J’accuse

La fermeture des trois banques islandaises en 2008 a occasionné un réveil brutal pour les Islandais. Les illusions ont été révélées, la vérité grimaçante fixait les insulaires de ses orbites creuses, et une nouvelle réalité s’est progressivement installée, un peu comme dans un roman de Philip K. Dick. Aujourd’hui, tout reste à faire.

j'accuse

Ó. R. Grímsson

On nous dit bien que le pays enregistre une légère amélioration; il reste pourtant hermétiquement fermé : aucun investissement étranger, une couronne islandaise au cours variable qui fluctue au gré des comptes en banques des malfrats, et un gouvernement inepte qui n’a été élu que parce que la nouvelle constitution a été rejetée. Si elle avait vu le jour, la voix de l’électeur de province aurait pesé autant que celle de son compatriote citadin. Cette inégalité des voix a permis à d’obscurs vendeurs de hot-dogs et autres lumières du Parti dit « progressiste » de devenir ministres. Et la présence persistante d’un président mégalomane n’arrange rien. Ólafur Ragnar Grímsson n’a pas demandé au parti vainqueur de former un gouvernement comme le veut la Constitution, il a confié cette tâche à un certain Sigmundur Davíð Gunnlaugsson qui a promis des versements mirobolants à chaque famille lors de la campagne électorale. Jusqu’alors, sire Sigmundur Davíð était très favorable aux référendums pour toutes les grandes questions. Retournement de veste polaire ?

j'accuse

S. D. Gunnlaugsson

On nous dit bien que le chômage a fondu comme neige au soleil de minuit. Qu’il a presque retrouvé son faible niveau d’avant la crise. On omet simplement de préciser que les Islandais cumulent les emplois et les heures de travail pour maintenir un pouvoir d’achat dérisoire et payer des dettes accrues par la chute des banques. Le salarié moyen est immobilisé par sa dette, paralysé par son poids.

On nous dit bien qu’il y a encore des usines d’aluminium à construire, et que d’alléchantes fabriques d’engrais chimique seront érigées pour que la jeunesse reste au pays. En attendant, ceux qui ont fait des études devront aller voir ailleurs.

On nous dit bien que cette hideuse hydre nommée Union européenne a été écartée au dernier moment, d’un coup tranchant porté par les ministres contrefaits des partis corrompus.
Qu’elle semble pourtant belle aujourd’hui cette hydre à plusieurs têtes et aux états-membres variés, à côté de la méduse islandaise mortifère, fantôme tenace d’un auto-colonialisme fait maison, qui flirte avec Poutine et rampe devant la Chine.
Une méduse qui se fait passer pour un lagopède des neiges. Oublié, le rapport accablant sur la corruption en Islande, rédigé sous l’égide d’Eva Joly. Les membres du Parlement avaient pourtant à l’unanimité promis d’agir en conséquence pour en finir avec la corruption.

Alors j’accuse !

J’accuse la clique des margoulins d’avoir suivi la recette des gangsters pour mettre l’état islandais sur la paille et se remplir les poches, les comptes au Qatar et aux îles Caïman.
J’accuse la clique des margoulins d’avoir vendu la nature inestimable du pays aux multinationales aveugles, au détriment de tout le monde.
J’accuse la clique des margoulins d’avoir semé la discorde et la méfiance parmi les Islandais. Un vrai barrage de Kárahnjúkar.
J’accuse la clique des margoulins d’avoir éliminé l’option de la démocratie dans le pays.
J’accuse la clique des margoulins de continuer à saigner leurs concitoyens à blanc et de préparer une nouvelle chute des banques pour se faire encore plus de millions.

Ce voyage aveugle vers le passé, je n’en veux plus. Tous ces parcours à reculons, je n’en veux plus. Cette glorification de la guerre froide, je n’en veux plus.

Les Islandais ont repris les manifestations devant le Parlement. Cette fois, ils sont munis de bananes, dans le froid et la neige. Il y a quelques jours, le merveilleux poète Sigurður Pálsson, que beaucoup de Français connaissent et apprécient, a tenu un discours lors de l’une de ces manifestations. Il y évoquait notamment une phrase de Gertrude Stein : A rose is a rose is a rose. Sigurður en a conclu qu’une promesse est une promesse est une promesse, et qu’une trahison est une trahison est une trahison. Oui, nos ministres sont des traîtres.

Ministres mal élus, tenez au moins une de vos promesses ! Laissez-nous voter ! Accordez-nous ce référendum concernant la reprise des négociations avec l’UE ! Permettez-nous de choisir l’avenir que nous voulons ! Et nous n’en parlerons plus. Plus jamais.