Islande : ça s’est passé en mai

La chronique d’avril 2014 s’ouvrait sur l’«agitation sociale et politique» ; et mai ? En mai l’agitation sociale s’est poursuivie avec des grèves et des accords mettant à mal les 2.8% acceptés par les partenaires sociaux ; par contre l’actualité politique nationale a laissé la place aux élections locales. Celles-ci ont eu lieu le 31 mai. Pour ce qui concerne l’économie, les prévisions de croissance sont sans cesse révisées à la hausse sous l’effet du tourisme et du programme de réduction des dettes immobilières. Seul le commerce extérieur pour les biens marque le pas.

Actualité politique

Les élections locales

Avant d’en venir à ces résultats, il est bon de préciser ici ce que sont ces 74 collectivités et leur rôle* : ces collectivités sont très disparates en dimension, allant de la Ville de Reykjavík (121.000 habitants) à des « hreppar » dont la population est de 60 habitants. Malgré cela, leur organisation et leur rôle sont formellement les mêmes, portant sur des domaines très divers dont le choix est relativement libre :

  • animation sociale (personnes dépendantes etc.) et culturelle,
  • enseignement primaire,
  • entretien de la voirie,
  • gestion d’entités économiques (pêcheries, production et distribution d’énergie, infrastructures touristiques, etc.)…

Afin de mieux faire face à leurs responsabilités, elles peuvent se regrouper en entités diverses dont la forme est proche de la société par actions; ces collectivités sont indépendantes financièrement et responsables de leurs dépenses comme de leurs recettes. Celles-ci viennent de l’impôt, dont l’État a fixé le plafond à 13% des revenus, et des recettes venues des services rendus (pour lesquelles la loi fixe une fourchette) et de leurs activités économiques. Par ailleurs l’État alimente un fonds de péréquation qui vient en aide aux collectivités en difficulté. Chacune de ces entités est gérée par un Conseil qui élit son président. Mais la fonction exécutive est assurée par un « -stjóri » (Borgarstjóri à Reykjavík, Bæjarstjóri, Sveitarstjóri, Hreppstjóri…), choisi par le conseil en son sein ou à l’extérieur, après appel de candidatures, et révocable à tout moment. Le « -stjóri » a donc une responsabilité de gestion, mais dans les grandes collectivités son choix est aussi un choix politique. Cette fonction est bénévole dans les petites structures et rémunérée dans les grandes, à un niveau fixé par le conseil et parfois proche de celui d’un ministre. Au total, une vie politique locale très active.

Cette année il y avait 184 listes dans 74 entités, rassemblant 2916 personnes dont 1380 femmes. Parmi celles-ci, 61 étaient têtes de liste, soit 33% des listes contre 25% en 2010. Toutefois il n’y avait de listes concurrentes que dans 53 collectivités. Dans 3 d’entre elles une seul liste était proposée et a donc été considérée comme élue. Dans les 18 collectivités restantes, parmi les plus petites, aucune liste n’était présentée. Dans ce cas, la loi islandaise prévoit que tous les électeurs sont potentiellement candidats, à quelques exceptions près. Les étrangers résidant en Islande depuis plus de 3 ans s’ils sont ressortissants des Pays Nordiques, et 5 ans pour tous les autres, ont aussi le droit de vote et de se porter candidats. Même si les partis politiques nationaux sont présents localement, ils sont concurrencés par des listes locales, totalement « apolitiques » ou résultats d’alliances de circonstance souvent construites en réaction à un ou plusieurs problèmes spécifiquement locaux (ex : Reykjavík et son aéroport ou sa mosquée). C’est pourquoi il est difficile de tirer des enseignements nationaux de ces élections.

Quelques tendances pourtant :

  • une très forte abstention : 34% (dont 37% à Reykjavík) alors qu’elle était de 26.5% en 2010 et 21% en 2006. Il s’agit d’une inquiétante tendance de fond, constatée aussi pour les élections législatives, qu’il faudrait analyser avec soin : défiance de la classe politique, désintérêt pour la vie publique, demande d’un autre mode d’expression ? Comme à chaque élection depuis la crise on entendra des femmes et hommes politiques constater qu’il y a avec la progression de l’abstention un problème crucial dont la solution leur appartient ; et la vie continuera…
  • Les deux partis de la majorité obtiennent des résultats qui peuvent les satisfaire, hormis le Parti de l’Indépendance à Reykjavík : 120 sièges contre 117 en 2010 pour ce dernier et 49 sièges (dont 2 à Reykjavík) contre 45 pour le Parti du Progrès,
  • Avenir Radieux (11 sièges) sera présent dans les conseils de toutes les villes d’importance à l’exception d’Isafjörður,
  • mais la présence de ce nouveau parti explique largement les mauvais scores de l’Alliance Social-démocrate dans tout le pays (35 sièges contre 42 en 2010) sauf à Reykjavík;
  • la Gauche Verte perd 5 sièges (9 contre 14) ; la popularité de Katrín Jakobsdóttir, sa présidente, ne paraît pas avoir d’effet sur l’implantation locale du parti,
  • les Pirates obtiennent des scores honorables là où ils se sont présentés mais n’auront qu’un siège (Reykjavík).
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Dagur B. Eggertsson

Reykjavík, comme souvent en politique, n’est pas en phase avec le reste de l’île :

  • avec 32% des suffrages exprimés l’Alliance Social-démocrate passe de 4 à 5 sièges, mais il s’agit de toute évidence d’une victoire personnelle de Dagur B. Eggertsson (42 ans), qui sera le nouveau maire,
  • mais la large majorité prévue par les sondages n’est pas au rendez-vous : Avenir Radieux n’aura que 2 sièges, loin du résultat obtenu par Jón Gnarr en 2010. Dagur doit donc trouver un autre allié,
  • avec 25.6% des voix contre 33.6 en 2010 et 42.9 en 2006, le Parti de l’Indépendance continue sa décroissance à Reykjavík, un temps son fief. Il n’aura plus que 4 sièges,
  • la surprise vient du Parti du Progrès, qui avait perdu son dernier siège en 2010 ; il aura cette fois 2 élues (10.7%). Surprise, mais aussi malaise : son sursaut viendrait d’une prise de position de Sveinbjörg Birna Sveinbjörnsdóttir, sa tête de liste, contre la construction d’une mosquée. Prise de position qu’elle tempère en affirmant qu’il n’appartient pas à la Commune de fournir des terrains pour la construction de lieux de culte. Dagur Eggertsson rappelle que tous les habitants de la ville doivent pouvoir exercer leur culte dans de bonnes conditions. Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, Premier Ministre et président du Parti du Progrès, refuse de se prononcer.

Ces résultats sont loin de ceux pronostiqués par les sondeurs, très certainement à cause de la faible participation : 63% au lieu de 73 en 2010. Parce qu’il n’y avait pas d’offre comparable à celle de Jón Gnarr ? que la victoire de Dagur était trop annoncée ? ou encore une désaffection des jeunes ?

La situation économique

Le Premier Ministre Sigmundur Davíð ne manque pas une occasion de s’en féliciter, et c’est compréhensible. Les prévisions économiques sont très bonnes : au moins 3.2% de progression du PNB pour 2014, 3.3% pour 2015 selon Íslandsbanki ; respectivement 2.7% et 3.2% selon l’OCDE, toujours prudente… 5.5% en 2015 selon Landsbanki, qui anticipe un effet très positif du plan de réduction des dettes. L’inflation paraît stabilisée autour de 2.5%, objectif de la Banque Centrale, et le chômage poursuit sa décrue (4.1% en avril contre 4.9 en avril 2013). En conséquence, la Banque Centrale décide de maintenir son taux directeur à 6% (inchangé depuis novembre 2012).

Quelques ombres, qui ne sont pas nouvelles :

  • le taux directeur reste élevé, et le démantèlement du contrôle des changes est toujours un problème,
  • une relance de l’inflation est pronostiquée sous le double effet de l’afflux des touristes cet été (+20% ?) et du programme de réduction des dettes qui a démarré mi mai,
  • pour la première fois depuis la crise la balance commerciale pour les produits a été déficitaire en mars et avril (respectivement -0.6 milliards d’Ikr et -7 milliards). La balance reste néanmoins positive pour le premier trimestre 2014 : 136.4 milliards d’Ikr aux exportations et aux importations 127.1 milliards. En cause les cours mondiaux et une couronne dont le cours est stabilisé à 155 Ikr pour 1 euro, ce qui est certainement élevé, comme le regrette les armateurs de pêche, mais concourt à la maitrise de l’inflation. Ce mauvais résultat est partiellement compensé par l’excédent de la balance des services, soit 0.85 milliard d’Ikr pour le premier trimestre (-0.2 milliard en 2013).

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Un important investissement est prévu avec la signature par Ragnheiður Elín Árnadóttir, Ministre de l’Industrie, d’un accord avec la société islandaise Thorsil ehf. pour la construction d’une usine d’extraction de diatomées à Helguvík (Reykjanes). La construction devrait démarrer dès cette année et la production atteindra 54000 tonnes en 2017. Ceci apporterait de 100 à 150 emplois dans une région qui en a bien besoin. Ce projet, et d’autres, posent le problème de l’alimentation en énergie. Le potentiel théorique de l’Islande est un multiple de sa production actuelle, mais sa mise en œuvre bute sur les capacités d’investissement et surtout les réticences d‘une partie de la population face à des projets nécessairement dommageables pour l’environnement. Une solution est recherchée du coté de l’éolien avec un parc à construire près de Búrfell, qui pourrait produire 200 mégawatts ; et le vent en Islande…

L’actualité sociale

Il en va en Islande comme ailleurs, la sortie de crise s’accompagne d’agitation sociale. Je m’en suis fait l’écho ici depuis la signature de l’accord limitant à 2.8% les augmentations de salaire pour 2014. Cet accord construit pour que à l’instar du passé l’inflation n’absorbe pas les augmentations consenties, est très contesté, notamment des catégories « supérieures ». Après les personnels des aéroports et les enseignants du secondaire, d’autres catégories se mettent en grève ou menacent de le faire : personnels de l‘enseignement primaire et l’enseignement universitaire, personnels des hôpitaux…, dans presque tous les cas le « 2.8% » est respecté en façade mais les intéressés obtiennent des compléments substantiels : promesses d’augmentations pour 2015, réduction du temps de service, révisions des conditions de départ en retraite, etc… La créativité du Médiateur paraît sans limite.

Relations internationales

municipales islandeOù il sera encore question d’Europe même si le gouvernement ne semble plus aussi pressé de faire voter l’autorisation de rompre les négociations, de fait en sommeil depuis janvier 2013 : le 3 mai, le Président de l’Alþingi et les présidents des groupes parlementaires ont reçu la pétition leur demandant de ne pas voter la motion déposée par Gunnar Bragi Sveinsson, ministre des Affaires Étrangères, et d’organiser un référendum. La pétition a reçu 53555 signatures, soit 20% du corps électoral, reçues en 63 jours, autant que de membres de l’Alþingi. Gunnar Bragi s’est dit prêt au dialogue …sous réserve de ne pas avoir à revenir sur la décision de rompre les négociations ! En tout état de cause l’Alþingi est maintenant ajourné et il n’est pas sur qu’il y ait une session cet été, malgré un retard considérable dans ses travaux. Mais si le gouvernement islandais ne veut pas d’adhésion à l’UE, il attache beaucoup de prix à l‘Espace Économique Européen ; c’est à ce propos que Gunnar Bragi Sveinsson a rencontré le 15 mai Michel Barnier Commissaire au marché intérieur. Celui-ci s’est voulu rassurant.

municipales islandeLe 26 mai, les Premiers Ministres des cinq pays nordiques se sont retrouvés à Mývatn pour examiner divers sujets de coopération, notamment la défense. Les résultats des élections européennes ont aussi été évoqués. Le Premier Ministre islandais n’a pas manqué de relever combien elles sont inquiétantes pour l’avenir de l’UE. Le lendemain ils ont été rejoints à Akureyri par les Premiers Ministres de l’île de Aland, des iles Féroé et du Groenland pour évoquer en particulier leurs intérêts communs dans l’exploitation de l’Océan Arctique.

Et il y a la Chine : lors d’une visite à Reykjavík le 21 mai d’une délégation chinoise il est convenu que l’accord de libre-échange prendra effet le 1er juillet 2014. Gunnar Bragi Sveinsson pourrait être invité sur place fin juin.

Pendant ce temps la vie continue…

  • 03.05 : Jón Gnarr se verrait bien au Texas,
  • 07.05 : 40 artistes français en résidence à Hjalteyri dans une ancienne usine de hareng ; toutes matières sont utilisées, notamment le chocolat !
  • 12.05 – 16 élèves sont sortis diplômés de l’Ecole de Police ; les deux meilleures notes (8.96) ont été attribuées à Björk Jónsdóttir et Erna Dís Gunnarsdóttir. Kristinn Sævar Magnússon est troisème avec 8.88,
  • 26.05 – Invitée à New-York pour rechercher des elfes dans Central Park, Ragnhildur Jónsdóttir est partie accompagnée de 12 elfes islandaises qui doivent l’assister,
  • 29.05 : 74% des Islandaises sont obèses (n°1 en Europe) et 60.9% des hommes (n°2),
  • 29.05 : James Elías Sigurðarson « Dux » (meilleure note de sortie) de l’Ecole Technique.

* Les lecteurs vraiment très attentifs remarqueront que ce développement est un copié-collé (aux statistiques près)  de la chronique de mai 2010. J’espère qu’ils ne m’en tiendront pas rigueur !

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