Dakha, Bangladesh! (nov 91, deuxième partie)

Publié le 08 octobre 2011 par Jeffdepangkhan @jeffdepangkhan

   Entre l’aéroport et le centre-ville nous avons commencé à traverser des marécages en pagaille où un nombres incalculables de baraquements (enfin des taudis ) flottaient tant bien que mal . Beaucoup de monde se déplaçait sur de petites barques, certains pêchaient , pour moi d'autres avançaient vers des destinations aléatoires , mais pour eux ; il semblait savoir où aller ! Le long de la route où il n'y avait quasiment pas de voitures , il y avait un nombre insoupçonnable de piétons , un défilé continu d’êtres humains qui marchent et qui marchent encore ! Il y avait bien quelques bicyclettes mais très peu , ce n’était que des gens qui avançaient à pied dans tous les sens , prêts à plier sous d’énormes bardas...Si j'avais été un géant ou Dieu( ça va non!) , j'aurais cru voir des fourmis . Plus nous avancions , plus le flot[...]

   de marcheurs devenait gigantesque ( c'est fou comme cela peut marquer une foule qui marche vers on ne sait où?) . Sur le bord de la route, les maisons de bric et de broc commençaient aussi à s’amonceler . Petit à petit , tous nous regardaient et semblaient se passer le mot : « des Sahibs , des faranguis » , certains commençaient à courir pour tenter d’agripper les grilles des fenêtres d'un des deux bus qui formaient ce maigre convois. Sur la plateforme d’entrée du TATAbus , un policier , grand , costaud et moustachu(il s’avéra que la caractéristique de l'homme dans cette partie du monde était incontestablement de posséder de grosses moustaches noires), il était aussi équipé d'un long bambou d'un mètre environ et balayait l’entrée avec celui-ci pour dissuader certains de grimper dans les bus. Si par hasard, certains arrivaient à s'accrocher aux grilles , ils n'avaient pas le temps de tendre la main pour vous demander de l'argent car après avoir fait ce mouvement emblématique du mendiant, c'est-à-dire avec leur bras déplié et les bouts de doigts agglutinés les uns aux autres , faire ce mouvement de l'estomac vers la bouche , le grand flic moustachu affublé de Rayban( en Asie, le flic , enfin le fonctionnaire qui travaille en extérieur porte des lunettes foncés de préférence de marque ou copie(surtout copie)Rayban)avançait dans l’allée centrale et leur écrabouillait la main avec laquelle ils étaient accrochés aux grilles des fenêtres , alors en équilibre précaire sur le flan du bus, leurs doigts frêles lâchaient prise et ils tombaient sur le bas-coté ! Certains d'entre nous commencèrent à protester (dont moi) de tant de violence mais le petit gros à moustache de la compagnie qui nous avait accompagné nous expliqua que si le grand costaud moustachu en uniforme couleur moutarde délavé ne fracassait pas les doigts de ses concitoyens , notre bus ressemblerait vite à un essaim d'abeille ambulant. Devant tant de persuasion(en fait , on n'a pas beaucoup protesté , je crois , il faut dire la vérité)on se tut, subissant ce spectacle pitoyable , mais qu'est- ce que pouvait être notre mal être par rapport à ce que pouvaient vivre ces moribonds. On aurait dit qu'ils avaient fait exprès de mettre l’hôtel à l'autre bout de la ville pour que l'on puisse la traverser et que les autorités puissent montrer à la population que des touristes venaient aussi dans leur pays(ils ne savait pas que nous étions contraints et forcés)...Enfin nous avancions et les habitations se firent un peu plus en béton mais elles étaient toujours submergées de cabanes en tôle qui semblaient alors soutenir ces édifices. On avait tendance à penser que si on enlevait ces amas de tôles collés à ces bâtiments sales et cramoisis , qu'ils s’écrouleraient, c’était presque certain ! Plus nous avancions , plus le flot de marcheur devint un tsunami de gens déambulant en sarong à carreaux et débardeurs Marcel , tous pieds nus mais toujours avec moustaches ! Les femmes étaient plus gracieuses avec leur sari ou leur Kurta, leur démarche était chaloupée car elles portaient pour beaucoup leur fardeau sur la tête , leurs bras servant à porter un gamin morveux en guenille mais malgré tout , cela rendait leur démarche altière. Je regardais ces « pedibus-jambus » qui nous observaient , nous occidentaux, assis là , dans notre bus , qui partiraient bientôt au Népal pour marcher dans la montagne ou participer au marathon de l'Himalaya( la moitié des passagers de l'avion était là pour cet événement). On payait des mille et des cent pour avoir le droit de marcher et autour de nous , tous ces gens qui marchaient sans arrêt pour essayer de gratter un maigre revenu journalier...Malgré ces pensées , nous avancions encore et toujours et je remarquais à coté des marcheurs , des rickshaws et encore des rickshaws, multicolores , ornés de fleurs en plastique et arabesques . Cela semblait être le moyen de transport principal de cette capitale, pas de voitures , enfin très peu , pas de bus , pas de taxi, des piétons et des pousse-pousses , des trois roues dont de grands gaillards d'une maigreur effrayantes tentaient de faire avancer . Les gens qui y étaient installés étaient pour la plupart de grosses femmes avec enfants ou des hommes bien gros aussi( on me dit plus tard que lorsque l'on était riche sous ces latitudes , il était de bon ton d’être gros). Ces hommes, d'affaire surement, avait la particularité d’être entourer de marchandises en pagailles qui débordaient des banquettes de ces triporteurs. Des bêtes de somme , ils étaient ces gars à la peau sèche et ne recouvrant que leurs os ! Nous atteignîmes alors l’hôtel qui était le seul building avec celui qui se trouvait juste en face et appartenant à la compagnie aérienne Biman, qui avaient l'allure de bâtiments digne d'une capitale. Ils semblaient récents , étaient les seuls de plus ou moins 15 étages. Deux perles , ils ressemblaient à des joyaux entourés d'édifices noires de moisissures et de crasse semblant sortir d'une mousson perpétuelle. Personne ne les nettoyait au fil des saisons des pluies. Je pense(j'en suis sur)qu'ils avaient d'autres priorités , on ne pouvait les blâmer. On nous apprit que le Bangladesh avait subit au printemps dernier un raz de marée( un de plus ) qui avait fait plus de un million de morts et depuis les survivants déferlaient sur la capitale, son lot de réfugiés arrivant des terres inondées bordant le golfe du Bengale . La misère débordait de partout et si nous aurions payés pour être voyeurs ( nous l’étions malgré nous) , nous en aurions eu pour notre fric ! Le futur démontrerait que pour ces populations , rien n'irait en s'arrangeant, au fur et à mesure des raz de marée et des inondations , ce peuple aurait la tête sous l'eau inexorablement ou devrait partir ailleurs. De futurs migrants en puissance...Nous nous approchions de Mother India mais en attendant , on nous avait installé dans un hôtel qui sentait le moisi(décidément) mais qui était à la norme d'une compagnie internationale d'aviation. Après nous avoir montré nos chambres, on nous proposa de manger(encore) : « le tea time »...Manifestement , nous , les refoulés de l'avion pour le Népal, étions les seuls clients de l’hôtel. Après le gouter , rassasiés( sans honte, peut-être je ne me souviens pas) on voulut aller faire un tour en ville mais le petit gros à moustache et aux Raybans(décidément il était toujours là à nous surveiller)nous dit que « ce n'était pas POSSIIBLE, no visa, no passport ». Il nous expliqua qu'il n' y avait pas de sécurité pour nous escorter(là , on a pensé qu'il exagérait , on n' était tout de même pas à Beyrouth ,(c’était le dernier conflit armé de l’époque). Quelques tergiversations plus tard , il nous dit que nous pouvions y aller car en fait seulement nous et une autre dizaine de Faranguis semblaient vouloir visiter la capitale. Un grand costaud à moustache en uniforme moutarde délavé , équipé d'un long bambou nous accompagnerait (encore,ils y tenaient). A la réception , on nous changea des dollars en Taka(la monnaie locale) , notre groupe , on était neuf , partit d'un coté et les autres d'un autre coté(on voulait larguer le Moustachu en uni...) alors il eut beau nous expliquer que nous ne pouvions pas faire ça , nous l'avons tout de même fait! On a vite remarqué qu'avec notre argent nous ne pourrions rien acheter,car il n'y avait désespérément rien à acheter(à la différence de l'Inde où nous irions plus tard que nous découvririons regorgeant de nourritures et de marchandises) . Finalement , nous optâmes pour un tour de rickshaw ! Ce fut vite fait car il n'y avait rien à voir , à part une mosquée dont je me souviens qu'elle était quelconque , un marché de fringues où ils vendaient des sarongs à carreaux de teintes bleus ou mauves et pour le reste à part tourner en rond comme dans un manège au milieu d'une ville où les gens ne faisaient que marcher ou attendre sur le trottoir que le temps passe , il n'y avait rien ! Nos rickshaw wala(on appelle ainsi le conducteur de pousse-pousse) nous délestèrent de nos Tqka ( ils auraient préféré des dollars mais les billets verts étaient restés à l’hôtel) et sans qu'on leur dise quoi que soit , ils ne nous ramenèrent pas à notre point de départ, qui était loin de l’hôtel, mais directement à celui-ci ! Dakha était comme un village , l'annonce d'une arrivée de touristes au seul hôtel international de la ville avait du faire son chemin !(Nous saurions plus tard qu'il en était ainsi tous les jours). En arrivant nous vîmes aussi une énorme foule qui commençait à s’amonceler devant les grilles. Les « joueurs de bambous » s'en donnèrent à cœur joie pour nous laisser rentrer de nouveau dans notre confortable cocon à l'occidentale , ilot de richesse coincé au milieu de cette misère! On regrettera d’être sortie et d'avoir créer cette émeute qui finit par une bastonnade généralisée ! Ils n'avaient rien à perdre et quelques coups de bâtons n'étaient rien par rapport à leur vie ! Nous sommes donc revenus dans nos chambres et on nous demanda de descendre manger(toujours manger,c'est en fait pour faire passer le temps mais cela commençait à devenir indécent ! ) . L'organisation de la cuisine pour nourrir tout le monde laissa à désirer , nous n'avions pas faim de toute façon . Pour expliquer ce tâtonnement des cuisines , je mettais ça sur le compte que l’hôtel n'avait pas l'habitude de recevoir des délégations si importantes d'un seul coup. On se coucha rapidement car le lendemain on devait partir tôt. Nos consciences d'occidentaux non aguerris à cette misère(je ne pense pas que l'on puisse s'y habituer d'ailleurs) firent que l'on dormit très mal ! L'avion, on nous l'avait promis, partirait vers neuf heures. Après un petit déjeuner (… no comment...) on chargea nos « bagages à cinquante pour cent inutiles » et les « manipulateurs de matraques en bambous » firent une chorégraphie de plus pour dégager la masse de pauvres bougresses(car c’était des femmes qui étaient en majorité ce matin là , désormais, accompagnées d'enfants bien-sur ; elles se mettaient le doigt dans l’œil en pensant que les moustachus en uniforme vert moutarde ne les taperaient pas) ; Elles voulaient un petit peu d'argent,ou quelque chose à manger. Me restant quelques Tqka , je les donnais , enfin les jetais et un policier me regarda d'un sale œil, l’émeute grondait. En fait les femmes présentes étaient majoritairement des lépreuses, et très nombreuses marquées au visage de la petite vérole , cela m'avait marqué ! Cela n’empêcha pas la police de bastonner sec. Je regrettais tout de suite d'avoir donné l'espoir que je pouvais distribuer de l'argent à tous, j'avais fait la monnaie au comptoir(je n’étais pas le seul à avoir eu cette « brillante » idée)mais malgré tout cela s’avéra insuffisant. Enfin les bus purent sortir et nous nous regardions tous avec ce sentiments de colère, mélangé à de la honte ainsi que de la peur ; « pour faire court on s’était tapé les boules , mais grave ! » En plus , des petits malins connaissant le trajet du bus vers l’aéroport nous attendaient plus loin et prirent d’assaut notre bus, le premier des bus ayant réussit à accélérer pour s’extirper de cette masse de gens en guenilles. Putain ce qu'on était mal , le cul dans ce bus que nous pensions pourri, même si j’étais mince à l’époque mais je me sentais gras et redondant de l’intérieur...Le flic de bord eu beaucoup de mal à extirper toutes ces mains accrochées au bus, le chauffeur ne put s’arrêter pour l'aider, cela aurait été pire , d'autres gens auraient pu alors y grimper plus aisément...Et puis nous les faranguis, nous étions tétanisés ! Le dernier des mendiants fut trainé par les pieds le long du couloir de bus et éjecter sans ménagement. Plus personne parlait et n'osait se regarder. J'osais un regard vers l’arrière et fut soulager lorsque je vis que celui qui venait de « tomber » du bus à pleine vitesse se relevait(heureusement les bus TATA ne vont pas vite et avec les piétons , vaches , cochons , vélos , rickshaw, tous ces obstacles empêchent les excès de vitesse). Enfin je fus donc rassuré, notre cascadeur malgré lui s’était relevé et repartait en gueulant après le monde entier. Je pensais pour soulager ma conscience qu'il devait avoir l'habitude de ça , enfin il faut être con pour penser comme cela. C'est-à-dire penser que l'on peut s'habituer à ça ! Stupide! Après de nombreux voyages en Inde , je verrais hélas que j'avais raison ! On ne s'habitue pas ,ni d’être pauvre, ni d’être voyeur !

Lorsque nous sommes arrivés à l’aéroport, les bus allèrent directement sous les ailes de l'avions et on nous invita à déposer nos bagages à même le sol ! On nous rendit nos passeport et nous montâmes dans l'avion,ouf,on allait pouvoir partir au Népal et à entendre d'autres passagers « baroudeurs » de l'Asie ,là bas c’était cool ! Mais Dakha existait aussi et nous y avions vu ce que les occidentaux ne veulent pas voir de l'Asie ou seulement s'ils sont des voyeurs ou des bons samaritains, enfin cela existe et on ne doit pas l'ignorer de toute manière ! On resta près de deux heures dans l'avion ,il faisait chaud dans la carlingue et le petit gros à moustache au Rayban(il était de retour) nous dit que nous attendions une correspondance ! Eh oui , notre avion n’était pas plein! L'autre avion arriva et se plaça à cote de nous...Il arrivait apparemment d'Europe et déposa son lot de trekkeurs et de participants au marathon de l'Everest et nous , nous savions... Ils ne monteraient pas tous dans l'avion. Une partie , les plus « intransigeants » ceux qui n'ont jamais le temps, ceux qui veulent être toujours les premiers nous rejoindraient dans l'avion, les autres, plus discrets , iraient dans le centre ville de la capitale du Bangladesh pour offrir au seul hôtel international de l’époque , ses clients du jour , contraints et forcés dont certains démunis de passeport voudraient aller coute que coute se promener dans les rues sales et grouillantes de misère de cette ville où depuis lors je n'y ai plus jamais remis les pieds! L'avion décolla et trois heures plus tard nous survolions la capitale du Népal, Katmandou !

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