Je dors en Bretagne ce soir !*

Publié le 23 avril 2014 par Jeffdepangkhan @jeffdepangkhan

Il est des endroits sur terres que l'on a envie de partager avec ceux que l'on aime, un souvenir d'enfance, des expériences lointaines et cette année me paraissait le bon moment pour le faire... Le fiston et Ma Dame devait un jour venir découvrir un coin de mon enfance, de mon adolescence. Moi aussi, cela faisait longtemps que je voulais aussi y retourner. Il fallait pour cela que mon ami de longue date soit prêt et disponible pour ce voyage retour initiatique. Il a toujours les clés de cette maison où gamins, on allait passer des printemps et des étés sous le regard bienveillant de ses parents sans qu'ils ne sachent réellement que toutes ces années de nos dix-quinze ans allaient être le révélateur des nos années futures ! 20 ans que je n'y avais pas remis les pieds et encore... un passage à l'époque sous une pluie battante, coincés dans une chambre d'hôtel avec une concubine du moment, ne restera pas gravé sur le roc de mes souvenirs... je dirais plutôt presque 35 ans sans y avoir remis les pieds... Pays Bigoudens, Pont l'abbé, Penmarch, Saint-Guénolé. Le ciel était clair et dégagé. Malgré la fraîcheur matinale de ce début avril, le moment semblait adéquat. L'ami d'enfance détenteur des clés de la petite maison de pêcheur, au garde-à-vous, la famille, les yeux gonflés de sommeil paraissait bien décidée à s'engager avec nous vers ce « road-movie » breton... Il fallait partir tôt, pour ne pas arriver trop tard, pour ne arriver après je ne sais quoi, la peur, peut-être de rater quelque chose...Nous allions dormir en Bretagne ce soir !

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Quelques clips...


Le dernier Miossec sur les rochers de Saint-Gué :

Je n'ai jamais été fan de Gilles Servat mais il faut le dire qu'en Bretagne, il est adulé...Entre le festival interceltique de Lorient et les nombreux Fest-noz où souvent accompagné des « trois Jean » voir de Dan Ar Braz ainsi que de Alan Stivell, je l'avais souvent entendu entre deux chassées de danse, les galoches aux pieds les tournées de Chouchen. Sous la bannière bretonne et le son de la cornemuse, Gilles Servat était l'incontournable. Nous ne manquions jamais de nous moquer gentiment de lui à l'époque, même sous nos cheveux longs et nos habit de « babos », nos oreilles aimaient plutôt la voie éraillée de Joe Strummer des Clash... « I'm lost in the supermarket... » même en sourdine on appréciait le jeu de bass dézingué de Sid Vicious qui sortait des juke-box des bistrots de Saint-Gué...Les mousses et matelots affublés de crêtes colorées en raffolaient et sous leurs airs acides, ils ne manquaient que très rarement les embarquements qui allaient les emmenés en mer de Raz, traquer la langoustine tant convoitée à cette époque !

Nous, les quatre potes d'enfance, nous étions au milieu de tout ça, heureux, pêcheurs à toute heure, suivant les marées, suivant la « bête » à remonter à la surface, suivant le granit à déplacer...On avait même trouvé un embarquement avec un fileyeur à qui nous donnions le coup de main en échange de la godaille. Collé au camping où libéré du joug parental nous passions l'été, surplombant notre campement, ce marin célibataire et solitaire habitait avec sa mère dans une grande maison faite de granit et couverte d'ardoises. Il nous avait peut-être repéré, il nous avait même sûrement observé discrètement au fil des jours, grâce ou à cause du bruit que nous faisions certaines nuits. Tant est si bien qu'il nous proposa le boulot. À tour de rôle, on embarquerait à trois heures du mat', nous n'avions qu'à enjamber la haie du camping, nous faufiler dans le labyrinthe de genets et tamaris, un bol de café bouillant nous attendait, une goutte de remonte gosier pour finir la bolée et nous partions à quai et je peux vous le dire, la sortie du port sur ce petit 7 M 50, nous remettait d’aplomb de suite, deux belles déferlantes et une heure de route et notre soirée endiablée n'était plus qu'un souvenir lointain. Ensuite, ça ne chômait pas, remontée des filets, arracher les poissons et crustacés des mailles du filet, nettoyage et réparation éventuelle, remise à l'eau, à midi nous étions de retour...Celui de quart réveillait alors les autres avec le pain et le beurre frais, qui une fois la gueule de bois oubliée pouvaient alors contribuer à l'effort de pêche sur et entre les rochers de la baie du Guilvinec... Le sacrifié de la nuit pouvait alors dormir, sachant que la prochaine nuit serait sans contrainte et vraisemblablement très arrosée. Ceux d'astreinte de jour s'empressaient de revendre la godaille aux touristes du camping de la Joie du même nom de la chapelle qui entre Kérity et le phare Eckmülh sonnait à toute volée ses cloches lors des célébrations du 15 août. Les bigoudènes affublées de leur pain de sucre sur la tête, et elles étaient nombreuses en ce temps là, on en croisait à chaque coin de rue, veuves pour la plupart de marins partis en mer un matin pour ne jamais revenir ou plus probablement morts d'une sinistre cirrhose, n'auraient loupé cette célébration à Marie, patronne des marins pêcheurs...

Nous n'avions pas le droit de travailler mais l'argent ne coulait pas à flot, alors la débrouille était de mise. On pêchait, parce qu'à Saint-Gué, la pêche était la seule opportunité que l'on avait si on voulait partager les nuits des marins et jeunes du quartier. Si nous ne partions pas au matin en mer, on allait aux bigorneaux, moules sauvages, les rochers n'avaient pas beaucoup de secret pour nous, plus jeunes on passait notre temps à les escalader, ceux de derrière le port, à marée basse comme à marée haute. Palourdes au trou, bouquets de pays remontées d'entre les bateaux encore à quai grâce à des carrelets de récup' affublés d’appâts de têtes de thon et de sardine sorties des bacs de la criée ou des conserveries qui n'avaient pas encore mises la clé sous la porte ; Toute cette pêche mise en « linière » nous permettait alors de récupérer des caisses de langoustines à l'arrivée des bateaux vers cinq heures de l'après-midi. Des matelots croisés dans les bistrots durant les nuits torrides où à matin ils n'embarqueraient pas, nous les vendaient à prix coûtant, à prix bateau...On avait plus qu'à acheter le pain, le beurre, j'ai le souvenir, encore vendu à la motte. Nos menus étaient écrits. Le surplus, parce qu'il y en avait des kilos, nos voisins de tente en raffolaient comme de nos coquillages et de nos poissons hors maille que notre « capitaine » nous laissaient après notre nuit et matinée de pêche au large des cotes de la baie d'Audierne...

Personne ne nous a jamais rien dit, on avait entre treize et seize ans et cela paraissait normal, cette débrouille. Nous, nous avions de l'artiche pour aller « Chez Jacqueline », « Chez Gégène » et surtout au « Gypsy » qui fermait à pas d'heure ! Les bars, il y en avait à chaque coin de rue et si nous n'étions pas à tour de rôle à la pêche, on aimait y perdre pied !

C'est donc quatre étés de mon adolescence qui sont remontés ce matin d'avril, clair et limpide. Nous nous engagions sur la RN 165, presque 300 bornes pour rejoindre, un souvenir, un mirage ? Non, pas du tout ! Juste partager avec Tangmoo et Oy ce magnifique paysage du pays bigoudens : Cet embrun si particulier, si puissant, ce bruit des vagues se fracassant sur le granit imposant et cisaillé à force de tempêtes à répétition, ces cris incessants et entêtants des goélands en perpétuel chasse à la moindre carcasse de poissons ou crustacés oubliés dans les filets des pêcheurs, ces falaises à perte de vue entrecoupées de petites criques débordantes de galets, ronds et réguliers mais aussi de longues plages de sable blanc-gris scintillant du quartz de rochers broyés au fil des millénaires par une mer sans concession ; Les terres domptées par les agriculteurs qui offrent grâce à la culture du colza et de la tulipe un contraste saisissant avec le moutonnement blanchâtre de la houle et le vert de gris la couleur de l'océan... Pour remonter jusqu'à la pointe du raz, passant Audierne, Plogoff et ses prés balisés de murets de pierres de granit imbriquées à la perfection où les genêts avec leurs fleurs jaunes immaculées penchent tous vers les terres tellement les vents d'ouest leur ont fait tourner la tête ; Dire qu' « ils » voulaient y construire une centrale nucléaire...La tête dure du breton en aura eu raison ; la falaise restera telle un paysage du Conémara... À chaque fois que je m'y rends, je ne peux m'empêcher de revoir comme si j'y étais, comme en cinémascope, les paysages magnifiques du film de Yves Boisset « Un taxi mauve » avec cet impressionnant acteur qu'est Peter Ustinov ! Prenant le chemin des douaniers tout au long de la cote vous tomberez sur des abers, des marais improbables ornés de roseaux majestueux...

Tout cela existe encore aujourd'hui, on a roulé au milieu de cette carte postale, même les ruines médiévales des nombreuses chapelles ont été « retapées » pour le bonheur des touristes, la plupart des maisons ressemblent à des maisons de poupées, elles sont à cette époque presque toutes fermées, elles sont devenues des résidences secondaires, et Saint-Guénolé, port de pêche imposant durant ces dernières décennies, port sardinier et thonier, puis port langoustier, qu'en reste-t-il ? Eh bien quasiment plus rien... Quatre bateaux, oui quatre bateaux rentrent au port sur les coups de cinq heures... Une misère ! La criée, longue de 100 mètres est vide, ce grand hall qui chaque 15 août se voyait transformer en grande salle de bal... je me souviens avoir vu des bigoudènes danser sur « la danse des canards »... Et les bigoudènes, d'ailleurs ? Eh bien, il n'y en a plus, à l'exception, à ce qu'il paraît, lors des festivals, pour la démonstration, du folklore ! Je l'avais déjà remarqué à l'époque que cela ne durerait pas, il fallait les voir tenter de s'engouffrer dans une voiture avec leur coiffe de presque un mètre de haut... Ils n'allaient pas tous acheter des véhicules avec toit ouvrant en option, non ? Et les bistrots... Tous fermés, sauf « Chez Cathy » où j'ai d'ailleurs croisé de vieilles connaissances, sans savoir qu'elles en étaient...l'ancien crieur, et celui qui nous refilait les appâts pour notre pêche à la crevette ! Au fil des rues, les conserveries ont toutes mis la clef sous la porte... les bâtiments restent, la plupart à l'abandon, leurs toits triangulaires pointés vers le ciel, éventrés pour beaucoup, recouverts de guano, celui des goélands qui n'ont jamais été aussi nombreux, bataillant ferme pour un reste de carcasses de poissons qui se fait rare ! Les plages sont assaillis par des surfers qui squattent les nombreux parkings mis à leur disposition. Les temps changent, d'un pays rude et laborieux on en a fait un vitrine touristique, mais ce n'est pas le seul endroit de France, à ce qu'il paraît, et depuis des décennies c'est décidé dans les hautes sphères. La France va devenir un grand « Dysneyland » pour touristes argentés et mondialisés. On ferme, circulez, il n'y a que de la belle pierre à voir de la friche industrielle à visiter comme dans un musée et à Saint-Gué, les pêcheurs sont devenus serveurs, dans les bars, cuisiniers dans les restaurants, d'autres, réparateurs de planches de surf voire guides touristiques et les autres, les moins chanceux, ceux qui n'ont pas su s'adapter sont chômeurs endémiques à l'aide sociale.

Seuls, les rochers de Saint Gué restent immuables. Ils étaient là avant, ils sont là et seront là, tels des rocs face à l'océan, la société change, les priorités économiques aussi, mais le granit, lui, s'en contrefout, il se dresse contre vents et marées pour l'éternité !

Paille Kheundheu...

PS : La conclusion peut paraître hâtive et pessimiste mais ma petite famille a vraiment apprécié l'endroit, et il reste, il faut le dire d'une beauté remarquable...

Mais serait-il temps de rentrer en ISAN ? En attendant et à suivre un petit diaporama, pêle-mêle, de cette balade bigoudène...

« Du royaume du Siam aux temples d'Angkor !
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