Je viens de recevoir la lettre de Gandhi International qui publie la présentation de Rajagopal. Je ne peux que partager ce texte en les remerciant de cette publication.
BRISER LES MURS POUR CONSTRUIRE LA PAIX
Une présentation de Rajagopal P.V.
Conférence de paix de Berlin
01 septembre 2023
Mes amis,
Tout d'abord, je tiens à remercier les organisateurs de m'avoir invité à la conférence et de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer. Le thème proposé pour ma présentation, "Briser les murs", m'a semblé très approprié, car c'est une activité à laquelle je suis constamment engagé.
Permettez-moi de commencer par dire qu'il n'y a pas beaucoup de dirigeants aujourd'hui qui ont une vision globale. Les dirigeants actuels, que ce soit en politique ou dans le domaine de l'économie, ont tendance à construire leurs positions autour d'un ensemble d'intérêts afin de protéger leur propre base de pouvoir ; et pour ce faire, ils créent des groupes qui s'associent en se basant sur la caste, la classe, la religion, la race et/ou la langue. Une vision aussi étroite et partisane peut alors être utilisée pour diviser la société et créer une politique du "nous et eux". Ce faisant, elle peut susciter de l'aversion et de la haine pour "l'autre".
À l'inverse, le Mahatma Gandhi (lors du mouvement pour l'indépendance de l'Inde) s'est référé à une vision plus large et inclusive appelée Sarvodaya ("Bien-être de tous") et il a expliqué ce terme comme "mon propre bien-être correspond au bien-être plus large de la société" et non l'inverse.
Vinoba Bhave, l'associé du Mahatma Gandhi, a proposé une autre idée tout aussi importante, connue sous le nom de Jai Jagat ("Une planète, un peuple"). Il a expliqué la nécessité pour l'humanité de dépasser les paysages géographiques limités et d'accepter le monde entier comme un foyer planétaire. Il considérait que les problèmes contemporains du monde ne pouvaient pas être résolus dans un horizon géographique donné, mais plutôt en renforçant les interconnexions mondiales (avec les personnes et avec la nature).
Le défi actuel de la menace nucléaire devrait nous obliger à nous orienter vers le Sarvodaya ("Bien- être de tous"), tandis que la crise climatique qui menace notre vie devrait nous inciter à adopter le Jai Jagat ("Une planète, un peuple"). Malheureusement, nous continuons à faire comme si de rien n'était et à suivre les muses politiques d'un nationalisme étroit ou d'un régionalisme renforcé. Pour freiner cette évolution, il faudra une direction politique et économique éclairée qui facilite un mouvement collectif et incite les gens à faire passer la planète avant le profit, et le "partage et le soin" avant l'avidité sans fin.
En
examinant certaines des approches stratégiques susceptibles de "briser
les murs" dans la mesure du possible, j'ai voulu réfléchir à deux
moments de notre histoire collective qui ont profondément changé la
vision du monde de vastes populations. Le premier est celui des deux
astronautes américains, Neil Armstrong et Buzz Aldrin, qui se sont posés
sur la lune en 1969 et qui, une fois en orbite, ont pris la photo
emblématique de la terre. Pour la première fois, les gens du monde
entier ont ainsi pu voir la planète depuis l'espace. Les astronautes ont
remarqué qu'il n'y avait pas de rayures sur la surface de la Terre (ce
qui signifie qu'il n'y avait pas de "murs" ou de frontières divisant les
gens en régions géographiques). Cette photo symbolise une vision
planétaire du monde qui donne aux gens le sentiment d'un avenir commun.
Un
autre moment d'inspiration pour un avenir commun a été celui où le
Mahatma Gandhi a mené une révolution non-violente contre l'empire
britannique, non seulement pour libérer le pays d'une puissance
impériale extérieure, mais aussi pour libérer les gens de l'oppression,
de l'exploitation et de ce que nous pourrions appeler aujourd'hui "une
paix insoutenable". Gandhi a souligné que les murs se trouvaient dans
les esprits et que si le comportement ne changeait pas, les murs ne
tomberaient pas. Gandhi a également fourni de nombreux outils et
méthodes pour changer cet état d'esprit. Lorsque le grand historien
Acharya Kripalani a rencontré le Mahatma Gandhi, il lui a demandé
comment la révolution non-violente de l'Inde pouvait réussir, alors que
les révolutions en France, en Russie ou en Chine avaient été
violentes... ? La réponse de Gandhi ne s'est pas fait attendre :
Monsieur le Professeur, vous enseignez l'histoire, mais moi je fais
l'histoire".
Ce
que les générations suivantes ont appris de Gandhi, en Inde, c'est
qu'il est possible d'inventer des méthodes non-violentes plus avancées
et plus civilisées pour résoudre les problèmes, à condition d'en avoir
le désir. En s'engageant à utiliser la non-violence, on peut créer un
effet de transformation considérable sur les gens.
Permettez-moi de citer un exemple. Une action mondiale, à savoir la marche Jai Jagat, a été lancée en 2019 par une organisation sociale en Inde. Le 2 octobre 2019, cinquante bâtisseurs de paix issus de la société civile en Inde et de douze autres pays ont entamé une marche depuis le lieu de repos de Gandhi à New Delhi jusqu'aux Nations Unies à Genève sur une période d'un an. Cette marche d'un an avait pour but de plaider en faveur de changements dans les Objectifs de Développement Durable (ODD) de l'ONU afin d'y inclure le point de vue des personnes marginalisées. Cette longue marche de 11.000 kilomètres à travers 11 pays a été un véritable défi, car elle nécessitait l'autorisation des gouvernements de différents pays et de groupes civils. Obtenir la permission de marcher à travers le Pakistan, l'Afghanistan et l'Iran s'avérait une tâche très exigeante car il y avait beaucoup trop de murs à franchir. Finalement, après avoir achevé la partie indienne de notre marche, nous avons été contraints d'envoyer des délégations plus petites au Pakistan, en Afghanistan et en Iran, avant de nous regrouper en Arménie pour la suite du voyage.
Malheureusement, cette longue marche a dû s'interrompre après cinq mois et demi à Erevan, la capitale de l'Arménie, en raison de la pandémie de Covid. Cette marche a permis de mettre en évidence les nombreux murs qui avaient été érigés ainsi que les outils stratégiques permettant de les abattre.
Dans les pays traversés par les marcheurs, des murs ont été érigés pour protéger les intérêts du statu quo et empêcher les communautés marginalisées de porter leurs griefs jusqu'à Genève. Des milliers de personnes privées de justice dans leur propre pays ont voulu exprimer leurs griefs au niveau mondial en se joignant à la longue marche "Jai Jagat" et faire entendre leur voix aux architectes et aux responsables de la mise en œuvre des ODD (objectifs de développement durable) de l'ONU.
La mise en œuvre des ODD de l'ONU n'a pas répondu de manière adéquate aux besoins des personnes situées au bas de l'échelle socio-économique et, par conséquent, de nombreux hommes et femmes d'Afrique du Nord, de Syrie et d'Afghanistan risquent leur vie en traversant la Méditerranée en bateau pour rejoindre l'Europe. Il est regrettable et choquant qu'au lieu de tendre la main aux gens pour les libérer de leur douleur et de leur souffrance, de nombreux gouvernements soient occupés à renforcer les forces de sécurité aux frontières et à créer des murs fortifiés et des clôtures en fil de fer barbelé. Si des millions de personnes souffrent de pauvreté et de privations et que l'État continue d'étouffer leur voix au nom de la fierté nationale et de la sécurité intérieure, il s'agit d'un affront moral et d'une violation du droit humanitaire. Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas de systèmes de sécurité plus stricts, mais d'une justice qui crée une véritable sécurité humaine.
Depuis
environ 25 ans, je participe à la mobilisation d'un grand nombre de
populations indigènes marginalisées afin de contester le système injuste
qui les chasse de leurs terres et de leurs moyens de subsistance. Les
processus d'urbanisation, de privatisation et de mécanisation ont jeté
de nombreuses personnes dans les villes et les bidonvilles. J'ai utilisé
les méthodes non-violentes de Gandhi pour mobiliser la population afin
de faire pression sur le gouvernement pour qu'il adopte des politiques
dans l'intérêt des pauvres et des marginalisés. Par exemple, des
milliers de personnes ont marché sur 3 500 kilomètres en l'an 2000
pendant six mois ; vingt-cinq mille personnes ont marché sur 350
kilomètres en 2007 jusqu'à la capitale de l'Inde ; cent mille personnes
ont marché en 2012. Grâce à ces actions de masse organisées et
non-violentes, il a été possible de provoquer des changements politiques
importants. À long terme, grâce à l'expérience, nous avons appris l'art
et la science de la mobilisation de masse non-violente comme moyen
d'abattre certains des murs qui ont été construits pour maintenir
l'injustice et la discrimination.
J'espère que cette conférence pourra inciter les détenteurs du pouvoir à œuvrer en faveur d'un système capable d'assurer la justice pour tous. Il est également important que les gens continuent à promouvoir et à renforcer les actions de masse non violentes au niveau de la société civile, afin de faire pression pour un changement qui permette de construire une société basée sur la justice et la paix.
En conclusion, nous espérons que certains des prochains dirigeants politiques auront une vision plus large du monde et seront capables de s'inspirer d'un Neil Armstrong ou d'un Mahatma Gandhi et de travailler sur des stratégies visant à faire tomber les murs, qu'ils soient politiques, sociaux ou économiques.
Un slogan que nous utilisons souvent en Inde est le suivant : "l'injustice n'importe où c'est l'injustice partout", et "la violence n'importe où c'est la violence partout".
Jai Jagat !
Je vous remercie.
Rajagopal P.V.
Tout un symbole, une sculpture au milieu d'un rond-point
au centre d'Ahmedabad, au milieu des panneaux publicitaires
des voitures, des rickshaws claxonnant, des mains qui prient.