Êtes-vous fidèle à votre parfum ? Je le suis. Depuis 1984, le parfum oriental "Coco" fait partie de moi, sans jamais être lassée de ses senteurs. Puisque le moment présent est destiné à la rêverie, je vous fais donc partager cet article que j'avais lu il y a un an...
carton d'invitation dessiné par Karl Lagerfeld pour le défilé croisière 2010
Le goût de Gabrielle Chanel pour le baroque, Jacques Polge** le découvre au début des années 1980, au hasard d'une réunion de travail organisée dans les appartements de la rue Cambon, restés en l'état depuis la disparition de la créatrice, en 1971. "J'avais été frappé par la richesse de ce décor: les paravents de Coromandel, les miroirs vénitiens, les consoles illustrant les saisons." Son intuition se confirme lorsqu'il tombe, quelques années plus tard, sur des photos de Coco Chanel posant sur une gondole en marinière et casquette d'homme. Mademoiselle avait donc été l'hôte de la cité des Doges. Cette histoire méconnue mais palpitante fut même celle d'une renaissance et d'une révélation pour l'art byzantin, qui marqueront à jamais la vie et l'esthétique de la couturière. Moteur.
Faut-il voir des signes partout, comme le faisait Gabrielle Chanel? Difficile pourtant de ne pas placer sa rencontre avec Venise sous celui du Lion. En effet, l'emblème de la ville, que l'on retrouve aussi bien sur la place Saint-Marc qu'à l'entrée de l'Arsenal, est également le signe astrologique de Mademoiselle. Mais, en 1920, le hasard a bien un nom. Ou plutôt deux: Misia et José Maria Sert. Elle, la muse excentrique des artistes de l'époque (Vuillard, Bonnard, Picasso et Stravinsky sont fous d'elle), lui, le peintre catalan, barbu et érudit, embarquent à Venise une Chanel inconsolable depuis la disparition tragique de son grand amour, Boy Capel.
Le monde brillant et excentrique de l'aristocratie cosmopolite
Ce voyage sera pour elle celui de la deuxième chance. "Durant leur séjour, les Sert vont introduire leur amie dans le monde brillant et excentrique de l'aristocratie cosmopolite auquel elle rêve d'appartenir", raconte-t-on dans la maison de la rue Cambon. Parmi ses figures les plus chatoyantes: la marquise Casati, Charles de Beistegui, qui donnera dans son palais Labia, en 1951, le Bal du siècle, ou encore Serge de Diaghilev, l'ami de Misia devenu le sien. A l'époque, l'hôtel des Bains et la plage du Lido sont le lieu de villégiature privilégié de cette Café Society, qui se retrouve au Florian, transformé en plus grand salon d'Europe. La légende veut que Chanel ait inventé les chaussures en semelles de liège pour se protéger du sable brûlant du Lido.
Si Misia fait son éducation mondaine, José Maria Sert l'initie à l'art, l'entraînant dans les églises et les musées pour lui faire découvrir les toiles de Carpaccio, de Véronèse, du Tintoret. Dans la basilique Saint-Marc, c'est le choc esthétique devant les mosaïques dorées et la Pala d'oro, ce retable byzantin en or enchâssé de pierres précieuses multicolores qui inspireront toute sa bijouterie fantaisie, dont les célèbres manchettes ornées d'une croix de Malte créées en 1937 par Fulco di Verdura. Fenêtre sur l'Orient, Venise donne à Chanel le goût des couleurs opulentes qui tranchent avec la rigueur épurée du noir et blanc. Le doré, donc, qui habille ses robes du soir en lamé comme les murs de son appartement de la rue Cambon, le rouge Titien aussi, signature de son premier fard à lèvres en 1924 et de l'intérieur de son sac 2.55. Mais aussi les riches brocarts chers à la Renaissance italienne. Jusqu'aux années 1930, Chanel se rendra ainsi au moins une fois par an à Venise, résidant le plus souvent à bord du Flying Cloud, le yacht de son nouvel amant, le duc de Westminster.
"Venise, c'est la ville de toutes les démesures"
Baroque, excentrique, cet aspect de la personnalité de Mademoiselle rentrera peu à peu dans les codes de la maison. "Quand j'ai créé Coco, en 1984, Karl Lagerfeld venait d'arriver dans la maison et sa mode commençait à explorer la dimension plus nocturne, opulente de Chanel. Ce qui n'était pas le cas des parfums. A l'époque, les fragrances orientales de la maison créées dans les années 1920 comme Cuir de Russie ou Bois des îles n'étaient plus commercialisées", se souvient Jacques Polge. Depuis, les choses ont bien changé et l'Orient inspire les différents univers créatifs de la maison. "Venise, c'est la ville de toutes les démesures", confiait ainsi Karl Lagerfeld à L'Express Styles en 2009, à propos de sa collection croisière. Un défilé organisé sur la plage du Lido où se croisaient les fantômes de la marquise Casati en mousselines de clair-obscur caravagesques. Cette année, de la collection des métiers d'art à la haute joaillerie avec ses colliers mosaïques en émeraude et rubis, en passant par les fards dorés et cloisonnés comme un trésor mérovingien, Chanel célèbre son élégance parisiano-byzantine. Mais ne nous y trompons pas, sous les ors de Venise veille l'esprit moderniste de l'inventrice de la petite robe noire.*
* source l'Express Styles : Chanel la Vénitienne par Charlotte Brunel (30.03.2011)
**Jacques Polge, nez de la maison Chanel