Photo : Tagesspiegel
Comment je me suis retrouvée au milieu d’un débat sur l’étude du cerveau au fin fond d’une cave ? Je ne parviens toujours pas à me l’expliquer ! Je m’étais rendue au Erreichbar pour avoir quelques informations sur le lieu (je suis en effet en pleine rédaction d’un ouvrage sur Berlin, je vous en dirai plus très prochainement).
Il s’agit d’un bar associatif qui se trouve dans le dernier « Bezirkhaus » de Berlin. Cet immeuble situé au Reichenbergerstr 63a fut squatté dans les années 80. Afin de réguler la situation des squatters la mairie a loué le bâtiment qu’elle sous loue aux habitants actuels. Cette solution jugée idéale à cette époque est aujourd’hui problématique car certains des occupants de cette Bezirkhaus n’ont pas payé leurs loyers depuis 2001. Face aux dettes qui s’accumulent la mairie veut stopper le contrat établi avec les locataires. Ces derniers seraient alors obligés de s’acquitter d’un loyer « normal », 25% plus élevé que ce qu’ils payent actuellement.
C’est donc pour en savoir plus que je me suis rendue à l’Erreichbar à l’occasion d’un évènement qui y était organisé. Malheureusement je n’avais pas regardé de quoi il s’agissait en détail. J’arrivais un peu en retard mais je n’étais pas la seule. Deux personne me précédaient et s’acharnaient à ouvrir la porte. Après quelques efforts, celle-ci laissa enfin filtrer la lumière rouge qui émanait du bar avant de s’ouvrir en grand. Une trentaine de personnes étaient sagement assises autour d’un intervenant qui enchaînaient les mots compliqués. L’assemblée était relativement jeune, sérieuse et concentrée. Je m’assis sur un bout de canapé à coté d’une jeune femme qui me regarda bizarrement tout en retirant ses chaussures. On me fit passer une photocopie où s’étalait le programme :
Kritik der Hirnforschung
Einleitung
1. Position der Hirnforscher
2. Widersprüche der Hf
a. Stimmen die Resultate der HF , könnten sie sie nicht haben
b. Ihre Erklärung von Gründen für Handlung ist widersprüchlich
3. Argumente der Hirnforscher
a. Mentale Phänome korrelieren mit Gehirnaktivitäten
b. Das Libet-Experiment
c. Weil der Dualisme falsch ist, ist die Position der Hirnforscher nicht richtig
4. Politische Relevanz
a. Affirmation jeglicher gesellschaftlicher Zustände
b. Ursachen psychischer Krankheiten sind im Gehirn
c. Biologismus
d. Manipulation chirurgisch oder chemisch
e. Naturliche Willensunfreiheit als Kitt gegen Widerspruch zw. Freiheitideal und Zwänge
Je vous fais grâce des citations qui remplissaient le reste de la feuille. Vous imaginez mon effroi face à un tel programme. Même si je me débrouille suffisamment en allemand pour suivre une discussion, le thème était au-delà de mes compétences linguistiques.
C’est ainsi que la torture commença. Le monologue de l’intervenant principal était ponctué par les grincements de la porte, quand de nouvelles personnes tentaient d’entrer. Après 5 minutes qui ressemblèrent à un quart d’heure, ce fut au tour du public de participer.
Personne ne pipait mot. De mon coté je me demandais comment j’allais me sortir de cette situation. J’étais coincée contre un mur. Pour m’échapper il me faudrait passer entre le speaker incompréhensible et l’assistance hypnotisée. De toute façon la porte était devenue infranchissable, personne ne parvenait plus à l’ouvrir.
Après un long silence qui ne sembla déranger personne, pas plus le punk qui mangeait une pomme que ma voisine en chaussettes, l’un des organisateur du débat tenta de déverrouiller la situation et encouragea les gens à participer. Ce fut un réel succès. Les uns après les autres ils commentèrent les premiers arguments fournis par l’intervenant principal : la jolie black au crane rasée surmontée d’une casquette de racaille, le garçon qui semblait avoir 12 ans, le blond aux cheveux aussi longs que son visage, la nana aux beaux yeux et crane rasée (elle aussi !), l’intello un peu grassouillet, le métis aux sévères lunettes… On ne les arrêtait plus !
Après une heure et 45 minutes nous n’avions toujours pas atteint le point 2b. J’avais depuis longtemps cessé de tenter de suivre la discussion… je ne comprenais qu’un mot sur trois. Je m’étais plongée dans la contemplation du public qui se battait pour avoir le droit à la parole. L’organisateur attribuait des numéros à ceux qui voulaient parler afin que chacun puisse s’exprimer. Certains avaient quand même déclaré forfait et avaient tenté de s’enfuir, sans succès. Une visite aux toilettes au fond du bar était le seul divertissement possible.
Enfin l’organisateur déclara qu’il était temps de faire une pause, mettant ainsi fin à mon calvaire. Je me promis de revenir au Erreichbar à l’occasion d’un évènement moins intellectuel et partis sans demander mon reste.
Punkt ! comme disaient les participants une fois leur argumentation terminée.