P A pa, P O po... Ou comment apprendre et entretenir le français en pays ISAN ?

Publié le 21 juillet 2012 par Jeffdepangkhan @jeffdepangkhan

Lorsque mon fils, Tangmoo de son petit nom, Jeffrey pour l'état civil aussi bien français que thaï, sortit son premier mot, je cru bien que c'était le mot " papa ", mais était-ce vraiment cela que j'avais entendu ! N'était-ce pas plutôt une bribe de mot lao, langage maternelle ? En fait, je crois bien que l'on entend bien ce que l'on veut bien entendre...

Né en France pour des raisons, dirons-nous administratives, ayant ses premiers balbutiements de sa vie extra utérine en terre française, le contexte et l'environnement étaient donc propices au français! Mais sa mère avait une sacrée longueur d'avance, neuf mois, il était resté en son sein et ses premiers mois sur terre presque constamment en sa compagnie, son père étant plutôt au travail, il parlerait tout d'abord et vraisemblablement lao...Il aurait pu aussi s'imprégner du langage privé que nous avons sa mère et moi, exclusivement compréhensible par nous deux, c'est-à-dire une sorte de mélange étrange de " franco-lao-thaï-ingliss ", et il doit être le seul à comprendre, encore aujourd'hui, cette langue étrange, mis à part bien-sur ses deux parents...

Au début sa mère avait d'ailleurs commencé à lui parler de temps en temps dans cette langue improbable, surtout lorsqu'elle voulait me dire quelque chose par une feinte quelconque tout en s'adressant à son fils...Très vite, puisque dès ses quatre mois nous étions de retour au village pour passer l'hiver avant de revenir une saison supplémentaire en France, nous décidions que nous (nous, ses parents) parlerions à notre cher " louk krueng "(métis, moit-moit en thaï), dans nos langages maternelles respectives, ce qui ne l'empêcherait pas de s'imprégner de notre langage exclusif, car le petiot, ne l'oublions pas, avait (et à toujours d'ailleurs et heureusement) des oreilles et un cerveau pour assimiler ce qu'il entendait...Si l'on prend en compte l'environnement audiovisuel, c'est-à-dire télévision et radio souvent allumer dans le vide dans de nombreuses maisons thaïlandaises, même en ISAN, la langue thaï devrait faire son chemin au sein des neurones du fiston, sans compter que dès ses premiers pas à l'école, on lui apprendrait coûte que coûte la langue nationale et fédératrice du peuple du pays du sourire !

Je ne dirais pas que c'était un concours, mais je m'inquiétais plutôt sur la capacité que j'avais à lui faire parler et comprendre la langue de Molière...Certains me diront : " mais pourquoi lui faire apprendre le français, puisque sa destiné est plutôt de vivre en Thaïlande ? ". C'est simple, d'abord, je suis français et je pense encore malgré tout que c'est une chance et puis le fait de parler une langue supplémentaire, même si cela ne lui servira peut-être pas vraiment, à part le fait de parler avec son père, c'est un atout, pour lui, pour sa culture, juste pour son enrichissement personnel...

L'inquiétude de la propension que j'avais à lui faire parler le français est très vite passée, car naturellement, en même temps qu'il faisait l'apprentissage du lao, il parla français exclusivement avec moi ! Des " éponges ", les mômes, capable très rapidement de commencer une phrase en lao en s'adressant à sa mère pour terminer cette même phrase en français en se tournant vers moi !

Il est vrai que c'était un peu plus compliqué pour moi, étant la seule et unique personne parlant le français à des kilomètres à la ronde...Mais après, de nombreuses visites d'amis, des séjours en France plus ou moins long dont un court séjour dans une maternelle de la république , des coups de fils et des visites de Papy et Mamie, les dessins animés de Walt Disney, TV5monde aussi qui tourne " du coté français " de la maison, le temps que j'ai à lui consacrer (si si , j'ai du temps de libre, hic...), ont fait que tout s'est fait naturellement...Tangmoo est parfaitement bilingue, voire trilingue si l'on y rajoute le thaï, qu'il pratique peu mais qu'il apprend à lire et à écrire désormais depuis plus de deux ans à l'école !

Et l'anglais dans tout ça ? Vous allez me dire, de nombreuses personnes le disent bien, " avant dix ans, les gamins peuvent emmagasiner un maximum ", après c'est plus difficile ! Je le vois bien avec moi-même où le thaï puis le lao a mis du temps, beaucoup de temps à être assimiler, et encore aujourd'hui, c'est loin d'être parfait ! Je le vois aussi avec ma grande fille, élevée jusqu'à l'âge de dix ans en compagnie de son oncle Manot, aujourd'hui le français est pour elle une sorte de terre inconnue, peut-être n'y ai-je pas mis aussi tout ce que j'ai pu partager avec Tangmoo, même l'anglais, si elle le lit et l'écrit correctement, le parler relève plutôt d'un certain exploit, mais je mettrai cela sur le compte de la timidité, comme beaucoup de thaï qui ont du mal à l'exprimer, par la peur de " mal faire ", par la peur de la moquerie, et puis il est vrai que je parle en lao-thaï avec elle, alors, on n'est pas sortis de l'auberge !

Aujourd'hui, Tangmoo est donc parfaitement trilingue, et je pensais attendre qu'il apprenne correctement le phraser thaï avant de lui apprendre à lire et écrire français, je ne voulais pas qu'il mélange tout ! " Non, non ", on m' a dit " tu peux commencer de suite, Tangmoo fera le tri lui même " !

Casse la tienne, j'ai donc commencé, il y a deux mois, à lui apprendre à lire et écrire le français ! Sur les conseils de ma belle-sœur qui est instit' , dont je remercie le beau cadeau qu'elle nous a fait, c'est-à-dire tous les livres de CP que chaque enfant français de métropole se dote, j'ai débuté l'apprentissage...Le plus gros des livres est d'ailleurs celui que les instituteurs doivent assimiler pour leur expliquer la méthode, et je dirais que c'est plutôt moi qui ait eu du mal à remettre le nez dedans, mais comme on dit, avec un petit effort (ce n'est pas toujours facile par ici), cela l'a fait ! Si l'on y rajoute que je ne suis pas l'instit' mais le père, quelques recadrages étaient nécessaires entre le fiston et moi lors des leçons de français !

Et l'anglais dans tout ça, oui venons en tout de même, parce qu'il faut parler l'anglais, le monde tourne en anglais (certains le disent, pas moi!), enfin une partie du monde, mais là-dessus, j'ai ma petite idée...Il apprend quelques balbutiements de la langue de Shakespeare à l'école de Pangkhan, il arrive souvent avec des phrases toutes faites qu'il a entendu je ne sais où, il n'a pas l'accent, puisque lorsqu'il émet le désir de manger " un bifteck "comme dirait ma mère, il me dit : " Papa, je voudrais un steak " et non avec l'accent thaï : " Papa je voudrais un SETEAK "...Et puis lorsque le français sera lu et écrit, tous les dessins animés, qu'il connaît d'ailleurs par cœur à force de les voir et les revoir, on les passera en mode "English avec sous-titrage anglais ou français "... Et je remettrai mon tablier de " teacher " !

Alors dans quatre ans, il parlera quatre langues, je ne sais pas si cela lui servira, il en fera bien ce qu'il veut, des fois que l'école française devienne un jour abordable pour les petits français non sponsorisés par de grosses multinationales, il ira peut-être au lycée français de Bangkok qui sait (il ira sans moi, " ça va pas, aller s'empêtrer à Krung Thep ! ") ; peut-être une école anglo-saxonne, du coté de Roi-Et, gérer par des sœurs ou des frères de je ne sais qu'elle obédience " calotinière ", cela m'étonnerait, du moins de mon vivant ; l'école privée de Sélaphum ? Où là, on y va pour y être (enfin les parents montrent que leurs enfants y vont !), dans cette école, on leur apprend le chinois (mandarin?), parce que par ici, on le dit, le monde tournera bientôt en chinois...

Enfin, tout cela lui servira au moins pour sa culture générale, en attendant, il va à la petite école de Pangkhan, nullement parfaite, mais entouré de ses potes du village, d'instits' au petit soin ! Il n'est pas le premier métis, ne sera pas le dernier, dont l'apprentissage du multilinguisme et une jeunesse baignée de plusieurs cultures est de toute façon, une chance, que je n'ai pas eu et qu'il m'a fallu développer par les voyages et la rencontre de l'autre !

Je vous dirais pour conclure, comme d'habitude, lorsque l'on se quitte et Tangmoo pourrait vous le dire aussi comme suit :

Paille Kheundheu, au-revoir, bye bye, ลากอนนะ (·la_kõn¯na)

Ps : Ce récit n'est bien-sur en rien objectif et ma façon de faire n'est en rien exclusive, d'autres méthodes existent et sont sûrement toutes aussi valables ! D'ailleurs, pour ceux qui seraient confrontés ou auraient été confrontés à cette situation, vous pouvez la partager, en laissant un message dans le lien " commentaires "...Merci !

Ps2: Pensez-vous qu'il soit légitime ou incongru qu'un enfant français vivant hors de métropole bénéficie des mêmes droits que ses petits compatriotes vivant dans l'hexagone ? C'est-à-dire, avoir le droit entre autre à la prime de rentrée scolaire, pour remédier en partie aux coups exorbitants de la scolarisation dans une école française de l'étranger ( dans ce cas là, la prime n'y ferait pas grand chose, vu les tarifs pratiqués-plus de 4000 euros par an dès le CP- seuls les enfants d'expatriés travaillant pour de grosses multinationales ou d'enfants de diplomates y ont accès) mais simplement pour soutenir les frais de scolarité élevés dans des établissements où l'instruction est de qualité (en ce qui concerne Tangmoo, ce sera sûrement pour son entrée au collège)...Un petit français expatrié ne vaut-il pas un petit français de France ?