Beaucoup d’agitation en Islande depuis quelques semaines, politique et sociale. Les choix du nouveau gouvernement, pourtant conformes pour l’essentiel à ses engagements, passent mal, et plus encore la posture de certains membres de la majorité. Les Islandais ont traversé au prix d’énormes sacrifices une crise majeure, morale autant qu’économique, dont la responsabilité incombe largement aux choix des deux partis aujourd’hui au pouvoir. Ces derniers auraient tort de croire que la crise est terminée et leur responsabilité soldée uniquement en réduisant les impôts et les dettes immobilières de la classe moyenne. Leur retour est moins leur victoire que la défaite de deux partis exténués par quatre années de gestion difficile et tumultueuse dont les résultats ont été reconnus partout… hors d’Islande.
L’agitation sociale ce sont les grèves en cours ou annoncées ; l’agitation politique se manifeste par la création d’un nouveau parti, scission du Parti de l’Indépendance, mais qui va affecter, si elle est confirmée, les autres forces politiques en présence.
L’actualité politique
Un nouveau parti ?
Nous le savons : près de 55000 Islandais ont signé une pétition demandant un référendum sur la poursuite ou non des négociations d’adhésion à l’Union Européenne. Même si certains de ses membres, et notamment Gunnar Bragi Sveinsson, Ministre des Affaires Étrangères, ont reconnu l’erreur de s’être précipités là où il n’y avait pas d’urgence, le gouvernement semble « jouer la montre », profitant de ce que chacun a maintenant les yeux tournés vers les élections locales. Pourtant la création d’un nouveau parti par les dissidents pro-européens du Parti de l’Indépendance devrait l’inquiéter. L’exercice est un classique de la vie politique islandaise : un politicien influent insatisfait de la place que lui fait son parti en crée un autre puis monnaie son retour. Cette fois la situation est différente :
- le nouveau parti, s’il est créé, résulte d’une forte insatisfaction populaire face au refus du gouvernement d’honorer sa promesse d’organiser un référendum;
- l’initiative en revient à Benedikt Jóhannesson, Président des « Européens » du parti de l’Indépendance, mais il a le soutien d’un homme politique important et respecté : Þorsteinn Pálsson, ancien Premier Ministre et ancien président du Parti de l’Indépendance,
- dès le premier sondage (1er avril), 40% des personnes interrogées se disent intéressées ; mais il en va en Islande des nouveaux partis politiques comme de toutes nouveautés : le préjugé est d’abord favorable…
Beaucoup plus significatif est le sondage publié le 12 avril par Capacent Gallup : 21.5% des personnes interrogées considèrent comme sur ou probable qu’ils voteraient pour ce nouveau parti lors d’élections législatives. D’où viennent ces personnes ? Le tableau suivant emprunté au quotidien Vísir mérite qu’on s’y arrête :
Il ne s’agit que de sondage, mais quelques enseignements peuvent en être tirés, qui confirment des tendances déjà connues :
- les deux partis du gouvernement ont perdu en moins d’un an leur majorité, surtout le Parti du Progrès,
- mais ils ne sont pas les principales « victimes » apparentes du nouveau parti. Les électeurs potentiels de ce parti viendraient d’Avenir Radieux et dans une moindre mesure de l’Alliance Social-démocrate. Le Parti de l’Indépendance doit il s’en féliciter ? Certes pas, le sondage prouve simplement que les « européens » de ce parti l’ont déjà quitté mais se sentiront plus à l’aise dans un parti plus à droite ; si l’on peut qualifier Avenir Radieux ou l’Alliance Social-démocrate de partis de gauche ! Ces deux partis doivent donc s’interroger sur leur offre autre qu’européenne,
- plus important encore si l’on en juge par la place des partis apparus après 2009, la désaffection à l’égard des partis traditionnels est devenue une tendance de fond et non un geste d’humeur. Le temps où le Parti de l‘Indépendance caracolait sans effort entre 35 et 40% des suffrages parait révolu,
- dernier enseignement : il y aurait dans l’Alþingi « virtuel » 28 députés sur 63 favorables à l’adhésion à l’Union Européenne ; les 4 manquants pour former une majorité pourraient facilement être trouvés dans les autres partis, y compris au Parti de l’Indépendance. Pour autant il serait hasardeux de déduire que les Islandais seraient devenus majoritairement pro-européens. Leur exigence est celle d’un référendum sur la poursuite des négociations, et si son résultat est positif, celle d’une négociation claire afin de pouvoir juger par eux-mêmes du choix à faire. C’est une exigence de démocratie directe dans le droit fil des manifestations de 2008/2009, qui pourrait s’appliquer à d’autres sujets.
Celles-ci auront lieu le 31 mai. Le mois d’avril a été occupé à composer les listes dans les 77 collectivités locales, dont la dimension varie de 60 habitants à 118000. Voulant éviter une overdose de politique, j’y reviendrai le mois prochain. À Reykjavík pourtant :
- Avenir Radieux, successeur officiel du Meilleur Parti de Jón Gnarr, a du mal à reprendre l’ensemble de l’héritage, mais la popularité de Dagur B. Eggertsson, tête de liste de l’Alliance Social-démocrate, devrait permettre à ces deux partis de conserver la majorité du conseil municipal. Dagur succéderait alors à Jón Gnarr, dont il a été le véritable adjoint dans la mandature qui s’achève,
- Pour « accrocher » un siège, le Parti du Progrès a tenté une manœuvre désespérée : porter Guðni Ágústsson, ancien ministre et ancien président du Parti du Progrès, un temps retiré de la vie politique, à la tête de sa liste, ce qu’il a finalement refusé.
Situation sociale
En mars, j’ai consacré quelques développements à la grève de 2000 enseignants du secondaire. Commencée le 17 mars après de longues mais vaines négociations elle ne s’est terminée que le 7 avril. La volonté du gouvernement était de s’en tenir au taux de 2.8% d’augmentation pour 2014 afin de ne pas compromettre l’accord signé par l’ASÍ au nom des salariés du privé, et que celui-ci avait eu bien du mal à faire accepter par les syndicats qu’il fédère. Si effectivement cette digue n’est pas franchie dans l’accord signé avec les enseignants elle prend eau de toutes parts : en plus des 2.8% les salaires seront majorés de 2% au 1er janvier 2015 puis en 2016, soit une augmentation totale de 6,8% au 31 octobre 2016. Mais surtout l’accord prévoit un certain nombre d’aménagements de l’activité des enseignants équivalant jusqu’à 17% d’augmentation pour les plus avantagés.
Autre grève entamée, celle des salariés de Ísavia, entreprise en charge de la gestion des principaux aéroports de l’île dont celui de Keflavík. Cette grève fait l’objet d’une programmation précise largement étalée dans le temps. Toujours dans le transport aérien les navigants de Icelandair, dont le syndicat n’est pas membre de l’ASÍ, menacent de se mettre en grève à partir du 9 mai pour la satisfaction de revendications allant bien au delà des 2.8%. Une grève des enseignants à l’Université a été évitée de justesse ; d’autres pourraient venir…
Elín Björg Jónsdóttir
À l’autre bout de l’échelle des salaires, le Bureau des Statistiques nous apprend que 30000 personnes vivent avec moins de 170600 Ikr (1100€) par mois ou 358400 Ikr (2300€) pour une famille de 4 personnes. Ces valeurs représentent 60% du revenu médian des ménages. Vivre en Islande avec 1100€ par mois n’est certainement pas aisé : la crise n’est pas finie pour tout le monde. C’est pourquoi il n’est pas surprenant que le 1er mai Elín Björg Jónsdóttir, Présidente de BSRB (syndicat des employés du public), critique violemment le programme de réduction des dettes qui « ne résoudra pas les problèmes de ceux qui en ont le plus de besoins ».
La situation économique
L’autre crainte des syndicats de salariés à propos de ce programme est la relance de l’inflation alors qu’ils ont eu beaucoup de mal à faire accepter les accords évoqués plus haut. Ils ne sont pas les seuls, c’est ainsi que la Chambre de Commerce demande purement et simplement l’annulation du programme.
Toutefois on peut craindre une relance des prix avec l’arrivée des touristes, dont on attend une nouvelle progression de 20% !
Les autres indicateurs macro-économiques sont dans la continuité de ceux des mois passés : bien que la pêche soit en retrait par rapport à l’année dernière, la balance commerciale reste positive. Quant au chômage il poursuit sa résorption. Je reviendrai le mois prochain sur la situation économique.
Relations internationales
Le rapport de l’Institut des Relations internationales sur les négociations avec l’UE
Où il va encore être question de l’Union Européenne. Mi septembre 2013, Gunnar Bragi Sveinsson a confié la rédaction d’un rapport sur l’UE à l’Institut d’Études Économiques de l’Université. Lorsque le rapport lui est rendu, fin février, il y trouve les raisons qu’il cherchait pour déposer devant l’Alþingi une motion prévoyant la rupture des négociations, avec les conséquences que l’on sait. Peu de temps après, c’est au tour des fédérations d’employeurs et d’employés de solliciter l’Institut des Relations Internationales de l’Université. Son rapport est connu début avril : ses commanditaires y trouvent des raisons de poursuivre la négociation… Faut-il mettre en cause la probité des rédacteurs de ces rapports ? En fait ils ne sont pas si différents et butent sur la même question : y a-t-il dans les « acquis communautaires » des souplesses possibles pour répondre aux spécificités de l’Islande en ce qui concerne la pêche et l’agriculture ? Tous deux admettent qu’il faudrait pour cela aller jusqu’au bout de la négociation, mais les premiers sont pessimistes, alors que les seconds, après un inventaire détaillé de ce qui est déjà acquis et de ce qui reste à négocier, croient que les possibilités d’accord sont réelles. De plus le second rapport contient unvéritable plaidoyer en faveur de l’adoption de l’euro ; or il ne peut y avoir d’euro sans adhésion à l’UE, ce qui pour les rédacteurs justifie certainement quelques sacrifices. Ce rapport évidemment n’émeut pas le gouvernement.
La défense de l’île
Le 11 avril Gunnar Bragi Sveinsson rencontre à Washington Chuck Hagel Secrétaire d’État américain à la défense. A l’ordre du jour le développement de la coopération arctique, l’environnement et aussi la chasse à la baleine, contre laquelle le Président Obama a pris des positions intransigeantes. Simultanément, la crise ukrainienne montre que la volonté du gouvernement, suivant en cela celle du Président Ólafur Ragnar Grímsson, de coopérer étroitement avec la Russie notamment dans l’Arctique, n’est pas sans risques. C’est pourquoi Gunnar Bragi invite ses collègues nordiques à une réunion à Reykholt les 29 et 30 avril pour examiner la situation et préparer la réunion de l’OTAN prévue en septembre. A cette occasion les « européens », notamment Einar Benediktsson, ancien ambassadeur à Paris, dans un article paru dans Fréttablaðið, ne manquent pas de rappeler que le choix de l’UE n’est pas un choix uniquement économique et que la sécurité de l’île doit aussi être prise en compte.
Ragnheiður Elín Árnadóttir & Marc Bouteiller
Les échanges franco-islandais
A l’initiative de la Chambre de Commerce Franco-islandaise, Ragnheiður Elín Árnadóttir a fait une visite de deux jours (28 et 29 avril) à Paris. Au programme des rencontres avec les ministres Ségolène Royal et Axelle Lemaire, centrées sur la coopération énergétique, puis la participation au colloque « Discover Innovative Iceland » organisé par la Chambre de Commerce, et auxquels ont assisté environ 120 personnes.
Et pendant ce temps la vie continue
- 04.04 : 300 candidats postulent aux 9 postes de directeurs à pourvoir après la nomination de Magnús Geir Þórðarson comme Directeur Général de RÚV (entreprise publique de radio et télévision),
- 08.04 : 3 Islandais sur 4 souhaitent que la chasse à la baleine soit « humaine »( ?),
- 08.04 : il n’y aura pas cette année de sapin de Noël offert par la ville d’Oslo ; seule Londres continuera à bénéficier de ce cadeau ; conséquence de la guerre du maquereau ?
- 10.04 : parmi les 10 ouvrages considérés comme les plus marquants de la littérature islandaise 5 ont été écrits par Halldór Laxness, mais c’est la Brennu-Njálssaga qui est classée en tête,
- 15.04 : les Islandais passent 5.4 jours par an au téléphone, soit 21.4 minutes par jour.