C'est marrant, les absents, ceux qui par lâcheté ne viennent pas. J'essaie d'en analyser la raison. A part la lâcheté, je ne vois pas. La peur de ne pas assumer, peut-être ? Oui eh bien on en revient au même, c'est de la lâcheté.
Et puis il y a ceux qui font semblant, des lâches aussi, un sourire ému au coin des lèvres, mais qui ne trompe personne et qui te disent bon ben bonne route, bon courage, plein de bonnes choses pour la suite, hein, avec un air empreint de malaise qui traduit plus que le malaise, peut-être un petit sentiment de victoire, un truc pas abouti dont ils ne savent pas eux-mêmes à quoi ça correspond, ça fait tout bizarre, ben ouais, c'est ça. Prends moi pour un couillon.
Et puis il y a ceux qui te demandent, qui te supplient presque, de passer les revoir des temps en temps, d'aller boire un coup ensemble, alors qu'ils savent que ça n'arrivera pas.
Et puis il y a encore ceux qui sont réellement affectés mais ne le montrent pas, qui t'aimaient bien, parce que toi, le couillon, t'étais un mec gentil, toujours de bonne humeur, toujours prêt à rendre service du moment que ça ne te faisait pas perdre trop de temps, qui n'hésitaient pas à faire des heures supp' même pas payées, parce que tu ne demandais rien, parce que tu es juste un mec gentil qui ne demande rien à personne, qui fait juste son boulot du mieux qu'il peut, qui essaie d'être un peu créatif sans trop déranger l'ordre établi, parce que ça, quand ça bouscule trop, on te le fait remarquer.
Bref.
C'est fini, tu as rassemblé toutes tes affaires dans deux ou trois sacs, tes stylos, tes vieux cahiers de notes, deux ou trois bibelots qui te suivent sur tous les bureaux que tu as occupé, tu as plié les gaules, ton petit ordinateur avec le chargeur posé sur le bureau à côté du téléphone portable que tu n'as jamais utilisé, tu as déjà rendu les clefs, il ne te reste plus qu'à partir. Tu as attendu que tout le monde parte ce vendredi soir, veille de week-end. Il n'y a plus personne, sauf une personne, celle que tu n'as pas envie de voir et qui te bredouille des adieux parfaitement hypocrites.
Et puis c'est plus fort que toi, les larmes montent, et tu te dis, non pas maintenant, ça ne sert à rien et tu as beau te dire ça, ça monte dans la gorge, ça arrive aux yeux qui se brouillent et il n'y a rien à faire, ça sort tout seul, et toi tu restes assis là sur ton fauteuil à regarder le couloir vide, lumière éteinte, et il ne se passe rien, il ne se passera plus rien, c'est fini. On abandonne. Schlussklappe. On remballe.
Mais bon. Une nouvelle histoire s'ouvre et celle-ci se ferme. Il ne peut y avoir deux histoires enchevêtrées, deux réalités présentes ne peuvent se produire en même temps. Ce sont des choses qui n'arrivent pas.
Dernière capsule de café, je laverai ma tasse à la maison. Il n'y a plus rien sur mon bureau blanc. A part l'histoire que j'ai bien voulu y écrire et qui restera peut-être quelques temps gravée à sa surface.
Dernier café. Avant le prochain.