Le centre historique de Venise a perdu 1.470 habitants durant les douze dernier derniers mois, un chiffre terrible qui sonne comme un glas le déclin d’une ville admirée dans le monde entier.
Au XVème siècle, ce que l’on nomme de nos jours "le centre historique" et qui était Venise, comptait 200.000 habitants.
L’agonie de la ville a commencé après l’invasion de Bonaparte et ses troupes, avec la perte de l’Arsenale, et la déconstruction du tissus social de la République maritime. Pourtant, en 1960, il y avait encore 160.000 habitants qui vivaient et travaillaient ici.
C’est dans le début des années 1980 que l’on est passé en dessous de la barre des 100.000 habitants : en 1976: 102 269 et dix ans plus tard, en 1986: 84 355, et depuis, Venise se dépeuple de plus en plus rapidement.
Or, le peuplement de Venise est essentiel à sa propre survie et celle de ses habitants. Venise est une ville de rêve, au sein de laquelle on imagine mal mener une existence "normale". Pourtant cette facette de la ville est indispensable à sa pérennité : que des vénitiens habitent leur ville, qu’ils y fassent leurs courses et y exercent de multiples métiers est prosaïque, certes, mais essentiel. 71% des départs concernent des personnes jeunes de moins de 45 ans, et ces derniers affirment partir à contrecœur, sous la pression de facteurs incontournables.
Nous nous souvenons, treize ans en arrière, comment les politiques de l’époque, l’ancien maire Paolo Costa, le tout nouveau, Massimo Cacciari, se riaient des propos alarmistes de Venessia.com et du compteur installé dans la vitrine de la pharmacie de San Bartolomeo. "Sono solo numeri, vanno e vengono" disaient-ils.
C’est au début de l’année 2010 que l’on est passé sous la barre des 60.000 habitants. Au 31 décembre 2012 il restait 58.269 vénitiens.
Les statistiques du bureau d’enregistrement du Service des Statistiques de Venise à la Ca’ Farsetti sont tombées, comme un couperet : au 31 décembre 2013 il reste seulement 56.799 habitants dans le centre historique de Venise.
Si le nombre d’habitants continue de décroitre selon cette courbe, il reste au maximum 30 ans à Venise avant de se vider complètement. Probablement moins. Et la responsabilité des politiques est grande, eux qui, sous prétexte de la crise, au nom de la rentabilité économique et en fonction des règles imposées par des banques phagocytées par des organisations criminelles ferment l’un après l’autre les services publics pour les transférer à Mestre ou à Milan, ferment l’hôpital, les crèches, les écoles, transfèrent à Tronchetto le retrait des colis postaux…
Messieurs Zaïa, Orsoni et tous les autres, si prompt à trouver de l’argent pour creuser un canal pour faire passer 5 paquebots monstrueux, ne trouvent pas le moyen d’endiguer hémorragie des habitants de Venise.
En réalité, tout se passe comme s’il devenait gênant, désormais, qu’il reste dans le centre historique des vénitiens, qui s’acharnent à habiter, travailler et vivre au plus près de leurs racines. Cela dérange les appétits d’investisseurs pour qui l’être humain n’est rien. Pour qui le flot quotidien de touristes qui viennent acheter à des marchands chinois des babioles fabriquées en Asie et des contrefaçons est plus important que la fermeture des boulangeries, commerces de bouche et la disparition de commerçants et artisans nécessaires à la vie de tous les jours.
Il y a quelques années, on entendait encore quelques politiques émettre des idées pour sauver la vie à Venise. De nos jours, plus aucun n’en parle, comme si la question était réglée.
Parmi les départs les plus marquants, on peut citer le siège principal des Assurances Générales (2.000 emplois), les directions provinciales de plusieurs banques, la direction de la typographie du quotidien Il Gazzettino ou encore la compagnie italienne d’aviation Alitalia.
La population active émigre sur la terraferma, ce qui provoque un important transit matin et soir entre îles et continent, la classe moyenne disparaît, les prix de l’immobilier sont complètement déconnectés de la réalité, et il ne reste plus à Venise que des anciens qui reviennent mourir là où ils ne peuvent plus vivre (pour 1 enfant de moins de 5 ans, il y a 10 vénitiens de plus de 65 ans).
Mais Venise, vidée de ses habitant-e-s, ville musée à ciel ouvert dont rêvent certains, est vouée à la mort programmée, car les maisons abandonnées sombreront alors irrémédiablement dans la lagune, comme, il y a quinze siècles, quand la première ville de la lagune s’est trouvée engloutie par les flots, antique Atlantide. Vous qui lisez notre blog chaque jour, vous connaissez le destin de Venise si les hommes s’acharnent sur elle, ce sera le même que celui de l’archipel d’îles qui constituait cette mégapole antique autour d’Ammiana, Torcelo, Costanziaco…
Dans trente ans, Venise, vidée de ses habitants commencera à voir ses maison qui ne seront plus entretenues tomber en ruine, sombrer dans la vase d’où elles ont surgit il y a dix siècle. Il aura fallu moins d’un siècle, depuis la fin de la dernière guerre mondiale pour que la rapacité de quelques uns soit la cause de la disparition d’un trésor de l’Humanité. Si l’on ne fait rien, dans cinquante ans au plus Venise aura disparu au fond des eaux.
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