Lorsque je suis venu pour la première fois en ISAN, j'avais rejoint la bouillonnante station de bus de Bangkok, Mor Chit. Cette gare de bus de la capitale thaïlandaise, une parmi tant d'autres, rassemble les voyageurs dans des bus de tout acabit, du BUS VIP où l'on voyage tel un passager de classe affaire dans un avion transatlantique au tromblon orange brinquebalant qui manque de se disloquer à chaque passage de vitesse, des voyageurs de tous ordres, étudiants, familles et travailleurs de la capitale et quelques backpapers errants qui désirent se rendre au nord du pays ou vers le nord-est de la Thaïlande, l'ISAN ! Au milieu de ce brouhaha, après avoir trouvés tickets au milieu des dizaines de guichets puis le quai d'embarquement vers Roi Et après un gymkhana remarquable, on pouvait s'installer, Oy et moi, dans un siège confortable, les oreilles saturés par la bande son d'un film kitsch qui allait nous accompagner tout au long de notre sortie de la capitale.
La route numéro 1 qui monte vers le nord est une vaste voie de huit voies qui va jusqu'à Saraburi. On se croyait alors sur un circuit au sein d'une course de bus, camions et minibus, se dépassant sans loi, à gauche ou droite, enfin où le gabarit du concurrent engagé dans cette course pouvait passer ! À ce kilomètre 110, les routes se séparent...les nordistes droits dans leur botte filant vers les lumières de Chiang Maï et les autres, nous virant sur la gauche pour s'engager sur la route 2 vers les rives du Mékhong. La circulation ne baisse pas d'intensité mais la route se rétrécit, les camions chargés à ras de la benne tente la montée du plateau de Korat, et les dépassements se font de plus en plus audacieux. Les premières collines laissent derrière nous de vastes mines de ciment, des projecteurs surpuissants illuminant les cimes des montagnes que l'on grignote 24 heures sur 24 afin de rassasier les promoteurs de Bangkok qui à tout de bras érigent des dizaines et des dizaines de gratte-ciel ! La grimpette de Korat terminée, la circulation devient fluide mais le bord de route est encombré de multiple restaurants, marchés de fruits et légumes, de vendeurs de céramique et pierres taillées en tous genres. Les arrêts pipi et « alors, un p'tit creux ? » sont de pratique courante avant la grande gare de bus de Nakhon Rachasima que seul les panneaux indicateurs appellent ainsi, puisque tous nomment cette ville charnière Korat !
De la lumière de la ville, nous commencions à affronter la nuit noire, peu de vie sur le bord de route, une bourgade tous les 30 kilomètres que l'on passe en périphérie et le trajet s'enfonce dans les ténèbres... « les véhicules se font rares, peu de camions, notre route file droit sur la capitale du Laos, Vientiane. Les panneaux indiquent Khon kean, prochaine grande ville mais nous n'irons pas jusque là puisque nous tournerons sur notre gauche, traverser une voie de chemin de fer pour atteindre plus de 200 kilomètres plus loin Ubon Rachatani, ville frontalière avec le sud du Laos ; à bonne distance nous longeons la frontière cambodgienne. La route est devenue une nationale quelconque, deux voies où plus personne ne circule ; seulement quelques bus bleus comme le notre nous doublerons et nous aurons l'occasion de leur rendre la pareille ! La nuit est sans lune et alors que tout le monde dort dans le bus, la vidéo est éteinte depuis longtemps, juste le ronronnement du moteur nous accompagne. L'habitacle est d'un froid glaciale ; la climatisation, ce serait dommage de ne pas s'en servir, n'est-ce pas « chauffeur » (drôle de nom pour un pourvoyeur de rhume et bronchite en tout genre ?) ; je ne peux pas dormir, impossible, le paysage d'un noir profond m'absorbe, seules des milliers d'étoiles scintillent à l'infini. On se croirait dans un planétarium. Il y a sûrement des étoiles que je n'ai jamais vu de ma vie, je n'en ai jamais vu autant au dessus de ma tête !
Nous avançons inexorablement, un portique de taille démesurée traversant la route nous dit que nous sommes les bienvenus à Roi Et. Décidément, je suis rendu dans le trou du cul du monde. Nous traversons la ville, une ville fantôme...pas un clampin dans les rues, pas de voitures, rien, juste un éclairage accompagne notre avancée. À peine entrés dans cette petite ville que nous sortons pour replonger dans les ténèbres, je demande alors à Oy : « mais nous sommes à Roi Et mais ne m'avais-tu pas dit que tu étais de Loï Et ? ». Dans ma pensée, j'étais persuadé que nous irions à Loei...Incompréhension et défaut de langage, cette première excursion en pays d'ISAN commençait « pour le mieux » ! Ma deuxième question fut alors : « mais nous venons de passer Roi Et, et alors ? ». La réponse évasive fut : « T'inquiètes pas, nous arrivons bientôt ! ». Pas vraiment de nature à s'inquiéter, le farang, mais plutôt habitué à savoir où il va, enfin approximativement... ».
Une vingtaine de minutes plus tard, nous grimpions un raidillon avec le bus et quelques lumières publiques firent leur apparition. Le bus se mit à donner du klaxon, l’hôtesse vint vers nous pour nous dire dans un langage étrange, enfin ce n'était certainement pas du thaï, que nous arrivions à destination, Sélaphum. Jamais vu ce nom sur mes cartes, mes guides... En descendant du bus, la fraîcheur de la nuit nous assaillit, mais il faisait de toute façon plus chaud que dans ce bus frigorifique. Une dizaine de garçons engoncée dans des dossards oranges numérotés, la tête emmitouflée dans des foulards à carreaux entourèrent ma future femme et la bombardèrent de question, tout en se marrant à la vue d'un farang descendant derrière elle. Manifestement, en ISAN, les rickshaw walas, comme je les appelais encore ainsi, « l'indianite » aiguë était encore bien présente en moi, se comportaient tels les chauffeurs de TUK TUK racolant à Bangkok pour les « spectacles interdits ou insolites de la capitale », ce n'était ne fait que le comportement normal de Sam Lor (trois roues) comme on le dit ici, en ISAN ! Mettre la pression pour que le chaland ne pense pas trop à négocier, ni à réfléchir.
Le bus remit alors les gaz, les conducteurs enturbannées un temps dans l'énervement se calmèrent vite, les sacs chargés dans la carlingue d'un des leurs, le moteur pétaradant d'une mobylette près à décoller. On ne fit qu'un demi tour, juste en face un halo de lumières nous attira nous et notre engin ! Un nombre incalculable de moto d'un autre temps, de sorte de bus bétaillères et quelques pick-up délabrés stationnaient devant ce qui s'avéra être un gigantesque marché. Trois heures du matin, l’effervescence était là ! Il y avait donc des gens qui habitaient en ISAN ? Il n'y avait pas que la route et les étoiles dans ce pays !
Le marché était animé, une frénésie. Des femmes, surtout des femmes de tous les les âges vendaient, assis sur des grandes tables de bambou trônant à 50 centimètres du sol, toutes ce que la terre pouvait offrir à l'humanité ; légumes connus et inconnus, viandes, poissons vivants se débattant dans de grosses bassines noires, fruits de toutes les couleurs et puis tout ce que l'exotisme culinaire peut offrir : insectes - bêtes rampantes, volantes, animaux inconnus et autres bestioles que l'on a plutôt l'habitude de voir dans des documentaires animaliers et non sur l'étal de marchand afin qu'ils soient cuisinés par la plus habile des ménagères. Ceinturant le halle, des magasins regorgeant de produits manufacturés. Les grossistes qui pointaient sur des « futures factures » les produits prêts à être embarqués sur des diables que de pauvres bougres emmenaient vers des charrettes à bras alignées le long de la route prêtes à être tractées par des motos japonisantes et agonisantes ; mais où pouvaient-elles se rendre ? D'où venaient tous ces gens ? Moi qui croyait que j'étais dans une région dépourvu de population ! Les gens affairés avaient à peine fait attention à ma trogne de farang... à peine, puisque au fil des dédales et des achats, les vendeuses y allaient de leurs commentaires et remarques à mon propos, je le sentais ! Chaque conversation dans ce langage inconnu, très saccadé et guttural se terminait systématiquement par un éclat de rire. Le « Bok Sida (farang en lao) » faisait rire mais je ne sentais pas la raillerie ni la moquerie. L'inconnu traînant d’innombrables sacs remplis de victuailles et son attitude béate laissait plutôt le rire se déclencher devant l'inconnu !
Notre « TUK TUK » nous attendaient sagement, nos sacs de voyages à leur place, pas de soucis, pas comme en Inde où n'importe quels sacs laissés en liberté retrouvait vite un nouveau maître ! J'avais vociféré auprès de ma tendre, mais elle m'avait répondu du sempiternel : « Mai pen rai ! », le « pas de soucis » qui sert de passeport à la nonchalance thaïlandaise !
Le Sam Lor chargé à ras bord, « eh ! on arrive pas les mains vides au village », autant pour moi car c'était la première fois et Oy qui allait retrouver « son Ban » après presque quatre années sans y avoir mis les pieds.
C'était il y a quinze ans, en décembre quasiment jour pour jours. Je peux vous le dire, le trajet de la ville où seul le marché montrait qu'il y avait de la vie en ISAN jusqu'au village après des kilomètres de routes de terres rouges fut long, les Sam Lor de l'ISAN ne sont pas les fougueux TUK TUK de la capitale, le froid, oui le froid cinglant, je ne pensais pas qu'il pouvait faire froid en Thaïlande ! Le monde aussi ! Plus on avançait au milieu des étendus de rizières jaunis allant à l'infini, se confondant avec un ciel légèrement violacé et brumeux où quelques grands arbres découpaient l'horizon - je m'attendais à voir des paysages verdoyants et vallonnés – traversant de nombreux villages, on croisait de plus en plus de monde. Des gamins en pagaille, se préparant à se rendre à l'école, des personnes âgés s'affairant sur le bord de route à balayer devant leur maison, des marchands en tout genre préparant toutes sortes de nourritures destinées aux autres villageois et aux enfants se pressant à l'approche de rejoindre leur école où les multiples bus où ils grimperaient dedans mais aussi sur le toit afin de rejoindre des collèges et lycées qui devaient à mon avis se trouver à Sélaphum. Ça grouillait, il y avait de la vie, c'était là que les gens d'ISAN habitaient, dans les villages, dans leur villages !
Vous allez vous dire, toute cette histoire pour en arriver où ?
Le titre de l'article dit « Faites (fêtes) des gosses ! ». Alors, quel rapport ?
La province de Roi Et quinze années plus tard est encore plus populeuse, la jeunesse de la population est ce qui marquera le voyageur. Il verra aussi de nombreux anciens, ceux qui s'occupent de la jeunesse puisque les parents sont quasiment absents des villages. Quelques hommes qui travaillent la terre et les fonctionnaires qui ont eus le privilège de pouvoir rester en ISAN...Les autres, dès la vingtaine et jusqu'à temps de l'épuisement ou de la « fortune » seront dans les grandes villes et surtout à Bangkok afin de travailler et de faire vivre ceux qui restent au village, enfants et grands-parents ! Bien-sûr, il y a des exceptions et comme le dit l'adage, cela confirme la règle !
La province où sied Ban Pangkhan compte un million trois cents mille habitants, ce qui la place au onzième rang des provinces les plus peuplées de Thaïlande et il se trouve qu'elle est la plus rurale de tout le pays. Elle compte 20 districts (amphoe) et se divise en 193 sous-districts (tambon) qui aligne, et là le chiffre impressionne, 2311 villages où 94% de la population de la province se cantonne...
Prov. de ROI ET. Région ISAN. District de Sélaphum.
Chaque province de l'ISAN est d'ailleurs de cet acabit et l'ISAN en compte 20.
Ma première impression quinze ans plus tôt était donc fausse ! IL Y A DU MONDE, BEAUCOUP DE MONDE QUI HABITE EN ISAN ! L'ISAN n'est pas le désert annoncé, mais la population se concentre dans les villages et ne se rend que dans les petites villes pour aller au marché, à l'hôpital et pour des raisons administratives ; les adolescents se rendent à l'école dans les petites villes de district, les plus jeunes enfants, eux, profitant d'une école primaire dans chaque village !
La semaine dernière, à Ban Pangkhan, toutes les écoles primaires du sous district de Na Ngam (16 mooban (villages)) furent conviées à la grande journée du sport et comme à chaque fois, on a eu le droit au défilé, maquillage et froufrou pour les filles et marche militaire pour les garçons...j'ai filmé, pas tout le défilé, j'ai trouvé que ces deux vidéos étaient déjà...plutôt longues...
Vous vous rendrez alors compte que la Thaïlande est un pays d'avenir si l'on croit à la maxime « L'avenir est à ceux qui se lève tôt » et « le futur, c'est la jeunesse » ! Cette vidéo a été tourné à 7H30 le matin par le premier jour hivernal de l'année.
Paille Kheundheu...
Post Scriptum : Pour illustrer cette explosion de jeunesse voici un article et vidéo de mon ami OBEO qui a filmé et photographié dans d'autres provinces que celle de Roi Et, ces fêtes, ces défilés des écoles !
« Et si on parlait bouquins (5) !
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