Monsieur Jean Cocteau, si vous le premettez, aujourd’hui nous serions tenté de dire, en vous empruntant une de vos célèbres citations : "Aujourd’hui, je connais un pays étrange où volent les poissons et marchent les pigeons".
Cet été, nous avons connu, à Venise, le phoque, venu en villégiature (voir Pryntyl à Venise), puis le grand désastre d’une lagune recouverte de poissons morts (voir Chronique d’un désastre)… en cet début d’automne, c’est une autre surprise qui nous attendait dans la lagune.
Le 17 octobre, Claudio Barbiero poste depuis sont téléphone portable, cette photo, avec cette question "Fotografati oggi in laguna, (almeno una cinquantina) qualche esperto sà dirmi che pesce è?" (Photo prise aujourd’hui dans la lagune, au moins une cinquantaine, quelqu’un peut me dire de quelle espèce il s’agit?). Il a pris la photo dans le port de Marghera Ouest, où il possède l’ancrage de sa barque, les poissons semblaient se reposer entre les bateaux amarrés.
Presque aussitôt, Alberto Rizzo, Sabrina Guarinoni ou Andrea Cucco pensent à des poissons volants.
Tous ont entre 40 et 50 ans, et jamais aucun n’a eu l’occasion d’en voir de ses propres yeux, encore moins dans la lagune.
Depuis ce jour, de nombreux autres témoins on aperçu ce banc de poissons volants, ce qui fait désormais les manchettes des quotidiens vénitiens.
Il Gazzettino :
La laguna si trasforma, ecco i nuovi inquilini: sono i pesci volanti /Foto-Video
Uno spettacolo «meraviglioso e inquietante insieme» lo definisce l’assessore all’Ambiente Gianfranco Bettin
La Nuova di Venezia :
“Pesci volanti” avvistati in laguna
Il Comune lancia l’allarme, ma i pescatori frenano: «Ci sono sempre stati». Bettin: «Fenomeno grave»
Corriere del Veneto :
In laguna arrivano i pesci volanti
I biologi: «Evento straordinario»
Non era mai successo. Il Museo di Storia naturale di Venezia raccoglie materiale per studiare il caso
La Voce di Venezia :
Dopo la foca ecco i pesci volanti avvistati a Venezia
Bettin: “Spettacolo meraviglioso e inquietante”
Claudio nous parle de poissons "belli ed eleganti, nonché poco paurosi, ti vengono vicino come nulla fosse…" (… beaux et élégants, peu farouches, qui se sont approchés sans crainte) et de rajouter que, du côté des Ficantieri, sur 4 mètres de profondeur, l’eau est claire et pleine de poissons.
Mira Brahe nous a expliqué que, dans les années 80, il existait dans la lagune des pessi anzolo (poissons ange) qui poussaient un cri lorsqu’on les sortaient de l’eau. Alors, ceux qui avaient un cœur les relâchaient.
Pour les pêcheurs, n’est pas un phénomène nouveau, certaines espèces ont toujours été présentes dans les zones, en mer, proches des côtes.
Mauro Bon, biologiste et naturaliste du musée parle d’un "phénomène qui demande à être étudié avec soin".
Marco Favaro, de l’Observatoire de la lagune, spécule: "La présence de poissons dont l’habitat naturel est à de nombreux miles de la côte est un symptôme de la salinisation de la lagune, c’est un événement choquant."
Puis, chacun a tenté de savoir quelle pouvait bien être l’espèce de cette gallinella d’acqua…
En Méditerranée, il existe en fait deux principales espèces qualifiées de poisson volant.
Le Dactylopterus volitans ou Grodin volant, est une sorte de rouget muni de grandes nageoires qui lui permettent de sortir facilement hors de l’eau.
Le grondin volant est un poisson benthique vivant en général entre 1 et 5 m de profondeur et entre 15 et 45 m de profondeur dans la mer Méditerranée. Madère, les Açores et l’océan Atlantique, de l’Angola vers les côtes de l’Europe (parfois aussi loin au Nord de l’Angleterre) dans l’Atlantique Est et du Canada à l’Ouest de l’Argentine. Les jeunes poissons sont également à quelques mètres de profondeur sur les fonds sableux.
Hirundichthys rondeletii ou Hirondelle de mer, vit aussi bien en Mediterranée qu’au large des côtes portugaises…
Moins courants, il existe d’autres poissons volants qui peuvent fréquenter la Méditerranée :
Cheilopogon exsiliens originaire du Golfe du Mexique, aurait été aperçu, déjà, au large des côtes de l’Afrique du nord.
Brama brama ou Grande Castagnole vit habituellement dans l’Atlantique, l’Océan Indien et le sud du Pacifique. Il mesure à l’âge adulte entre quarante centimètres et un mètre.
L’Exocoetus volitans ou Exocet, est, lui, un poisson des mers chaudes, courant sous les tropiques, et appelé usuellement poisson volant parce que ses nageoires pectorales, très développées, lui permettent de sauter hors de l’eau et de planer quelques instants. Il n’a jamais été observé jusqu’à présent près de nos côtes.
Bref, il semble que ce ne soient pas des Poissons Volants (ou Exocet), mais plutôt un banc d’Hirondelles de mer, Hirundichthys rondeletii, qui ait remonté depuis l’Adriatique jusqu’à l’intérieur de la lagune de Venise, en suivant les courants d’eau salée causé par le creusement des canaux pour le passage des monstres des mers.
Gianfranco Bettin, assessore all’Ambiente di Venezia (en charge de l’écologie auprès de la ville de Venise) résume la situation ainsi : Meraviglioso perché, appunto, si tratta di creature meravigliose. Inquietante perché segnala, una volta di più, che alla laguna sta accadendo qualcosa di radicale, che ne sta cambiando la natura, trasformandola tendenzialmente in una sorta di baia di mare. I pesci volanti, di cui abbiamo visto le foto e verificato le osservazioni in laguna, anche da parte del Museo di Storia Naturale, e sui quali pubblicheremo nei prossimi giorni un articolo su EcoReport, il bollettino dell’Osservatorio della Laguna, sono proprio pesci d’alto mare.
C’est merveilleux, car il s’agit de créatures exceptionnelles qui ont toujours fait rêver. Inquiétant, car c’est le signe que nous vivons un changement radical, et que la nature subit une évolution très importante. La présence de poissons volants, vérifiée dans la lagune, en est un des témoins, car c’est une espèce de haute mer.
C’est du côté du Canale dei Petroli que ces observations ont été faites. Une zone de la lagune sud où l’on a constaté, ces dernières années, une augmentation de la salinité de l’eau. Or, le biotope de la lagune est justement caractérisé par ce fragile équilibre de l’eau saumâtre, de moins en moins chargée en sel à mesure que l’on s’enfonce vers la terre ferme. Or, le passage de gros tankers dans ce canal a causé de gros changements, provoquant une forte érosion, des courants importants et une augmentation conséquente de la salinité de l’eau.
En fait, ces Hirondelles de mer sont peut-être venues pour nous dire que, si les vénitiens perdurent dans leurs errements, et conservent les Grandi Navi dans la lagune, celle-ci va rapidement se transformer et perdre sa spécificité, devenant une simple baie, et perdant tous les avantages du lagon. Une baie avec des courants importants et dévastateurs, une eau salée et des mouvements du sous sol qui seraient alors fatal pour l’ensemble des îles et barennes de la lagune… Venise compris.