Le Jharkhand et les filles disparues dans le district de GUMLA
Indépendamment de mon intérêt pour le soutien à l’éducation des filles, je suis particulièrement intriguée par leur disparition dans cet état. Cela fait des années que l’association indienne NSVK créée par Birendra, avec lequel je suis en lien depuis 2007, agit pour l’éducation des filles. Cela vise à éviter les mariages précoces ou la vente des filles du fait de la pauvreté et donc leur disparition. Le confinement a renforcé ce mécanisme d’où la création d’une nouvelle école pour les jeunes filles de 15 à 18 ans dont je parlerai plus tard.
Au bout d'une quizaine de kilomètres de mauvaise route et de piste, nous voici à Divgaon
Nous partons dans un petit village perdu dans la campagne, Divgaon. Nous y rencontrons d’abord une femme, Parfulla Tirkey qui nous explique que sa nièce est partie depuis trois ans au Tamil Nadu, état du sud-est de l’Inde, à plus de 2000 km de distance. Appelée par une connaissance pour y trouver du travail, elle n’a jamais donné de nouvelles. Dans ce village trente filles en cinq ans sont parties ; personne n’a de nouvelles.
dans la maison de Parfulla
Nous allons dans un autre village, Banadega, au bout d’une route minuscule, puis d’une piste, nous arrivons sous un gros arbre, magnifique pipal, où est installé le lieu de rencontre et de discussion pour le village. Quelqu’un sonne la cloche et les habitants arrivent. D’un côté, les femmes, avec leurs petits, de l’autre les hommes. Birendra et Lalit, travailleur social de l’association qui s’occupe de ce secteur, annonce le pourquoi de notre visite, le sort des filles qui nous préoccupe. Puis nous posons nos questions. Ces femmes tribales sont quelquefois hardies et pleines d’assurance et nous raconte avec le sourire, la disparition de leur fille (mais qu’est-ce qu’il peut se cacher derrière comme sentiments ?) Pour l’une sa fille est partie il y a déjà dix ans laissant deux enfants de 4 et 6 ans et son mari. Aucune explication. Aucune nouvelle.
le bel arbre du village lieu de réunion
les femmes s'installent sous les branches du pipal
Une autre se lève et nous dit que ses filles de 15 et 16 ans sont parties il y a deux ans à Delhi pour trouver du travail. Pas de nouvelles.
D’autres femmes sont très timides et à nos questions nous sentons que, pour elles aussi, une de leur fille est partie ou bien une fille qu’elles connaissent. Les émotions sont lisibles sur leur visage qui se transforme mais elles n’osent pas prendre la parole. Une autre est tellement émue qu’elle ne peut plus parler. Rien que dans ce village, il est troublant de voir le nombre de disparitions, soit clairement avouées, soit non-dites mais il y a de nombreux signes de tête qui disent : « oui, moi aussi ». Nous n’avons malheureusement pas le temps d’approfondir.
Lorsque nous demandons si des personnes parties sont revenues, personne du côté des femmes, mais dans le groupe d’hommes, un se lève. Il raconte être parti se faire embaucher sur les chantiers de construction à Goa, sur la côte ouest au sud de Bombay. Il n’a pas averti qu’il partait. Mais au bout de quatre mois il est revenu pour cultiver la terre dans son village. Il n’a pas pu supporter les conditions qui lui étaient imposées : il couchait dehors sur un matelas, pas de toilettes, traité comme un esclave et parfois torturé par le chef, salaire de misère. Alors on se dit que pour les femmes, qu’est-ce que cela peut être ?
la population du village qui est intéressée par le sujet de la disparition des filles
Lorsque nous posons la question si toutes ces familles ont fait un signalement de disparition à la police, aucune n’a fait ce type de démarche. Pourquoi ? Une femme répond en souriant avec un signe de la main bien compréhensible : « ils demandent de l’argent ». Et chacune d’approuver. La corruption règne en maître, et eux sont tellement pauvres qu’ils ne peuvent pas se permettre de payer pour signaler une disparition. De toute façon, leur demande sera vite oubliée.
Et si par hasard les policiers ne sont pas vénaux, ils posent tellement de questions personnelles auxquelles ils ne savent pas répondre, que tous ces villageois préfèrent vivre en paix sans rien signaler, restant avec leurs interrogations.
Bien sûr, avec notre mentalité occidentale nous nous demandons comment toutes ces filles, n’ayant vécu que dans un minuscule village, bien entourées, peuvent partir ainsi sans savoir ce qui les attend, ni ceux qui les attendent… dans une parfaite ignorance de la grande ville et une naïveté incroyable.
Il y a le fait que lorsqu’une connaissance leur dit que leur fille peut trouver du travail à l’autre bout du pays, la famille fait confiance de toute façon. Elle ne pose aucune question et se fie d’emblée à cette personne. Mais ce que nous apprend Birendra c’est que derrière il y a tout un réseau de trafiquants, qui paie la personne qui va contacter la famille. Et lorsqu’on est pauvre on ne va pas rechigner sur 10 mille roupies soit environ 110 euros pour une invitation à faire.
D’autre part, dans ces villages du bout du monde où il n’y a plus d’école (le premier ministre qui avait pourtant promis une école tous les kilomètres en Inde, a fait d’énormes regroupements et il faut faire parfois 15 km pour trouver un établissement scolaire dans cette région), où la pauvreté et la malnutrition règnent, il est normal de laisser les enfants tenter leur chance avec l’espoir d’une aide financière en retour pour eux.
L’association a mis en place un « informateur » chargé de relever toutes les renseignements possibles concernant ces disparitions dans les différents villages.
N’y aurait-il pas une résonance avec certaines de nos histoires familiales avec nos arrières-grands-parents, partis de leur village sans donner de nouvelles, pour trouver un travail et de l’argent dans un autre pays, comme la France ?