
Avant de conclure, j'ai un plan à partager ! Souvent, je lis sur les réseaux sociaux que de futurs touristes cherchaient l'endroit où il n'y a pas de touriste. Tiens tiens, comme c'est bizarre, étrange, vous me direz, non ?
Eurêka ! J'ai un spot pour eux !
Bo Win !
À une enjambée de la plage, vous ne croiserez aucun farang, les tuk-tuk et taxis ne vous harcèleront pas, il n'y a rien à visiter. Par contre, vous pourrez rencontrer les gens du cru, mais faudra faire vite, ils courent et bossent dur et n'ont pas forcément beaucoup de temps à vous consacrer !
Paille Kheundheu...
Encore quelques photos sur Picasa ?
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