Voilà notre destination de ce jour : San Giorgio in Alga est une île de la Lagune de Venise située entre la Giudecca et Fusina, d’une superficie légèrement supérieure à 0,15 km².
On la devine depuis le campanile de San Giorgio Magiore, et reste d’une accès relativement (trop, peut-être) facile en barque.
Mais pendant que nous approchons de notre objectif, laissez nous vous en raconter l’histoire…
Francesco Guardi, peintre influencé par Canaletto et ses vues idéales de la ville de la lagune, avait l’habitude de réaliser des dessins préparatoires pour ses toiles. Une grande collection de ceux-ci et de notes est conservée au musée Correr de Venise. Dans cette peinture, Guardi propose une vue du canal de la Giudecca et du quai des Zattere, avec les églises San Biagio et Santa Marta, et au fond, derrière l’île de San Giorgio in Alga, les monts Euganéens. Les couleurs employées et la lumière sont d’excellents exemples de la peinture vénitienne du XVIIIème.
Cette île fut le siège de nombreux monastères : celui des bénédictins créé en l’an 1000 puis celui des Canonici Regolari di San Giorgio in Alga, ordre fondé en 1397 dans lequel se formèrent les futurs papes Eugène IV, Grégoire XII et Laurent Justinien. Ces chanoines séculiers de San Giorgio in Alga s’installent sur l’île en 1404. Ils sont pour la plupart jeunes, charismatiques sans effervescence, ils ont choisi leur vie ensemble, consacrée au renouvellement de la vie pastorale à la ville et sur le continent. Le monastère abrita alors Gabriele Condulmer, qui deviendra le pape Eugenio IV ; Antonio Correr qui sera nommé cardinal ; Ludovico Barbo qui sera le réformateur des bénédictins de Santa Giustina à Padoue, puis évêque de Trevise ; enfin San Lorenzo Giustiniani qui sera évêque de Castello. Devenant ainsi le premier Patriarche de Venise, quand en 1451 le titre patriarcal passera de Grado à Venezia.
Le 11 juillet 1716, un terrible incendie et détruisit l’église, le monastère et la célèbre bibliothèque, qui avait été créée par la cardinal Antonio Corraro, ainsi qu’une grande partie du complexe. Des tableaux de grands maîtres comme Vivarini, Bellini ou Veronese (San Giorgio davanti a Diocieziano) furent la proie des flammes, une Nativita de Giambattista Cima da Conegliano a disparue à ce moment. Seule fut préservée, comme par miracle, la cellule de Saint Lorenzo Giustiniani qui est restée intacte au milieu des cendres.
À partir de l’incendie qui survint en 1716 (certains historiens écrivent 1717) l’île tomba en désuétude. En 1799, elle fut le siège d’une prison politique avant d’être complètement abandonnée.
En 1847, l’île fut transformée en fort par les autrichiens.
Six canons anti-aériens de 102/35.Fabriqué par les établissements militaires de Terni, ils avaient une portée maximale de 11 700 m.
Durant la seconde Guerre mondiale, l’île a servi pour l’installation d’une batterie anti-aérienne. Pendant cette période, l’île a été la cible de violents bombardements. Il reste encore des bunkers en béton de cette période.
Le patriarcat est redevenu en possession de San Giorgio in Alga, achetée pour 1.800.000 livres en 1961, mais, en 1973 il l’a donnée à la ville de Venise.L’île a été la première propriété militaire à redevenir un bien public. Les murs étaient à peu près intacts à cette époque. Sur le coin du Nord-Est pouvait encore voir la statue d’une Vierge du XVIIème siècle. Au-dessus de l’arc en pierre d’Istrie qui donnait accès à la remise à bateaux près du débarcadère, se dressait une croix en marbre polychrome.
Il y avait des vignes et des verger, où les promeneurs pouvaient pique-niquer.
Cinquante ans ont passé depuis que j’ai débarqué pour la première fois à San Giorgio en compagnie de mon père. Je sens encore l’odeur des pêches blanches, des cerises… j’ai encore en mémoire les images d’une île accueillante, sympathique et propre.
Les pêcheurs ont disparus (on péchait autrefois ici de superbes anguilles) et la végétation spontanée semble bien avoir pris le dessus. Nous avions entendu parler de biens volés, de contrebande, d’armes qui pourraient y être cachées. Les personnes « normales » ont cessé d’y aller en excursion et l’ile à été eb proie à la désolation.
De la même manière que nous l’avons déjà constaté sur d’autre îles abandonnées, ce territoire autrefois idyllique est devenu une poubelle à ciel ouvert, victime des vandales de toutes sortes.
Nous accostons, le cœur serré.
Voir, sur ce spectacle lamentable l’article et les photos de Fausto, dans Alloggi Barbaria.
Il existe pourtant un projet qui pourrait sauver l’île : un Centro Culturale Interreligioso.
A l’occasion d’un concours d’architecture, Giancarlo Bertocchini et Maria Gabriella Ruggiero ont imaginé ce projet de restauration et de mise en valeur de l’île de San Giorgio in Alga fait partie de la politique beaucoup plus large de la préservation et le renouvellement de Venise et sa lagune.
L’idée derrière le projet est de construire sur l’île de San Giorgio in Alga un centre inter-culturel et dans le même temps, de rétablir le monastère bénédictin qui se trouvait là depuis le XIème siècle, dont il ne reste aujourd’hui que quelques ruines qui racontent en filigrane le complexe monastique et son passé glorieux dans l’histoire de la ville, tant pour les faits que pour les personnages qui ont marqué les fortunes changeantes de l’île.
L’objectif principal à travers la mise en œuvre du Centre Inter-Culturel, est de créer dans la ville de Venise un lieu de rencontre international dédiée à des initiatives visant à promouvoir le dialogue entre les religions du monde et les cultures de la Méditerranée, qui est non seulement lieu privilégié de méditation et de prière, mais aussi un espace ouvert et utilisable par les citoyens et les visiteurs de la ville lagunaire.