Carnet de voyage en Turquie

Publié le 09 décembre 2013 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Épisode précédent :

Bulletin météo de la journée (lundi) :

10h00 : 24°C / humidité : 46% / vent 9 km/h
14h00 : 29°C / humidité : 22% / vent 6 km/h
22h00 : 22°C / humidité : 8% / vent 2 km/h

Derniers kilomètres sur la route qui mène à la Cappadoce. Je viens de dépasser Aksaray (Saray : palais ; Ak : blanc) et je me dis que je n’ai finalement qu’une très vague idée de ce que je vais pouvoir découvrir ici. L’arrivée d’internet a ceci de confortable qu’on peut commencer à voyager avant même de partir, mais je dois confesser que je ne suis pas du tout dans cette optique. Je n’ai que quelques images floues de ce qu’est la Cappadoce, des images que je ne tente pas de faire durcir plus que ça, tant j’ai envie de me laisser surprendre par l’écart entre le fantasme et la réalité. Je ne fantasme qu’avec ce que j’en ai lu sur le Guide Bleu, mon compagnon de route et une fois encore, ce que donne à voir ou à imaginer ces guides ne sont qu’une vision très fragmentaire et très éloignée des émotions qui peuvent nous assaillir sur le terrain. J’avoue être angoissé, de la même manière que j’étais angoissé lorsque je suis arrivé à Antalya, pétri de doutes, apeuré par l’inconnu qui s’ouvre devant moi, sur la réserve lorsque je ne suis plus en terrain connu, prêt à me laisser violenter par ce qui m’attend.

Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, la climatisation m’a glacé pendant tout le voyage et et je n’ai plus qu’une seule hâte, arriver, me dégourdir les jambes, prendre une douche, dormir un peu peut-être… Nevşehir (prononcer Nèvché-hir), gare routière. Ce n’est pas le terminus alors il faut se dépêcher de descendre et de récupérer ses valises, c’est ce que m’indique le steward qui ronflait tout à l’heure sur mon épaule. Une fois éjecté dehors — le chauffeur en pantalon moulant et cheveux poivre et sel me salue chaleureusement —, je me rends compte que ma valise est déjà au pied du car. Nous ne sommes que sept à être descendus ici. Il est 6h30. Le reste du car va jusqu’à Kayseri (prononcer Caille-série), l’antique Césarée, à 80km de là vers l’est. Étonnamment, j’ai très vite incorporé la carte de la Cappadoce, je m’en suis fait rapidement une image mentale précise, en évaluant les distances et les directions. Étant donné que j’allais devoir conduire dans ce paysage, il me fallait un minimum pouvoir me repérer et j’ai l’impression qu’on développe naturellement des compétences de survie lorsqu’on sait qu’on n’est plus dans un environnement habituel ; l’orientation fait partie de ces réflexes, même si la survie dans cette région reste une notion toute relative.

La gare routière est au milieu de rien, dans un nulle part étudié, près d’une route sans rien d’autre qui puisse marquer l’esprit. A l’intérieur du grand espace, deux ou trois stands désertés à cette heure trop matinale. Location de voiture, agence de tourisme, le tout réduit à sa plus simple expression. J’emprunte les toilettes et je retourne dehors attendre près de ma valise que la navette arrive. Une navette est censée venir me chercher pour me conduire à Üçhisar (prononcer Utchissar). C’est en tout cas prévu dans le prix du billet, mais j’ai comme un mauvais pressentiment et j’ai l’impression que personne ne va vraiment pouvoir m’aider, moi et ma valise au milieu des champs. Une jeune fille s’approche de moi, l’air très sure d’elle, pantalon de treillis et casquette militaire noire, backpack de baroudeuse sur l’épaule et s’adresse à moi en français.
— Vous allez où ?
(soupir du type fatigué un peu rassuré de pouvoir compter sur quelqu’un, parce que vraiment, il est à bout de nerf)
— Üçhisar.
— Où à Üçhisar ?
— Hôtel Karlık Evi…
— Connais pas. La navette pour Üçhisar passe ici, ne vous éloignez pas trop.
Je la remercie en lui disant mentalement “Oui mon général !” en claquant des talons. Je déteste ce genre de personne qui connait tout et qui se fait un devoir d’aider les pauvres âmes qui ne s’en sortent pas. Je me dis que si elle n’avait pas été là, j’aurais bien fini par me débrouiller tout seul et je m’en veux un peu de n’avoir pas fait plus d’effort.
Le minibus finit par arriver. Le chauffeur est une brute moustachue qui beugle pour me demander où je vais. Même réponse. Hôtel ? Karlık Evi. Une tête de type qui ne connait pas. Je lui fais signe de partir tandis que je monte, on verra ça en route. La Française est à côté de moi et apostrophe le chauffeur en turc ; j’entends au milieu de sa phrase « Karlık Evi » et lui de répondre avec des grands gestes qui semblaient plutôt pencher du côté du négatif… Elle me dit qu’il ne connait pas l’hôtel, qu’il me déposera sur la place et qu’il faudra que je demande mon chemin, et que c’est tout ce qu’elle peut faire pour moi. C’est plutôt gentil de sa part, mais j’ai vraiment l’impression de parler à un soldat plutôt qu’à une voyageuse esseulée. La route entre Nevşehir et Üçhisar n’est pas très longue, à peine 10km en passant par le centre-ville de Nevşehir. Je me sens partir, je n’en peux plus quand je sens le minibus ralentir. Il s’arrête sur une place immense, à la croisée de plusieurs routes, serre le frein à main et sors pour sortir ma valise. La Française me salue en me souhaitant sobrement un bon séjour. Je la remercie froidement.

Me voici seul à Üçhisar. En plein cœur de la Turquie, et il n’y a pas un chat. 7h00 du matin, la ville ne s’éveille même pas. La place est vide. J’ai les yeux qui tombent de fatigue, mais je suis heureux d’être là et je m’imprègne de cette ambiance qui me rend heureux. Un type à scooter s’arrête près de moi, me regarde et me parle dans un français impeccable, presque sans accent, sans savoir qui je suis. Ça se voit donc tant que ça ?
— Vous cherchez un hôtel ?
— Oui le Karlık Evi s’il vous plaît.
— Redescendez la rue sur 100 mètres, droite et troisième à gauche. Vous trouverez des panneaux.
Déjà il s’éloigne mais je n’en ai pas fini avec lui.
— Vous êtes Français ?
— Français ? Moi ? Non, je suis Turc !!
Il est déjà loin et je reste là avec ma valise. Surréaliste.
Sur le pavé, les roues de la valise font un barouf d’enfer et je crains de réveiller la ville entière à mon passage. Il fait 17°C et je me surprends à trembler, la peau grêlée d’une chair de poule indécente, avec mon petit tee-shirt sur le dos. On prend vite l’habitude des matins à 35°C. Au coin d’une rue, au pied du Kale, un autre type me demande en français s’il peut m’aider. Je rêve !!! Je suis à 800km d’Istanbul et tout le monde parle français !! Bonjour le dépaysement !! J’en souris plutôt qu’autre chose et une fois de plus, j’apprécie la gentillesse des Turcs.

Je descends la rue qu’on m’a indiqué et je vois un bâtiment qui pourrait plus ressembler à un hôtel que tout ce qui se trouve dans la rue. Il ne faut pas mentir, j’étais un peu inquiet, et quand je vois l’hôtel, ma sensation est renforcée par l’allure un peu hétéroclite de la bâtisse dont la façade est mangée par une vigne vierge immense. J’entre dans la demeure et je suis subjugué par la décoration. Quand je parlais d’hétéroclite pour l’extérieur, c’est valable aussi pour l’intérieur, tout y est de bon goût, dans un joyeux fatras réfléchi. J’apprendrai plus tard que l’hôtel est un ancien hôpital qui n’a pas servi longtemps. Le garçon vérifie ma réservation et monte ma valise. Quand j’entre dans la chambre, j’ai en fait encore l’impression d’être dans un salon pour aller vers un autre espace, mais non. Je n’en reviens pas. C’est simplement immense. Il y a un balcon, un salon, avec une petite chambre sur le côté, et le lit deux places (peut-être trois, quatre ?) a été surélevé sur un socle de pierre de la région. Les meubles sont massifs, mais l’endroit est somptueux, comme j’aime. Vraiment, je ne regrette pas le prix de la chambre qui est un peu la cerise sur le gâteau. Le balcon donne une vue sur une plaine immense, le soleil qui se lève dans le dos.

Ni une ni deux, je me fais couler un bain dans l’immense baignoire et je frotte cette impression de crasse qui colle aux basques lorsque je n’ai pas assez dormi. Je m’endors à moitié dans l’eau bouillante, mais je ne traine pas car le garçon m’a demandé si je voulais prendre un petit déjeuner là tout de suite. Je prends mon petit déjeuner sous une tonnelle tandis que le soleil monte dans le ciel et qu’une petite musique me berce doucement. Le bal des plateaux n’en finit par et je me retrouve avec à manger pour dix. Des olives, des vertes et des noires, de concassées, du fromage d’au moins quatre sortes différentes, du fromage blanc, du café, de l’eau aromatisée à la menthe, jus d’orange, des toasts, des börek au fromage, des feuilletés aux anchois… et on me demande si je veux une omelette ou des menemen… Allez-y, de toute façon je ne peux plus me lever… Je suis accueilli par une des trois personnes qui tiennent l’hôtel, Bukem. Petite femme rondouillarde, le visage avenant, un grain de beauté au coin de la lèvre, elle parle un anglais tout en rondeur, comme elle, fortement accentué avec des R qui roulent comme des galets dans les gorges de Saklıkent (ça, c’est de la vraie métaphore turque). Le courant passe tout de suite et nous commençons à papoter tandis que je déjeune. Elle me demande si je veux une chambre donnant sur le magnifique paysage qui se déroule devant mes yeux. Refuser serait impoli… Elle part puis revient et me dit que tout sera prêt quand j’aurais terminé de déjeuner. Je lézarde à l’ombre au pied du Kale d’Üçhisar, l’immense citadelle troglodyte qui domine toute la vallée de Göreme et en plus on me propose une chambre avec ce qui est certainement la plus belle vue de la région.

Lorsque je remonte, Bukem me donne ma nouvelle clé et m’accompagne. Si mon ancienne chambre était rouge, celle-ci est orange et resplendissante. Cette fois-ci, j’ai deux salons, un balcon qui donne sur la vallée et un jacuzzi. Bon, là c’est luxe quand même… Je profite un peu du balcon en admirant la vue sur la vallée de Göreme et le Kale, Çavuşin et surtout les deux montagnes — des volcans en réalité — qui entourent la Cappadoce, le Hasan Dağı (3253 m) à l’ouest et l’Erciyes dağı (3916 m) à l’est, plus connu sous le nom de Mont Argée. Le paysage est d’une blancheur criarde, taché de vert sombre et sur la droite, je peux admirer comme des plateaux n’attendant visiblement qu’un don du ciel. Du côté de la citadelle, les tours de tuf s’élèvent au-dessus de la vallée, percés d’innombrables trous rectangulaires offrant à voir un belle harmonie des formes. Deux minarets s’élèvent et laissent présager de superbes ezan pour les jours à venir…

Voilà mon nid douillet pour ces quelques jours en Cappadoce, que déjà je me dis qu’il va être douloureux de quitter. En attendant, je m’adresse à Bukem pour savoir où je peux louer une voiture. Üçhisar et Göreme sont distants de quatre kilomètres et je me vois mal parcourir la région à pied et surtout remonter la pente qui revient de Göreme. Avant la descente, on peut voir un panneau qui oblige les automobilistes à avoir des pneus neige ou des chaînes pour la période hivernale, ce qui étonne passablement lorsqu’on sort de températures infernales. Bukem me propose un bon plan, pas forcément bon marché, mais elle connaît un loueur qui m’apporte une voiture devant l’hôtel. Je dois avouer que ça m’enlève une épine du pied et que jusqu’à la fin de mon séjour ici, tout le monde cherchera à me faciliter la vie. Je n’ai jamais vu ça ailleurs.

Avec ma petite Renault Symbol (grise cette fois-ci) je file vers Göreme. Elle pue tellement l’essence que j’en serai presque écœuré en revenant à l’hôtel et n’a aucune reprise, un vrai tank. Pour l’instant, mon but, c’est de me rendre à ce qu’on appelle ici le Musée en plein air (Göreme açık hava müzesi) et qui constitue le cœur de la Cappadoce. C’est un ensemble d’églises troglodytes, toutes plus belles les unes que les autres, rassemblées sur un périmètre somme toute assez restreint. Göreme est une petite bourgade qui n’est en fait que la réunion de deux anciens toponymes. L’antique Korama qui a donné son nom actuel à la ville et qui correspond à la partie de la ville encaissée dans les vallées où se trouvent de nombreuses églises rupestres et le bourg d’Avcılar, construit à l’emplacement d’une ancienne nécropole hellénistique. Autant dire que le lieu transpire l’histoire, une histoire dense, épaisse comme les murs d’une église troglodyte…

Je me laisse bercer par la visite du lieu sous un soleil doux, clément par rapport à ce que j’ai vécu jusqu’ici. Je laisse tomber les armes, je ne prends plus de notes dans mon carnet et pour une fois je me laisse porter par les simples émotions et j’évite soigneusement de parler des hordes de Chinois trottinant au pas de courses en préférant nourrir mon syndrome de Jérusalem.

Ces églises, toutes situées dans un périmètre très réduit, sont des petites merveilles, des témoignages splendides de l’occupation du christianisme dans cette région qui est plus grecque que turque à bien des égards. Toutes les peintures de ce “musée” datent des IXè et Xè siècles.

Église Saint-Basile (Basil Kilisesi)

C’est une des églises les moins représentatives, ornée de panneaux votifs très sommaires. On y voit Sainte-Catherine, les cavaliers Saint-Georges et Saint-Théodore.

Église à la pomme (Elmalı Kilisesi)

Cette église est construite sur un plan en croix grecque et se trouve surmontée d’une coupole et quatre pendentifs. Son architecture est certainement la plus élaborée de toutes. On y trouve de nombreuses scènes de la vie du Christ sans cohérence dans la narration, et notamment une très belle Crucifixion, le Christ Pantocrator dans la coupole et une Deisis. Les couleurs dominantes ici sont l’ocre, le rouge d’ocre, un beau gris bleu foncé et un vert. Très bien conservée, les visages qui ornent les peintures ont malheureusement été endommagés pendant la crise iconoclaste à coup de cailloux.

Église Sainte-Barbe (Azize Barbara Kilisesi)

Petite église simple dont le rouge est utilisé en trait, sans décor de fond, directement sur le tuf. La décoration est très particulière car les représentations de personnages ont surtout un vocation votive. On peut y trouver les cavaliers Saint-Georges et Saint-Théodore et Sainte-Barbe, mais aussi des représentations qui sont certainement issues de survivances croyances païennes. Croix, losanges, quadrillage imitant la pierre et surtout la présence d’un coq sont autant d’éléments qui laissent une impression surprenante. Un beau Christ Pantocrator orne l’abside au-dessus d’une colonnade creusée dans la pierre.

Église au serpent (Yilanlı Kilise)

L’architecture en est toute simple et son nom lui vient du terrible dragon terrassé par Saint-Théodore. On peut voir ici l’influence directe de l’orthodoxie byzantine avec la présence de Constantin et sa mère Sainte-Hélène portant la Vraie Croix. La véritable originalité de cette église est la présence d’un ermite égyptien, Saint-Onuphre, un saint un peu oublié de la liturgie classique. Souvent représenté nu, une longue barbe blanche et le sexe caché par des feuilles, on dit qu’il fut une femme aux mœurs légères, ce qui peut expliquer que sur cette représentation on le voit clairement dessiné avec des seins.

Église sombre (Karanlık Kilise)

On la nomme ainsi car elle n’a qu’une seule petite fenêtre qui protégea ses fresques de la lumière. Certainement une des plus belles de toutes, joliment colorée, aux représentations élaborées, elle faisait partie d’un ensemble qu’on peut appeler monastère, avec un réfectoire, une cuisine et des cellules. La scène la plus poignante de cette église est la Trahison de Judas. La palette des couleurs est extrêmement variée et le programme décoratif particulièrement élaboré.

Église aux sandales (Çarıklı Kilise)

Cette église aux dimensions réduites et au programme iconographique assez sommaire se trouve au-dessus d’une réfectoire où pouvaient prendre leur repas environ 25 hommes, où l’on peut voir une Cène occupant une niche. La présence d’un homme nimbé portant la Vraie Croix laisse penser que cette église lui était dédiée.

Église à la boucle (Tokalı Kilise)

Située à l’extérieur du musée, c’est certainement une des plus belles de l’ensemble. C’est une des plus riches églises rupestres du monde, dont le programme iconographique s’étend sur deux périodes. Malheureusement en partie fermée pour restauration, je peux tout de même admirer les peintures des deux églises successives, ainsi que la petite crypte. Ce qui caractérise la beauté des lieux, c’est le fond de ces peintures, fait d’un lapis-lazuli profond. Scènes non linéaires, drapés des tissus, embryons de perspectives, cette église est assurément une chef-d’œuvre tardif, dont la Crucifixion est à mon sens un des plus beaux chapitres.

Je termine ma visite ici, alors qu’il est déjà tard et je flâne quelques instants dans le village de Göreme. Je vis quelque chose d’étrange, d’un peu mystique en tentant de comprendre pourquoi les Cénobites sont venus s’enterrer dans cette région du monde si particulière, où la nature semble prendre l’ascendant sur tout le reste et où finalement les hommes ont forgé cette nature à leur image, creusant les tours de tuf pour en faire leur habitat, dans un dédale qu’on imagine mystérieusement angoissant transposé dans une autre époque.

Je retourne à l’hôtel pour prendre une douche. La poussière semble être le lieu commun de la Cappadoce. Je finis à moitié à poil sur le balcon, m’extasiant sur la lumière d’ocre jaune qui repeint les parois du kale d’Üçhisar, teinte de rouge les flancs de la montagne qui ferme la vallée à l’horizon et que j’apprendrai plus tard être les hauteurs de la ville d’Avanos. D’ici, en fait, je surplombe toute la Cappadoce, je vois aussi Çavuşin (prononcer Tchavouchine) et ses vallées qui se découpent par strates et dont on peut admirer l’érosion naturelle, laissant découvrir tout un tas de nuances de couleurs inconnues jusque là et des rondeurs dont on pensait la nature incapable, elle qui sait se montrer si tranchante, le plateau de Zelve, je n’en suis qu’au début de mes surprises. Je termine ma journée en errant dans les rues escarpées d’Üçhisar (le mot signifie en turc “trois châteaux”, üç = trois, hisar = château), où des petites filles jouent dans les rues, où toutes les tours de tuf qu’on peut voir à l’horizon sont creusées de fenêtres, où les commerçants laissent leur marchandise sur le trottoir sans être inquiétés le moins du monde (on dit en Turquie qu’il vaut mieux ne pas voler, ici plus qu’ailleurs et je n’ai pas vraiment envie de savoir pourquoi), où l’on peut voir la vie ménagère s’ébrouer au cœur du tuf habité, l’horizon déchiré par la pointe des minarets et de ces tours acérées… La petite ville porte encore les traces de son passé qui n’a rien de turc, ou plutôt de l’ancienne vie turque, celle où Grecs et Ottomans vivaient ensemble et s’aimaient, où les Français s’étaient installés pour vivre loin du tumulte d’Istanbul… Les Grecs ont apportés avec eux cette architecture si particulière de maisons basses, à l’intérieur voûté, aux fenêtres en arc non-outrepassé, aux niches étoilées ou en forme de coquille. Quelques maisons subsistent tristement, certaines sont réhabilitées mais la plupart s’écroulent pathétiquement dans les vallées en contrebas, comme si le temps et le délabrement avaient décidé aveuglément de suivre le cours de l’histoire kémaliste…

Sur la place principale de la ville, au pied du kale, une “boutique de Paris” raconte la présence française. Ici journal : Le Figaro, Libération, L’équipe, France Soir, Le Monde… Tout pour se sentir comme chez soi, sauf qu’on est en terre musulmane, ottomane et surtout dans l’Antique Grèce Chrétienne. Vu de Paris, un bout du monde qui parle français…

Au soleil couchant la ville s’endort et le muezzin entonne son chant langoureux qui roule dans la vallée avec un larsen parfaitement insupportable. Dans le soir qui tombe, la quiétude de la petite ville s’installe au bord du trottoir tandis que sous les tonnelles de vigne on fête la rupture du jeune en mangeant du riz gras au sésame et au poulet.

Je retourne à Göreme pour dîner, où je trouve une petite gargote derrière un grand panneau lumineux qui fait mal aux yeux. Le type qui tient ça parle très mal anglais, avec un terrible accent turc, mais il est blond, les cheveux bouclés et a l’air de tout sauf d’un turc. Bienvenue au Sarmaşık café, le café du lierre, allez savoir pourquoi, il n’y en a pas une feuille dans les parages. Il est temps pour moi de me gaver de mantı sans rakı, car ici on ne boit pas d’alcool. Luxe suprême, le patron éteint la musique lorsque le muezzin entonne son dernier ezan de la journée.

Je sens que je vais aimer cette Cappadoce lointaine… et c’est sans compter sur le spectacle qui m’attend lorsque j’ouvrirai les yeux sur la vallée sous le soleil levant…

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Localisation sur Google maps:

  1. Aksaray
  2. Nevşehir
  3. Kale d’Üçhisar
  4. Hôtel Karlık Evi à Üçhisar
  5. Musée en plein air (Göreme açık hava müzesi)
  6. Erciyes dağı
  7. Hasan dağı