"Water World" à Sélaphum !

Publié le 09 juin 2012 par Jeffdepangkhan @jeffdepangkhan

Water World à Sélaphum ! Le farang-ISAN a du péter un câble ou bien la douceur des paysages, le climat surchauffé et peut-être les breuvages illicites des contrées du nord-est l'ont emmenés vers de dures dérives hallucinatoires, pensez-vous ?

Certains seraient en mesure de le penser, surtout ceux qui connaissent tant soit peu le quartier ! Donc si Ban Pangkhan est le trou du cul du monde, comme j'aime si souvent à le dire, eh bien, Sélaphum en est son chef lieu et ce n'est pas peu dire, alors comment se fait-il que l'on peut se rendre désormais à Water World ?

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Il est pourtant bien là, « tanqué » depuis peu sur les bord de la nationale 23, traversant Sélaphum et permettant de rejoindre Ubon Ratchathani à Bangkok via Ban Phaï! Une coïncidence d'ailleurs me vient à l'esprit : La nationale qui rejoignait cette ville tranquille de Nantes, où je passais toute mon enfance et surtout mon adolescence, donc cette route reliant Nantes à la cité tumultueuse parisienne était aussi la nationale 23 et l'est toujours, si je ne m'abuse, comme quoi... Les coïncidences !

Enfin je recommence à m'égarer, revenons en à notre histoire ! Pour expliquer Water World, il faut revenir quelques années en arrière, une quinzaine d'années plus exactement !

Lorsque j'arrivais sur les rives de la Mea Nam Chi, à Sélaphum, en compagnie de « Ma Dame », je rencontrais dès les premières minutes de mon débarquement, un certain Manot, qui me disait alors dans un français impeccable « Bonjour, ça va bien ! ». Mon étonnement passé, le beau-frère de ma future femme, Oy, qui était loin d'être un beauf', avait travaillé plus de dix ans en terre de France dans la filière, allez je vous le donne en mille, la filière textile ! Il n'avait pas travaillé pour les juifs du sentier, non pas du tout, mais pour de riches laotiens qui avaient bénéficié lors de leur fuite du pays des mille éléphants devant les communistes du Patet Lao, de la double nationalité franco-laotienne pour permettre leur intégration plus rapide au pays de Voltaire. Ils avaient alors tout de suite mis en place une filière de travailleurs clandestins venant d'ISAN pour pourvoir à leur enrichissement et à leur intégration(?) dans l'hexagone ! Manot fut donc une de ces petites mains qui travailla plus de dix ans en France avant de se faire expulser manu militari lors d'un contrôle de papier inopiné, un dimanche matin, à la sortie d'une boulangerie lyonnaise (il avait entre temps déplacer sa force de travail dans la cité des traboules) ! Sa femme et son fils vivant et travaillant aussi avec lui, débarquèrent via la Thaï Airways, à Bangkok, dès le mardi suivant ! Fin de chantier, tout ce qu'ils avaient en France resta en France, même des arriérés de salaires que leur patron franco-laotien « oublia » de leur renvoyer ! Donc, lorsque ce cher Manot partit « en éclaireur » en France, à la fin des années 80, il partit en compagnie d'un autre citoyen de Sélaphum, issu d'une des familles les plus riches du bled, une famille sino-thaï, car l'émigration était loin d'être gratuite, faut-il le rappeler (elle ne l'est d'ailleurs toujours pas aujourd'hui), nos mystérieux laotiens ne leur promettant alors que du travail en France afin de permettre à nos chers clandestins le remboursement du passage de Sélaphum vers Paris, une somme astronomique mais qui à entendre mon beauf', valait le coût d'être investi, vu l'argent qu'il se ferait par la suite et qu'il s'était réellement fait ! En effet, Manot, lorsque je le rencontrais, vivait dans une certaine opulence, mais son compagnon de galère, qu'il me présenta très rapidement, avait eu la chance de pouvoir continuer à travailler à Paris quelques années de plus et même de le faire officiellement puisqu'il obtint une carte de séjour ! Lorsque je rencontrais ce personnage, il venait de revenir de France, avait passé ses dernières années à travailler pour un sous-traitant de Yves Saint-Laurent, mais il n'avait pas décidé d'en rester là, comme Manot qui lui était plus « cigale » que « fourmi » . Le gêne « je f'rais bien un business dans le coin», ne m'avait pas encore abandonné, et cet ami nous proposa son atelier de confection pour une hypothétique fabrication de chemises en soie pour inonder le marché français ! L'affaire ne se fit pas, bien-sur, mais l'atelier « Chic Paris » existait bien, avec sa douzaine de machines à coudre, dédié à la confection de toutes sortes d'habits sur mesure ! Quelques années plus tard, l'atelier fut bien trop petit, croulant sous les commandes, il émigra du petit magasin étriqué juste derrière la « police Station »(celui que je connaissais) vers la sortie de Sélaphum, direction Yasothon, sur le bord de la nationale 23 ! Entre temps, cette route était passée d'une vulgaire deux voies où si l'on voulait doubler une moto, il fallait attendre que les véhicules d'en face se fassent inexistants, route qui est encore aujourd'hui une version « traversée de Sélaphum », avec sa deux fois quatre voies !

Pendant quelques années, sur l'équivalent d'une dizaine de petit magasin tel qu'il l'était à l'origine de Chic Paris, une centaine de petites mains cousaient et cousaient huit heures par jour, six jours sur sept pour à peine 70 euros par mois ! Chic Paris ouvrit des magasins dans tout l'ISAN, des camions au couleurs de la marque sillonnaient les route du nord-est du pays ! Ce fut alors un gros coup de pouce ( arrangé ou non, je ne le sais pas) qui fit que les ateliers devinrent très rapidement trop étroits ! En effet Chic Paris avaient gagné (?) un énorme marché, la fabrication des uniformes pour les profs et personnels de l'administration locale et sub-locale ! Bingo, car pour ceux qui ont déjà trimbalés leurs guêtres du coté du pays du sourire,ils auront sûrement remarqué que l'uniforme, c'est quelque chose ! A chaque jour de la semaine, un uniforme pour les profs et les élèves, à chaque jour sa couleur et je ne parle pas des uniformes pour les jours de parade spéciale ! Alors, inexorablement, Chic Paris (prononcez Chic Parisse) a du une nouvelle fois déménagé, loin, sur la route de Yasohon, et depuis un mois l'usine a donc augmenté son pouvoir de production ! Désormais, plus de 300 ouvriers se démènent dans un grand atelier pour un peu plus de 100 euros par mois, mais toujours dans les mêmes conditions de travail décrites précédemment ! Une chose a changé tout de même, l'usine jouxte un parc aquatique ! Certains diront, quelle bonne idée, d'autres diront, si ce n'est pas malheureux, les fenêtres de l'atelier donnent sur un parc de loisir dont les ouvriers n'auront que très rarement l'occasion d'en faire profiter leurs enfants. C'est étrange d'ailleurs de se retrouver allonger sur des transats, regarder la marmaille se fendre la poire, les parents s'abreuver de bières, se rassasier de Somtam, mais aussi de Steak (eh ! ils ont tout prévu) de frites, de café expresso et j'en passe lorsque juste à coté, ça trime dur ! L'ambiance du parc est vraiment sympa, même si les voitures garées devant l’établissement montre le niveau de vie des familles venant profiter du lieu, on pourrait avoir peur de cette ambiance "m'as tu vu" et "je te toise", mais l'atmosphère reste tout de même très ISAN ; c'est bordélique, ça crie, ça plonge, ça rit et des fenêtres masquées d'une énorme bannière, les petites mains ne se gênent pas, de temps en temps, de passer par dessus le rebord des fenêtres pour venir manger et acheter quelques saloperies misent à la disposition des clients « Fortuner Toyota »! (on peut dire que la firme Toyota a trouvé le bon nom pour son 4x4 SUV). Dans ce brouhaha, certains enfants des ouvriers, ils sont cambodgiens pour la plupart, qui n'ont pas fini de fignoler les abords du complexe aquatique, viennent se baigner en compagnie de leur maman ou leur tata, sans que maîtres nageurs ou responsables du parc n'y fassent opposition ! Le patron est même venu manger en même temps que tous ces employés, lors de la pause déjeuner ! Bon, il n'a pas partagé sa table avec eux mais s'est assis dans le coin qui leur est réservé ! Et puis la musique, je ne me posais pas la question, à savoir, pourquoi la mettaient-ils si forte ? C'est tellement habituel en ISAN, la musique à fond, mais lorsqu'un changement de CD a du s'opérer, le bruit des machines à coudre (et je peux le dire, c'est extrêmement bruyant, sans compter les bavardages des ouvriers qui sont forcément très haut en décibel, eh faut bien se comprendre!) faisaient tâche dans le décor de ce Water World !


Pour conclure, on peut le dire, c'est une belle réussite personnelle, cet homme est tout de même passé d'un coffre de bagnole pour rejoindre Paris en partant d'Amsterdam dans les années 80 en compagnie de Manot, pour être désormais à la tête d'une très belle entreprise. Quoique l'on puisse en dire, concernant les conditions de travail, les ouvriers sont plutôt contents de pouvoir travailler, dans des conditions certes difficiles, c'est réel, mais sans que ce soit plus difficile qu'à Bangkok, ils sont plutôt contents car le « grand plus », ils me l'ont dit, ils ne sont pas obligés de se rendre et vivre dans la capitale, ils peuvent rester en ISAN pour un salaire quasi équivalent . Pour le reste, je pense que l'usine durera sûrement plus longtemps que les bassins et infrastructures du parc, à peine deux mois de service et tout ce qu'est ferraille des toboggans et autres jeux aquatiques sont totalement rouillées et le système d'eau fuit d'un peu partout ! mais comme on le dit ici :"Bo pégniang" !



Alors profitons-en et surtout que l'ambiance ne change pas ! Vous pourrez voir que la modernité fait donc son chemin à la mode ISAN, une sorte de sauce "Chic Paris Sélaphum City", vous verrez alors ce qu'est un parc-usine, un parc de loisir pas tout à fait comme les autres, enfin vous verrez, vous verrez, si vous passez par là, bien-sur !

Paille Kheundheu !

« Et si on parlait, bouquins !
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