La réforme constitutionnelle… voici un sujet qui a empli des pages de ces chroniques et enflammé bien des esprits…hors d’Islande ! On la croyait enterrée par celui-là même, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, aujourd’hui Premier Ministre, qui en avait eu l’idée voici près de six ans au moment où de nombreux Islandais manifestaient pour demander entre autres une nouvelle pratique de la politique ! Oubliée au point que je n’avais même pas mentionné dans ces chroniques la création en novembre 2013 d’une commission en charge de reprendre le dossier. Il est vrai que cette commission a des allures d’antithèse de la Commission Constitutionnelle qui a fait couler tant d’encre ici et ailleurs : composée de représentants des partis politiques présents à l’Alþingi et présidée par le Professeur Sigurður Líndal, grand juriste connu pour son opposition à toute réforme de la constitution.
J’y reviens pour deux raisons :
- la « Commission Líndal » a présenté fin juin un premier rapport sur ses travaux dans lequel elle fait le point sur quatre sujets : le référendum d’initiative populaire, les transferts de souveraineté au profit d’organisations internationales, la propriété des ressources, l’environnement. Même si à ce stade aucune préconisation n’est faite, le sérieux du travail laisse bien augurer de la suite,
- deux événements intervenus ces dernières semaines montrent combien une clarification des institutions est nécessaire : la nomination par le Ministre des Affaires Etrangères de deux ambassadeurs issus du monde politique, et surtout la polémique autour de Hanna Birna Kristjánsdóttir, Ministre de l’Intérieur, c’est-à-dire à la fois de la Justice et de la Police.
Sigurður Líndal
Cette dernière affaire naît en novembre 2013 lorsque divers journaux reçoivent de « B » un mémo à propos de Tommy Omos, demandeur d’asile nigérian, dont la possible expulsion entraîne des manifestations à Reykjavík. A lire le mémo (qui s’avérera plus tard largement erroné) l’homme serait peu recommandable ! D’où vient la fuite ?
Sigríður B. Guðjónsdóttir
À la demande de Sigríður J. Friðjónsdóttir, Procureure Générale auprès de la Cour Suprême, la police conduit une enquête, d’où il ressort que ce mémo a été rédigé par un juriste pour le compte du ministère et ne pouvait être connu que de la ministre et de ses plus proches collaborateurs ; mais qui est « B » ? L’enquête piétine, des documents auraient disparu, Hanna Birna ne se souvient de rien. En tant que ministre de la police et sans appel de candidature, voici qu’en juillet elle remplace Stefán Eiríksson, chef de la police de Reykjavík, par Sigríður Björk Guðjónsdóttir.
L’« Umboðsmaður » de l’Alþingi s’empare du dossier et exige des explications : Hanna Birna aurait-elle eu des contacts avec Stefán Eiríksson ? Oui, mais pour vérifier qu’il n’y avait pas d’obstacles à son enquête ! Et l’on apprend aussi que Hanna Birna aurait téléphoné en janvier à Reynir Traustason, rédacteur en chef du quotidien DV, très en pointe dans ce type d’affaire, pour demander la tête de deux de ses journalistes.
15 août : Gísli Freyr Valdórsson, l’un des deux assistants de Hanna Birna, est mis en examen et est invité par sa ministre à quitter ses fonctions bien qu’il proclame son innocence. Ce n’est pas fini… Du point de vue des institutions, cette affaire met en évidence une faiblesse souvent soulignée ici, mais que la Commission Constitutionnelle avait à peine effleurée : la porosité entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Outre ce ministère en charge de la police et de la justice, cette porosité concerne par exemple la fonction présidentielle et son droit de veto sur les lois votées par l’Alþingi, et aussi le gouvernement, dont les membres restent députés, ou encore les pouvoirs du « sýslumaður ».
Le problème est ancien : souvenons nous que l’Alþingi du Moyen-âge faisait les lois le matin et rendait l’après midi des sentences que, faute de pouvoir exécutif, chaque homme libre pouvait mettre en œuvre à sa guise ! Souvenons nous aussi que les institutions islandaises actuelles ont été créées voici environ 150 ans alors que les Islandais étaient moins de 100000, qu’il n’était donc pas possible de multiplier les fonctions et qu’en tout état de cause les problèmes délicats pouvaient être réglés entre amis ou cousins ! Certes des garde-fous existent, notamment l’appel de candidatures pour presque toutes les fonctions publiques et l’examen des dossiers par une commission indépendante avant décision par le ministre concerné ; et cette commission va faire une sélection drastique non seulement sur les compétences des candidats, mais aussi sur de possibles conflits d’intérêt.
Pourtant les mailles du filet semblent assez lâches, comme en témoigne la désignation du nouveau chef de la police de la capitale ! C’est précisément ce qui est en question à propos de la nomination de deux ambassadeurs – deux hommes ! - : Geir Haarde, Premier Ministre lors de la crise, et Árni Þór Sigurðsson, député Gauche Verte, Président de la Commission des Affaires Etrangères de l’Alþingi. La décision aurait été prise par le seul Gunnar Bragi Sveinsson, Ministre des Affaires Etrangères, mais qui ne voit qu’il s’agit d’une complaisance du Parti du Progrès à l’égard de Geir, ancien président du Parti de l’Indépendance ! Pour faire bonne mesure, Össur Skarphéðinsson, ministre des Affaires Etrangères (Alliance Social-démocrate) du précédent gouvernement, aurait été contacté mais n’aurait pas donné suite. Où iront-ils ? Ce n’est pas encore clair et devrait s’inscrire dans un mouvement plus vaste : Washington pour Geir ? Moscou pour Árni Þór, qui y a fait des études ? La qualité des hommes n’est pas en question, mais le retour à des facilités anciennes (la dernière ambassade « politique » remonte à 6 ans) mal perçues par des citoyens qui à travers manifestations et sondages montrent qu’ils aspirent à une pratique plus exigeante de la politique. Et l’on ne manque pas de remarquer que ces deux nominations ne cadrent pas bien avec la volonté proclamée de réduire sensiblement les effectifs de la fonction publique !
L’Islande change de dimension, elle aspire à jouer pleinement son rôle de pays souverain présent au monde. Espérons que la commission « Lindal » saura préparer ses institutions à ces ambitions !
La situation économique
Már Guðmundsson
Plus « politique » elle aussi qu’économique : la reconduction pour 5 ans du mandat de Már Guðmundsson comme Président de la Banque Centrale. Non sans tergiversations : Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, Premier Ministre, ne voulait pas de quelqu’un qui avait durement critiqué son plan de réduction des dettes ; Bjarni Benediktsson, son ministre de tutelle et Président du Parti de l’Indépendance ne voulait pas d’un président de la BCI nommé en 2009 par le gouvernement de gauche. Le 13 août il annonçait que compte tenu de la charge de travail il réfléchissait à un triumvirat et ferait part de sa décision vers la fin août. Et le 15, pourtant, il reconduisait Már…
L’explication à ces hésitations pourrait être trouvée dans les rivalités au sein du Parti de l’Indépendance et les rancœurs de Davíð Oddsson, prédécesseur de Már, limogé par le gouvernement de gauche à la suite des manifestations de l’hiver 2008.
Pendant ce temps toutes les tendances relevées au cours des mois passés sont confirmées : progression du PNB à un rythme supérieur à 3%, inflation maîtrisée autour de 2.5%, chômage à moins de 5%, couronne stabilisée autour de 155 Ikr pour 1 euro…Et aussi déficit croissant du commerce extérieur pour ce qui concerne les biens : 265.4 milliards d’Ikr d’exportations au cours du premier semestre 2014 et 267.8 milliards (fob) d’importations. Grâce à un premier trimestre positif, le déficit reste faible mais la tendance est de plus en plus marquée : en juin les exportations ont été de 40.7 milliards d’Ikr et les importations de 48.3 milliards fob, soit le plus fort déficit depuis la crise. La cause est à chercher du coté des exportations, qu’il s’agisse du poisson ou de l’aluminium, dont les cours ont beaucoup diminué. De plus les exportations de poisson se sont réduites de 10% en volume. Aux importations les achats de voitures explosent (+34.5%), notamment pour la location. On peut sans crainte de se tromper affirmer que ce déficit sera plus que compensé par la nouvelle progression du tourisme, même si l’engouement pour leur île inquiète de plus en plus les Islandais. Avec l’aluminium et aujourd’hui le tourisme l’économie islandaise s’expose à de nouvelles dépendances, c’est pourquoi toute diversification est bienvenue même quand elle suppose d’accroître la production d’électricité. Il s’agit en particulier de la construction, déjà évoquée ici, par le groupe américain Silicor Materials, d’une usine de production de silicium pour les panneaux photovoltaïques. Cette usine sera construite à Grundartangi (à la sortie du Hvalfjörður) et emploiera environ 400 personnes à partir de 2016.
Relations internationales
Même si les efforts faits depuis 50 ans pour réduire la dépendance du poisson dans le commerce extérieur ont été un succès (de 90 à 45% des exportations de biens), celui-ci reste important. D’où l’inquiétude : l’Islande sera-t-elle sur la liste des pays dont la Russie veut boycotter les importations ? L’enjeu est d’importance : la Russie et l’Ukraine représentent 10 à 12 % des exportations de poisson de l’île. La Norvège est sur la liste, et l’Islande n’y serait pas ! C’est ce que laisse entendre l’Ambassadeur de Russie. Compte tenu des déclarations clairement favorables à l’Ukraine du gouvernement islandais cette décision surprend : négligence ou conséquence de l’ « amitié » entre le Président Ólafur Ragnar Grímsson et son homologue russe ?
Autre sujet sur lequel le gouvernement a pris des positions dénuées d’ambiguïtés : l’hostilité à l’opération israélienne à Gaza, clairement exprimée à l’ONU et dans une lettre de Sigmundur Davíð à son homologue israélien, ou en accordant une aide de 12 millions d’Ikr à la population gazaouïe. Qu’il s’agisse de Gaza ou de l’Ukraine le gouvernement est en phase avec l’opinion publique ; les manifestations sont nombreuses depuis le début des deux conflits, et à Reykjavík conduites par Dagur Eggertsson, le nouveau maire. Par ailleurs le gouvernement annonce son intention d’accueillir 13 réfugiés syriens en liaison avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Les 12 et 13 août, le gouvernement islandais reçoit Anders Fogh Rasmussen, Secrétaire Général de l’Otan, pour préparer le sommet de l’automne.
Et toujours l’Europe…
voici qu’à peine nommé Claude Junker annonce qu’il n’y aura pas d’élargissement de l’Union durant son mandat. Gunnar Bragi y voit une intéressante opportunité : si l’UE ne veut plus s’agrandir, la candidature de l’Islande devient caduque par décision de l’Union sans qu‘il soit besoin d’un vote à l’Alþingi et encore moins d’un référendum. Las, tant en interne que dans l’entourage du nouveau président de la Commission, la réponse est immédiate et sans pitié : le gouvernement islandais doit prendre ses responsabilités. Ce qui est clair par contre est la volonté de ce gouvernement de rester dans l’Espace Economique Européen et donc l’AELE. Sigmundur Davíð Gunnlaugsson est ainsi mécontent d’apprendre que l’Islande est devenue le mauvais élève de l’association pour ce qui concerne la transcription des directives européennes dans la législation islandaise, suivie de loin par la Norvège. 700 textes sont en souffrance ; Sigmundur Davíð promet que cela changera.
Et pendant ce temps la vie continue :
- 12.07 : Þorbergur Ingi Jónsson a parcouru les 55 km de Laugavegur en 4 heures 4 minutes et 7 secondes et Elisabet Margeirsdóttir en 5 heures 34 minutes et 5 secondes. Il y avait 400 concurrents,
- 16.07 : après sa reconstruction, l’hôpital français de Fáskrúðsfjörður est inauguré… comme hôtel,
- 28.07 : Helgi Rúnar Halldórsson, responsable du refuge de Þórsmörk, sort de l’eau un minibus empli de 15 retraités français ; selon Helgi ils n’ont pas eu peur !
- 31.07 : en l’absence de mécanicien à Almeria, Davíð Aron Guðnason répare lui-même le Boeing dans lequel il avait pris place. L’avion peut repartir au bout d’une heure,
- 31.07 : un bébé disparaît de son landau en plein Reykjavík ; il est retrouvé chez un membre de sa famille qui l’avait pris, mais avait laissé un mot !
- 07.08 : un cachalot s’échoue à Skarðsvík
- 10.08 : trois des six espèces de canards qui vivent dans Tjörnin, le lac du centre de Reykjavík, sont en voie de disparition,
- 10.08 : les restaurants de Reykjavík sont à cours de viande de baleine (petit rorqual) ; 18 seulement ont été tuées depuis le début de la saison (aucun rapport avec la nouvelle précédente : le cachalot n’est pas comestible !),
- 11.08 : …et cette photo bien banale, mais qui choque tant les Islandais : une voiture de location a voulu faire du « hors piste » ; amende encourue : 500000 Ikr (3000€). Que l’on permette au chroniqueur d’exprimer ici sa colère : une telle amende est justifiée, tant ces fantaisies semblent aujourd’hui incluses dans le « faire l’Islande », et leurs conséquences dévastatrices pour une nature que ces mêmes touristes prétendent être venus admirer !